Quatre questions sur le rapatriement de Syrie et d'Irak d'enfants de jihadistes français
Dénonçant l'"inaction" de l'Etat, des familles d'enfants de jihadistes français ont déposé plainte contre la France auprès du Comité des droits de l'enfant de l'ONU.
"Les enfants sont en train de mourir, de soif, de faim, ils sont malades." Trois avocats appellent au rapatriement rapide des enfants français présents en Syrie. Marie Dosé, Martin Pradel et William Bourdon ont porté plainte mercredi auprès du Comité des droits de l'enfant de l'ONU, révèle France Inter jeudi 28 février. Dénonçant l'inaction de l'Etat, leurs clients, des familles d'enfants de jihadistes français actuellement dans des camps au Kurdistan syrien, espèrent pousser Paris à "prendre ses responsabilités et protéger ses enfants d'un risque de famine et de mort imminente auxquels ils sont confrontés".
Si, comme l'a rappelé Emmanuel Macron mardi, aucun programme de rapatriement des adultes français détenus en Syrie ou en Irak n'a pour l'instant été décidé, les autorités françaises se sont dites, à l'automne, ouvertes au rapatriement des enfants, à commencer par les orphelins. Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, avait expliqué que les enfants de jihadistes concernés feraient l'objet d'un "traitement spécial, au cas par cas, en relation avec la Croix-Rouge internationale et sous le contrôle des autorités judiciaires françaises". Mais sans donner de calendrier.
L'avocate Marie Dosé, qui défend des familles de jihadistes français en Syrie, a accusé la France de laisser "crever des enfants en zone de guerre", au mépris de toutes les règles de protection de l'enfance. Mardi, Emmanuel Macron n'a pas évoqué le sort des enfants. Combien sont-ils ? Dans quelles conditions vivent-ils ? Seront-ils rapatriés ? Que vont-ils devenir une fois en France ? Franceinfo fait le point.
1Combien d'enfants français sont détenus ?
Selon la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, il y aurait "70 enfants" français en Syrie, mais "les personnes bougent et c'est très difficile d'avoir un chiffre stabilisé". "Il y a principalement des enfants mineurs. Ces enfants sont soit nés là-bas, soit partis tout petits de France avec leurs parents", a-t-elle précisé sur RTL.
Selon l'ONG Save the Children, au moins 2 500 enfants de combattants étrangers vivent actuellement dans des camps de déplacés du nord-est du pays, où ils sont séparés des civils syriens. Parmi ces enfants, 30 nationalités sont représentées, dont des pays européens, mais l'ONG ne souhaite pas donner plus de détails. L'ONG précise néanmoins que le chiffre de 2 500 est provisoire, des civils continuant d'arriver de l'enclave de Baghouz (Syrie). De plus, elle n'opère que dans trois camps du nord-est syrien, qui en compte des dizaines.
2Dans quelles conditions vivent-ils ?
"Je défends les familles de plusieurs enfants, dont celles de deux orphelines. On est sans nouvelle de l'une, l'autre a quitté Baghouz – le dernier réduit de l'organisation Etat islamique en Syrie – et elle est dans une tente, même pas dans le camp d'Al-Hol [où des dizaines de milliers de déplacés cohabitent avec des familles de jihadistes arrêtées] où il n'y a plus de place", a récemment expliqué l'avocate Marie Dosé à l'AFP.
Ces gosses de moins de 5 ans sont en train de crever en zone de guerre [...]. C'est un désastre humanitaire.
Marie Dosé, avocateà franceinfo
"Entre le froid glacial, la pluie, le vent, la promiscuité et l'absence de suivi, les conditions de vie dans le camp sont atroces pour les jeunes enfants", déplore Nadim Houry de l'ONG Human Rights Watch, qui s'est rendu au camp de Al-Hol. Il y a notamment rencontré trois petits orphelins français.
L'ONG Save the Children s'inquiète, elle, de la "détresse psychologique" des enfants évacués de l'ultime réduit de l'Etat islamique. Des troubles qui se traduisent par de la nervosité, de l'agressivité, des cauchemars et une énurésie nocturne, selon l'ONG.
3Seront-ils rapatriés avec leurs mères ?
"Il faut que les mères soient rapatriées avec leurs enfants, argue l'avocate Marie Dosé. Ce sont des enfants qui ont pour 70% d'entre eux moins de 5 ans et qui n'ont pour univers que leur mère, en dehors de la guerre, du traumatisme et des bombardements. Donc, cet arrachement n'est pas possible."
Pour l'instant, la France ne souhaite pas rapatrier les adultes partis rejoindre les rangs de l'EI, y compris les mères. "Nous considérons que les Français qui sont partis en Syrie doivent être responsables de leurs actes et doivent être traités sur le lieu où ils sont allés", a déclaré sur franceinfo Nicole Belloubet, ministre de la Justice, le 20 février.
Or, certaines mères refusent de se voir séparées de leurs enfants. Dans le camp de Roj (Syrie), qu'une équipe de France 2 a pu visiter en décembre, Amandine Le Coz, jihadiste française détenue en Syrie, refusait catégoriquement la proposition des autorités françaises de rapatrier, seul, son fils d'un an et demi : "Non, je ne veux pas ! S'il part, je pars avec lui. Je ne peux pas le laisser, c'est ma vie."
Une autre, que les journalistes ont filmée en caméra discrète, n'a pas non plus l'intention de laisser partir ses trois enfants. Elle craint pour sa vie s'ils rentrent en France sans elle, évoquant des femmes renvoyées en Irak ou condamnées à mort pour leurs actions auprès des terroristes. "Tant qu'il y a les enfants, ils auront peut-être un peu de miséricorde pour nous."
4Que deviendraient ces enfants en France ?
En cas de retour des jihadistes français, "les enfants sont présentés à un juge des enfants, font l'objet, suivant leur âge, d'une prise en charge particulière", a détaillé Nicole Belloubet sur franceinfo. "Ils vont être pris en charge par les services de l'enfance. Ils vont être évalués, ils vont être aidés", explique de son côté Martin Pradel, avocat qui défend des familles dont les petits-enfants sont en Irak ou au Kurdistan irakien. "Ils ont besoin qu'on les aide à surmonter psychologiquement ce qui s'annonce comme une épreuve."
Lydie Maninchedda espère pouvoir accueillir ses trois petits-enfants, dont elle n'a pas de nouvelle et qu'elle ne connaît pas, depuis le départ en Syrie de sa fille Julie il y a plus de quatre ans. Véronique Roy, fondatrice de Familles unies, milite pour que les grands-parents récupèrent leurs petits-enfants. "Ils vont être séparés de leur mère ou parfois de leur père, quand ils sont encore ensemble, alors ne leur imposons pas un traumatisme de plus, en les mettant dans une famille inconnue. Moi, ça me paraît très grave de faire ça. Ces gamins-là vont avoir besoin d'énormément d'amour."
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