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Manon Loizeau raconte la révolution des femmes au Yémen

Les femmes ont été les porte-drapeaux de la révolte populaire au Yémen début 2011. Deux ans plus tard, que reste-t-il de leurs espoirs et de leurs revendications ? La journaliste Manon Loizeau, qui a montré leur combat dans un 52 minutes, «Yémen, le cri des femmes», répond à ces interrogations. Et ce, alors même qu'un attentat-suicide meurtrier a secoué Sanaa le 5 décembre.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Manon Loizeau en 2006 à Marseille pour la remise du prix Albert Londres qu'elle a obtenu (avec Alexis Marant) pour le film «La malédiction de naître fille». (GERARD JULIEN / AFP)

Prix Albert Londres 2006 pour son documentaire La malédiction de naître fille (en Inde), Manon Loizeau s’est attachée à montrer l’importance du rôle de ces Yéménites de tous horizons et tous milieux dans le soulèvement populaire. Lequel a conduit au départ du président Ali Abdallah Saleh en 2012, après 30 ans au pouvoir.
 
Représentées au Yémen par Tawakkol Karman, Nobel de la Paix 2011 (première femme arabe à l’avoir obtenu et plus jeune lauréate à 31 ans), qui a su fédérer les deux sexes autour d’une volonté générale de changement, elles ont fait bouger les lignes d’une société patriarcale et tribale. Et ont fait leur révolution.
 
Soutenues par les hommes pour poser les bases d’un nouvel Etat, elles ont surfé sur les événements pour libérer leur parole. Aujourd’hui, 27% d’entre elles participent au Dialogue national, commission de 365 membres financée par l’ONU, l’UE et les Etats du Golfe. Mise en place au printemps, cette commission doit poser les bases d’une nouvelle Constitution avant la présidentielle de 2014.
 
Bien ancré à Sanaa, le mouvement des femmes peut-il faire son chemin dans les provinces reculées, où nombre d’entre elles sont analphabètes (il y a 70% d’illettrisme au Yémen), alors que la transition politique reste fragile?
En 2011, les manifestations pacifiques avaient lieu place du Changement, dans la capitale, mais aussi dans les autres villes du pays. Les femmes portaient la parole libérée dans les campagnes.
 
Aujourd’hui, le Dialogue national est ouvert à un tiers de femmes, venues de tout le pays. Ce sont elles qui, une fois revenues dans leurs régions, racontent les avancées de leurs travaux, lors de comités de villes ou de villages.
 
Mais elles subissent, comme d’autres membres masculins de la Commission, des pressions et des menaces de ceux qui veulent déstabiliser le pays (al-Qaïda ou anciens du régime, notamment).
 
Elles doivent œuvrer dans un climat de désillusion. D’un point de vue économique, tout est à l’arrêt. La crise est totale et il faut tout reconstruire.
 
Dans ce pays en proie aux troubles et à l’incertitude (le sud veut faire sécession, laissant craindre le retour de la guerre civile, et al-Qaïda occupe le terrain dans plusieurs régions, NDLR), la famine règne dans certaines zones du pays, où un enfant sur trois n’a pas assez à manger.


Vous constatez dans votre film un changement de mentalité chez les hommes depuis le soulèvement populaire. Mais défendront-ils les droits des femmes si le vent tournait en la faveur des islamistes, par exemple, lors de la présidentielle en 2014 ?
C’est difficile à dire, car la situation est vraiment à transitoire.
 
Les islamistes d’al-Islah, apparentés aux Frères musulmans, participent au Dialogue. Ce ne sont pas les mêmes qu’en Egypte. Et la prix Nobel de la paix, Tawakkol Karman, membre de ce parti, tente de le faire évoluer de l’intérieur.
 
Une chose est sûre : si les femmes ont impulsé la révolte, les hommes les ont adoubées. Elles ont permis à ces derniers de retrouver leur fierté. Et ont fait renaître le mythe la reine de Saba (souveraine d’une grande sagesse ayant vécu au Yémen, au Xe siècle avant J.-C., NDLR).
 
Bien qu’elles veuillent reconstruire le pays avec les hommes, elles prônent un Etat moins religieux où «l’armée doit défendre le pays et ne soit pas la garante de la religion», comme le précise une des femmes dans le film.
 
Quoi qu’il en soit, ce qui se passe en ce moment dans le pays est historique et exceptionnel. A tel point qu’on voit des chefs de tribus se parler et faire des progrès dans les négociations, même parmi les plus extrémistes…
 
Le Dialogue national doit permettre de modifier la Constitution. Quels sont les points principaux que les femmes veulent y voir inscrits ?
Elles travaillent dans la même commission que le comité des droits de l’Homme. Elles se sont mobilisées pour élaborer un projet de loi fixant à 18 ans l'âge légal du mariage (15% des fillettes de moins de 10 ans sont mariées, 45% des moins de 18 ans).
 
Elles se battent pour permettre l’accès à l’éducation et aux soins pour toutes les femmes, notamment. Elles ont conscience que les choses évolueront avec la scolarisation des filles, notamment dans les campagnes.
 
Pour autant, si les femmes interviennent de plus en plus dans la vie active à Sanaa, dont l’université compte 40% d’étudiantes, il est trop tôt pour savoir si et à quel rythme les campagnes suivront le mouvement. Là où les femmes sont encore cantonnées dans leurs foyers.

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