Yémen : "Entre mercredi et jeudi, nous avons reçu plus de 130 blessés"
Des humanitaires témoignent de la situation dans le pays, visé par une intervention conduite par l'Arabie saoudite.
"La situation est assez chaotique." Au téléphone, jeudi 26 mars, Dounia Dekhili, responsable Moyen-Orient à Médecins sans frontières (MSF) décrit la situation à Aden, au Yémen, où l'ONG tient un hôpital. Pourtant, depuis quelques jours, Dounia Dekhili est coincée à 400 km de là, à Sanaa, la capitale. Impossible de rejoindre Aden, le grand port du Sud qui contrôle l'entrée du très stratégique détroit de Bab El-Mandeb ouvrant sur la mer Rouge et donc le canal de Suez.
Les communications téléphoniques fonctionnent toujours, mais l'aéroport d'Aden est fermé et celui de Sanaa vient d'être bombardé. Jeudi 26 mars, le conflit qui dure depuis plusieurs mois, entre rebelles chiites houthis et partisans du président Abd Rabbo Mansour Hadi, s'est subitement régionalisé. Une coalition d'une dizaine de pays menée par l'Arabie saoudite a bombardé des positions stratégiques des rebelles. A elle seule, l'Arabie saoudite a engagé cent avions de chasse.
"Explosion de violence"
Officiellement, l'opération militaire "vise à défendre le gouvernement légitime du Yémen", a expliqué l'ambassadeur saoudien aux Etats-Unis. C'est surtout une réaction d'exaspération de Riyad. Les rebelles chiites houthis, soutenus par l'Iran, grand adversaire de l'Arabie saoudite, s'apprêtaient à s'emparer d'Aden, où le président avait déjà été contraint de se réfugier, quand la capitale est tombée aux mains des rebelles. Or, qui contrôle Aden contrôle le trafic maritime et les trois millions de barils de pétrole qui y transitent chaque jour.
A Aden, les premiers combats ont débuté jeudi 19 mars. "Des forces fidèles au président et des éléments militaires qui refusaient de se plier à ses ordres", ont commencé à s'affronter, explique Dounia Dekhili qui venait juste d'arriver dans la ville. "Ce jour-là, nous avons reçu 60 blessés. Le lendemain, à quelques kilomètres, ont commencé des combats. Depuis, les Houthis ont lancé une offensive sur le sud. Il y a une explosion de la violence." Une escalade qui concerne "surtout Aden" et sa région, pense-t-elle, tout en précisant qu'elle ne peut connaître la situation sur l'ensemble du pays. "Il y a des combats de rue partout dans la ville. Avec la vacance du pouvoir, du fait des combats, il y a des cambriolages, des vols."
"Nous sommes coincés"
Partie à Sanaa il y a deux jours, elle est depuis "coincée". L'aéroport a été fermé et les violences ont redoublé. On se bat dans la rue. "Entre mercredi et jeudi, nous avons reçu plus de 130 blessés", dit-elle. "Nous, on aimerait envoyer du renfort médical sur Aden. Mais, avec les frappes, nous sommes coincés." Elle décrit des conditions de travail difficiles pour "gérer le flux des patients", mais aussi "faire en sorte qu'il n'y ait pas de gens armés qui entrent dans l'hôpital alors qu'il y a eu des combats à quelques mètres". Les équipes sont "stressées", elles ne "peuvent plus sortir de l'hôpital. Elles ont été obligées de s'enfermer". Elle appelle à "épargner les espaces médicaux" et réclame "plus d'assistance humanitaire".
Dans la nuit de mercredi à jeudi 26 mars, elle était à Sanaa quand les avions de la coalition ont frappé le Yémen et notamment la capitale, déclenchant en retour des tirs de la défense anti-aérienne. "Je dormais. Je me suis réveillée vers 2 heures, 2h30. On sait que c'est surtout l'aéroport et certaines bases qui ont été touchées. Nous sommes confinés. On a entendu des tirs d'artillerie."
"La sécurité se détériore"
Jeudi, "à Sanaa, c'était très agité. Il y a eu des bombardements dans la nuit", ajoute Vincent Taillandier, directeur des opérations à Action contre la faim (ACF) qui compte 69 "centres de traitement" répartis essentiellement dans l'ouest du pays. Joint à Paris, il explique être en liaison permanente avec ses équipes qui se sont mises en "hibernation", en attente de voir l'évolution de la situation. "La sécurité est un sujet très sensible, pour nous, en particulier en ce moment, explique-t-il. Depuis septembre dernier, un conflit est apparu. Quand la structure politique est fragilisée, la sécurité se détériore. Mais ce n'est pas le seul endroit au monde où il y a des situations très changeantes. On estime qu'on peut toujours travailler."
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