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Vidéo Projet Pegasus : "Une véritable menace pour la liberté d'expression et la liberté de la presse", s'inquiète le fondateur de Forbidden Stories

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Article rédigé par franceinfo
Radio France

Laurent Richard a jugé qu'"il n'y a pas grand-chose pour défendre le citoyen (...) on est sur un marché qui est encore sous-régulé". 

Le projet Pegasus constitue "une véritable menace pour la liberté d'expression et la liberté de la presse", a expliqué lundi 19 juillet sur franceinfo le fondateur de Forbidden Stories, le consortium international de journalistes auquel participe la cellule investigation de Radio France, qui a révélé dimanche que de nombreux Etats utilisaient un logiciel espion pour cibler des militants, avocats, journalistes et hommes politiques. Ce logiciel, créé par la société israélienne NSO Group "prend totalement le contrôle de l'organisme de votre appareil et vous ne vous en rendez pas compte", a insisté Laurent Richard. Selon le journaliste, "ce qu'il y a de catastrophique dans cette histoire", c'est qu'"il n'y a pas grand-chose pour défendre le citoyen qui a été infecté".

franceinfo : Comment marche ce logiciel et peut-on parler d'une surveillance mondiale, d'une surveillance massive ?

Laurent Richard : On appelle ça une infection : c'est quelque chose qui prend totalement le contrôle de l'organisme de votre appareil et vous ne vous en rendez pas compte. Vous ne le savez pas, vous ne l'entendez pas, vous ne le voyez pas. Votre téléphone n'est pas en surchauffe, il ne se passe rien pour vous. C'est ce qu'on appelle une attaque "zéro clic" : vous n'avez même pas à cliquer sur un lien SMS. Ce logiciel va prendre entièrement le contrôle de tout, va même lire vos messages chiffrés, va pouvoir activer votre vidéo et ensuite transmettre immédiatement à l'opérateur de renseignements qui travaille pour un gouvernement tous vos secrets. C'est une surveillance massive de milliers de personnes par une dizaine de gouvernements, qui ont pour point commun d'avoir acheté auprès de la société israélienne NSO Group le logiciel Pegasus. Il est d'ailleurs considéré par les Israéliens comme une arme parce qu'il faut obtenir une licence militaire pour pouvoir l'exporter. C'est une arme extrêmement sophistiquée qui vise à connaître tout de vous, vos secrets, qui va activer votre caméra, peut lire vos messages. C'est une véritable menace pour la liberté d'expression, la liberté de la presse. Ce que l'on révèle avec le projet Pegasus, c'est comment cet outil est vraiment utilisé pour espionner les sociétés civiles et pour faire taire les journalistes ou les militants des droits de l'Homme.

Vous avez eu accès à environ 50 000 numéros de téléphone de cibles potentielles à travers le monde pour le compte d'une dizaine de gouvernements. Avez-vous pu vérifier qu'une partie de ces téléphones avait été bel et bien infectée ?

On a travaillé en partenariat avec l'équipe d'Amnesty International, Security Lab, un groupe de personnes extrêmement brillantes qui ont réussi à mettre au point une technique qui permet de trouver des traces d'infection dans votre téléphone. On a donc eu accès à cette liste, on a checké les numéros et on a mené des investigations techniques dans les téléphones. On a pu trouver des traces qui nous ramenaient à NSO Group et aux pays qui justement ciblaient ces personnes. Le but de tout ça, c'est de pouvoir vous faire chanter en récupérant des éléments sur vous. C'est de pouvoir connaître l'histoire que vous allez publier dans quelques jours. C'est de pouvoir savoir quelle est la source à laquelle vous parlez et d'aller ensuite "infecter" la source pour savoir ce qu'elle va vous dire. En Azerbaïdjan par exemple, beaucoup de journalistes ou de dissidents ont vu des éléments privés de leur vie volés et ensuite diffusés dans des réseaux de communication différents. C'est donc aussi un outil qui permet d'exporter la terreur pour certaines dictatures : vous êtes un dissident saoudien, vous fuyez la terreur et vous allez vivre à Londres, et bien la terreur va vous suivre grâce ce logiciel-là puisque vous êtes traqué même dans les rues de Londres.

Cela se fait-il avec l'aval de l'Etat israélien ? Que vous a répondu la société ?

Tout ça s'exporte avec l'aval de l'Etat israélien. Ce qui nous interroge évidemment dans cette enquête, c'est la proximité entre cette société et le gouvernement israélien. Quand on regarde de plus près le profil des gens qui travaillent pour NSO Group, beaucoup viennent de l'unité de cyber intelligence du ministère de la Défense israélien. Evidemment, la question c'est : est-ce que le gouvernement israélien a connaissance des cibles visées par ce logiciel-là ? Officiellement, NSO group n'a pas connaissance des cibles utilisées par ses clients. La société dément évidemment en bloc, elle dément même les preuves apportées par l'équipe d'Amnesty International qui pourtant ont été contre-expertisées par Citizen Lab, une autre organisation mondiale qui fait vraiment aussi référence sur sujet. Elle dit qu'elle va mener des investigations, que ce n'est pas elle qui cible les personnes, ce sont les gouvernements. Effectivement, elle vend une technologie à des gouvernements, le problème c'est que, et c'est ce qu'il y a de catastrophique dans cette histoire, il n'y a pas grand-chose pour défendre le citoyen, celui qui a été infecté, celui qui a été piraté : on est sur un marché qui est encore sous-régulé.

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