Attaque en Syrie : "En réalité, l'usage d'armes chimiques perdure depuis le début du conflit"
Avec un bilan qui atteint plusieurs dizaines de morts, le raid à l'arme chimique mené contre village de Khan Cheikhoun est l'un des plus meurtriers du conflit syrien. Mais d'aprÚs les humanitaires et les experts, Damas utilise trÚs réguliÚrement des armes toxiques, comme les barils de chlore.
Un "crime de guerre". François Hollande n'a pas pris de pincettes pour qualifier l'attaque chimique qui a fait au moins 72 morts, dont 20 enfants, dans le village syrien de Khan Cheikhoun, mardi 4 avril, selon un bilan diffusé mercredi par l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). AprÚs un raid aérien visant cette zone à forte présence rebelle dans la région d'Idlib, des civils ont été retrouvés morts, dans la rue ou à leur domicile, à la suite de convulsions. Selon les experts, ces symptÎmes trahissent l'usage de gaz sarin, un neurotoxique incolore et inodore, particuliÚrement meurtrier.
DĂšs lors, l'habituel ballet diplomatique s'est mis en place. Washington, Paris et Londres ont dĂ©noncĂ© la "responsabilitĂ©" de Damas et ont prĂ©sentĂ© un projet de rĂ©solution condamnant le bombardement et appelant Ă une enquĂȘte des Nations unies. Mais Bachar Al-Assad a niĂ© tout usage d'armes chimiques et la Russie, son principal alliĂ©, a qualifiĂ© d'"inacceptable" le projet de rĂ©solution. D'aprĂšs la version de Moscou, l'aviation syrienne n'a pas utilisĂ© d'agent chimique, mais a frappĂ© un "entrepĂŽt" rebelle contenant des "substances toxiques". Deux versions, qui enferment une nouvelle fois la rĂ©gion dans un statu quo. Â
L'usage massif de bombe au chlore
"Cette attaque a attirĂ© l'attention de la communautĂ© internationale Ă cause du nombre de victimes trĂšs important, mais en rĂ©alitĂ©, l'usage d'armes chimiques en Syrie perdure depuis le dĂ©but du conflit", explique Ă franceinfo FrĂ©dĂ©ric Baud, rĂ©fĂ©rent toxicologue auprĂšs de MĂ©decin sans frontiĂšres (MSF), qui suit la situation syrienne de prĂšs.Â
Les attaques au chlore, par exemple, sont trÚs réguliÚres. Elles ont lieu plusieurs fois par mois, voire plusieurs fois par semaine.
Frédéric Baud, référent toxicologue auprÚs de MSFà franceinfo
Contrairement au gaz sarin, dont les effets sont plus meurtriers, mais aussi plus difficiles à diagnostiquer, les symptÎmes dus aux attaques au chlore sont souvent constatés par les humanitaires. "Les deux gaz provoquent de graves irritations oculaires et respiratoires, explique le toxicologue. Mais, contrairement au sarin, le chlore a une odeur trÚs évocatrice et les victimes restent conscientes avec des signes trÚs marqués de brûlures de l'appareil respiratoire."
Des centaines de bombardements recensés
Plusieurs vidĂ©os ont montrĂ© ces bombardements Ă l'arme chimique. Chaque fois, des barils en mĂ©tal contenant plusieurs dizaines de litres de chlore liquide sont larguĂ©s depuis des hĂ©licoptĂšres. DotĂ©s d'un cerclage d'explosifs et d'un dĂ©tonateur, ils libĂšrent le chlore sous la forme d'un gaz vert jaunĂątre au moment de l'impact.Â
En 2014, un rapport de la Syrian American Medical Society (en anglais) avait dĂ©jĂ comptabilisĂ© plus dâune centaine de bombardements de ce type, responsables de la mort de dizaines de personnes. "La communautĂ© internationale nous envoie des antidotes, parce quâelle sait que des armes chimiques seront utilisĂ©es encore et encore contre nous, affirmait dans ce document le docteur Mohamed Tennari, un mĂ©decin de la rĂ©gion dâIdlib. Ce dont nous avons besoin, ce nâest pas dâantidotes, mais de protection pour empĂȘcher quâune nouvelle famille ne suffoque aprĂšs avoir Ă©tĂ© gazĂ©e dans sa maison."
Depuis, les ONG ont dû adapter les stocks de matériel humanitaire qu'ils envoient sur le terrain. "Nous avons beaucoup réfléchi à tout ça et nous avons décidé d'envoyer sur place des masques à gaz avec des cartouches, mais aussi des masques de fuite, qui s'enfilent trÚs rapidement, explique le toxicologue de Médecins sans frontiÚres. Initialement, le but était d'envoyer ce matériel pour les équipes de MSF sur place, mais nous nous sommes rapidement aperçus qu'il fallait surtout équiper les structures syriennes sur place, car elles accueillent les victimes les premiÚres." Sur Twitter, un médecin de la région d'Idlib a récemment publié une photo d'un masque à gaz que lui a envoyé MSF.
10 more gas masks dropped off to our hospital. This time from @MSF_Syria Thank you! pic.twitter.com/VnRnSdJi3R
â Dr Shajul Islam (@DrShajulIslam) 1 avril 2017
"La ligne rouge, ça fait bien lontemps qu'elle est dépassée"
MĂ©decin sans frontiĂšres et les autres ONG qui Ćuvrent sur le terrain syrien n'ont de cesse de dĂ©noncer ces pratiques proscrites par la Convention sur l'interdiction des armes chimiques. Pourtant, la Syrie compte parmi les signataires de ce traitĂ© et en 2013, une rĂ©solution de l'ONU avait obligĂ© Bachar Al-Assad Ă livrer ses armes chimiques Ă l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC).Â
Les Nations unies sont-elles impuissantes dans le dossier syrien ? "Cette résolution a été trÚs largement respectée. Une trÚs grande partie de l'arsenal chimique syrien a été démantelée, assure à franceinfo Olivier Lepick, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste des armes chimiques. Néanmoins, la plupart des experts n'écartent pas la possibilité que le régime ait dissimulé quelques tonnes, quelques centaines de kilos d'agents chimiques militaires."
Cette rĂ©solution avait Ă©tĂ© adoptĂ©e aprĂšs un terrible bombardement au gaz sarin, qui avait coĂ»tĂ© la vie Ă 1 400 personnes oĂč commence la plaine de la Ghouta, dans la banlieue de Damas, en aoĂ»t 2013. François Hollande s'Ă©tait dit prĂȘt Ă se lancer dans une opĂ©ration militaire contre Damas, pour "punir ceux qui ont pris la dĂ©cision infĂąme de gazer des innocents".Â
Mais la France a finalement reculĂ©, suivant la dĂ©cision des Etats-Unis qui ont refusĂ© d'intervenir. A l'Ă©poque, l'administration Obama avait pourtant affirmĂ© que l'emploi d'armes chimiques constituait une "ligne rouge" que Bachar Al-Assad ne devait pas franchir, sous peine de reprĂ©sailles. "Quatre ans plus tard, nous nous retrouvons Ă nouveau dans la mĂȘme situation, regrette FrĂ©dĂ©ric Baud. Si l'usage d'arme chimique avait un jour constituĂ© une ligne rouge, ça fait bien longtemps qu'elle est dĂ©passĂ©e."
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