Quelles (pour)suites pour les deux ados toulousains rentrés de Syrie ?
La justice va se pencher sur le cas de ces jeunes âgés de 15 et 16 ans. Mais leurs familles et leur établissement scolaire sont aussi à leurs côtés. Francetv info fait le point sur ce qui les attend.
Ils sont de retour en France, pour le plus grand soulagement de leurs familles. Mais qu'est-ce qui attend les deux adolescents toulousains partis faire la guerre en Syrie ? Le plus jeune des deux, âgé de 15 ans, a atterri mardi 28 janvier à l'aéroport de Blagnac (Haute-Garonne), accompagné de son père. Son camarade âgé de 16 ans était revenu dimanche. Francetv info se penche sur leur avenir proche.
Une prise en charge par les services de renseignement
Les deux adolescents vont être entendus, si ce n'est pas déjà fait ou en cours, par l'antenne toulousaine de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI). Seul celui âgé de 15 ans aurait réussi à passer quelques jours en Syrie, sans toutefois participer aux combats. L'autre serait resté à la frontière turco-syrienne. Selon Le Figaro, il serait revenu en France de son propre chef, tandis que le père de son compagnon de route a pris l'initiative d'aller chercher son fils.
Comment ces deux lycéens en sont-ils venus à laisser tomber l'école pour partir combattre en Syrie ? Par qui et par quel biais ont-ils été embrigadés ? Qui les a accueillis en Turquie ? Pourquoi sont-ils rentrés ? Autant de questions auxquelles les policiers vont les soumettre pour tenter de comprendre leur parcours.
Une éventuelle mise en examen
Le parquet de Toulouse a saisi la section antiterroriste du parquet de Paris du cas des deux adolescents. Les magistrats en charge de l'instruction vont devoir décider des suites judiciaires et prononcer une éventuelle mise en examen. Les lycéens peuvent être poursuivis pour "participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme" et éventuellement être placés en détention provisoire. Malgré leur excuse de minorité, ils risquent dix ans de prison et 225 000 euros d'amende.
Fin 2012, la France a durci sa législation en matière de terrorisme dans le sillage de l'affaire Merah. Même s'ils n'ont commis aucun acte répréhensible en France, des Français commettant des actes de terrorisme à l'étranger ou candidats au jihad dans un pays, qu'ils aient réussi à partir ou non, peuvent être poursuivis. Ainsi, trois jeunes hommes comparaissent jeudi devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir voulu se rendre, selon les enquêteurs, en Syrie. Ils ont été arrêtés à l'aéroport avec des billets pour la Turquie.
Au total, 600 ou 700 Français, plus ou moins impliqués dans la guerre ou l'envoi de jihadistes en Syrie, seraient concernés par cette loi. Plus précisément, près de 250 d'entre eux combattraient en Syrie, une centaine seraient en transit pour s'y rendre, 150 auraient manifesté leur volonté d'y aller et 76 en seraient revenus. Quel sort judiciaire est réservé à ces 76 là ? Interrogé par francetv info, le ministère de l'Intérieur n'a pas donné suite.
Une comparution devant un tribunal ?
"Ceux qui reviennent sont souvent placés en détention provisoire, le temps de procéder à des vérifications, puis sont relâchés, indique Mathieu Guidère, islamologue et spécialiste du monde arabe contacté par francetv info. Tous ces dossiers ne tiennent pas vraiment la route face à la justice. Comment justifier le maintien en prison d'un individu qui a pris l'avion pour la Turquie ?" Les deux adolescents toulousains vont-ils, malgré tout, aller jusqu'à comparaître devant un tribunal, voire être condamnés ?
Aux yeux du gouvernement, ces "apprentis jihadistes" représentent une menace potentielle pour le territoire français. Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, met en avant le risque d'un passage à l'acte terroriste, ces individus ayant été aguerris par le combat en Syrie. "Le danger pour nos propres intérêts, c'est le retour. Ces individus marquent leur volonté de combattre au sein d'organisations jihadistes", a-t-il déclaré dimanche. Mohamed Douhane, secrétaire national du syndicat de police Synergie officiers, confirme à France 3 cette crainte de voir ces jeunes gens se retourner contre le pays.
Reste à prouver les intentions réelles de ces Français engagés en Syrie. "Comment peut-on devenir en trois mois un vrai jihadiste quand on a 15 ou 20 ans ?", confie à nos confrères de France 3 Mourad Benchellali, un Français détenu trois ans à Guantanamo pour avoir combattu en Afghanistan. Les deux lycéens toulousains n'étaient radicalisés, semble-t-il, que depuis quelques mois.
"Le conflit syrien présente l'illusion d'une guerre juste, reprend Mathieu Guidère. Certains de ces jeunes, aux profils très variés, peuvent être dans une logique révolutionnaire, utopiste, pas forcément jihadiste." La vraie question, selon le spécialiste, est la suivante : ces jeunes doivent-ils être considérés comme des victimes ou comme une menace ?
La possibilité de revenir au lycée, pour y être encadrés
Les familles des deux adolescents les considèrent à coup sûr comme des victimes. Selon le père du plus jeune, son fils, élève sérieux et sans histoires, a été victime d'un "enlèvement". De manière générale, les proches de ces jeunes Français engagés en Syrie comparent leur embrigadement aux méthodes des sectes. Et tentent, à tout prix, de les extirper des griffes de leurs gourous. A ce titre, Gérard Bons, père de deux frères, également Toulousains, morts en Syrie, réclame l'abandon des poursuites contre les Français qui reviennent du pays en guerre. Selon lui, la perspective de "passer des années en prison" décourage les candidats au retour. Et désespère les familles.
"La loi a un caractère contreproductif, confirme Mathieu Guidère. Car le fait de stigmatiser ces Français et de les traiter comme des terroristes peut finir par faire d'eux des terroristes." Au lycée des Arènes, à Toulouse, où étaient scolarisés les deux adolescents, pas question, justement, de les stigmatiser. Interrogé par francetv info, le proviseur de l'établissement se dit prêt à les accueillir et à leur faire bénéficier d'un suivi psychologique, médical et social. "Leur place est réservée. Nous devons réintégrer ces jeunes et les aider à se réinsérer", explique Denis Demersseman. Qui ajoute : "On a la chance qu'ils dépendent d'une structure."
Ce n'est pas le cas des jeunes adultes déscolarisés qui reviennent en France. Actuellement, aucune prise en charge sociale ou psychologique n'est proposée par les pouvoirs publics, qui privilégient une approche sécuritaire. Dounia Bouzar, auteure de Désamorcer l'islam radical (éditions de l'Atelier), milite depuis longtemps pour "la mise en place de cellules de soutien". Sur le terrain, la sociologue, ancienne éducatrice à la Protection judiciaire de la jeunesse, constate deux attitudes chez ces jeunes partis en Syrie : "Soit ils deviennent complètement invisibles, ce qui laisse à penser qu'ils sont toujours en rupture. Soit ils se reconnectent au réel et reprennent leur vie en France." Tout dépend, selon elle, du profil, de l'âge, mais aussi du regard que l'on porte sur eux.
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