Couronnement de Charles III : pourquoi la "charlesmania" ne prend pas
"NOT MY KING". Fin février, Charles III est roi depuis quatre mois. Lors d'un déplacement à Milton Keynes, dans le nord de Londres, une poignée de militants l'accueille avec des pancartes proclamant qu'il n'est "pas leur roi" et réclamant la fin de la monarchie. Le nouveau souverain essuie des huées et même quelques jets d'œufs. Des scènes impensables du temps de sa mère, distante mais très populaire.
Depuis son accession au trône du Royaume-Uni, à la mort d'Elizabeth II le 8 septembre 2022, Charles III vit un début de règne mouvementé. L'ancien prince de Galles s'est pourtant appliqué à incarner un monarque discret sur ses opinions, rassembleur et proche du peuple. Lui qui a longtemps été dépeint à l'opposé. Avec son couronnement, samedi 6 mai, il entre dans l'histoire avec un défi de taille : faire rayonner une monarchie de plus en plus critiquée, tout en remédiant à sa propre impopularité.
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Un roi "pas très apprécié"
Si les Britanniques avaient pu choisir le successeur d'Elizabeth II, ils n'auraient peut-être pas choisi son fils. En octobre 2022, un mois après la mort de la reine, Charles arrivait au pied du podium des membres de la famille royale préférés du public, dans un sondage Ipsos*. Devant lui trônent son fils aîné, le prince William, sa belle-fille Kate, et sa propre sœur, Anne. Interrogés sur les qualificatifs qu'ils associent au roi, seuls 27% répondent "à la hauteur". Une hausse de 8 points depuis mai 2022, mais un score passable pour l'homme censé incarner le royaume.
Malgré un léger regain de popularité* en janvier, "toutes les enquêtes montrent que ce n'est pas un roi très apprécié", observe Isabelle Baudino, historienne spécialiste de la civilisation britannique. "Sa personnalité n'a rien à voir avec celle très policée de sa mère", poursuit-elle. D'ailleurs, alors qu'il n'était encore que prince de Galles, ses détracteurs l'ont souvent dépeint comme un homme faible, vaniteux et intrusif, rappelle Reuters*.
"Ce sont essentiellement les plus de 70 ans et les membres du Parti conservateur qui apprécient Charles III."
Isabelle Baudino, historienne spécialiste de la civilisation britanniqueà franceinfo
Au lendemain de son accession au trône, Charles III a laissé transparaître un agacement très éloigné du "never explain, never complain" ("ne jamais se justifier, ne jamais se plaindre", en français) cher à sa mère. Un stylo qui fuit et un encrier encombrant ont provoqué de visibles contrariétés qui n'ont pas échappé aux médias et au public britanniques.
A la même période, la saison 5 de The Crown, la série de Netflix sur la famille royale, dresse un portrait plutôt antipathique du futur monarque, tiraillé entre son statut et son amour pour Camilla Parker-Bowles. Le premier épisode retrace des vacances en Italie avec Lady Diana et leurs enfants, dans les années 1990. A ce séjour, présenté au public comme une "seconde lune de miel", Charles convie ses amis, au grand dam de la princesse. Quand elle évoque son envie de faire du shopping, Charles se moque d'elle en présence des invités. "Levez la main ceux qui, hormis Diana, aimeraient faire du shopping ?", interroge-t-il, cassant. Interrogé sur le personnage, l'acteur Dominic West qui s'est glissé dans le formel costume croisé du prince, invite le public à ne pas juger le souverain sur la base de la fiction.
Une arrivée tardive sur le trône
La différence de caractère avec sa mère est d'autant plus scrutée qu'Elizabeth II jouissait d'une grande popularité. Son âge, sa traditionnelle neutralité et la longévité de son règne, lui permettaient de représenter "la stabilité et de faire figure de modèle pour les Britanniques", estime Isabelle Baudino.
"L'histoire qui va être nouée entre les Britanniques et Charles III ne durera pas aussi longtemps que celle qu'ils ont nouée avec Elizabeth II. Cela conditionne la capacité des Britanniques à se projeter avec leur nouveau roi."
Isabelle Baudinoà franceinfo
Lorsqu'elle est devenue reine en 1952 à la mort du roi George VI, Elizabeth II n'avait que 25 ans. Le Royaume-Uni traversait une période de grand bouleversement : la décolonisation de l'empire britannique était entamée et le pays sortait victorieux mais exsangue de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, le Royaume-Uni a perdu de l'influence sur la scène internationale, notamment après le Brexit. En interne, le pays traverse une crise économique et connaît des grèves inédites. Et à 74 ans, Charles est le roi britannique le plus âgé à entamer son règne. "Compte tenu de son âge, il a beaucoup moins de latitude que sa mère pour se réinventer", reprend Isabelle Baudino.
Un prince aux opinions bien arrêtées
Dans l'ombre de sa mère pendant des décennies, le prince de Galles a peiné à attendre son heure. Dès les années 1970, il alerte* sur "les effets effroyables de la pollution" et entreprend plusieurs projets de défense de l'environnement. "Ces idées n'étaient pas du tout partagées à l'époque et la presse se moquait de lui", se remémore l'historien de la monarchie britannique Ed Owens. "Mais sur ce point, il a finalement été précurseur", même si sa vision de l'écologie ne fait pas consensus.
"Le roi défend l'environnement, mais voyage en jet privé. La jeune génération est particulièrement critique de ce genre d'hypocrisie. Ça sera un défi pour lui de rassembler sur ce sujet."
Ed Owens, historien de la monarchie britanniqueà franceinfo
Le prince prend des libertés avec sa fonction. A plusieurs reprises, il alpague l'exécutif sur ses sujets de prédilection, comme les médecines alternatives, relate The Guardian*. En 2007, il écrit au gouvernement pour dénoncer une "campagne anti-homéopathie". En 2009, via sa marque bio Duchy Originals, il vend une mixture supposée "detox" à base d'artichaut et de pissenlit, rapporte Reuters*. En 2016, en Italie, il vante les mérites très discutés de l'agriculture biodynamique.
Charles ne cache pas non plus son aversion pour l'architecture moderne. A propos d'un projet d'extension de la National Gallery, un musée à Londres, il décrit un "monstrueux furoncle", raconte The Guardian*.
Ses prises de position passées pèsent encore sur son image. "La fonction royale a une dimension institutionnelle, mais aussi une dimension personnelle, rappelle Isabelle Baudino. La popularité ne se transmet pas automatiquement, elle dépend de la personnalité de celui qui l'incarne."
Une vie privée déballée qui a façonné son image
En revêtant les habits de roi, Charles III emporte aussi avec lui les tourments de sa vie privée. Pendant des années, les médias ont étalé les vicissitudes de son mariage et de son divorce avec Diana Spencer. "Dans les années 1980 et 1990, Diana était si aimée du public qu'elle a complètement effacé Charles. Il était très impopulaire, commente Ed Owens. Il était rendu responsable du malheur de Diana, il y avait des débats autour de sa capacité à être roi". Il lui est aussi reproché sa relation cachée avec Camilla Parker-Bowles, son amour de jeunesse.
La mort de "Lady Di" dans un accident de la route à Paris en 1997, achève d'entériner cette réputation. "Les fans de Diana sont encore nombreux et ce passé continue de hanter le roi", ajoute Ed Owens. Le couple royal a bien embauché des professionnels de la communication pour redorer son image, mais l'impopularité de Camilla, devenue reine consort, persiste, comme le souligne un sondage Ipsos*. "Nous parlons d'événements qui se sont passés il y a trente ans, mais certains ne vont jamais lui pardonner, regrette Joe Little, rédacteur en chef de Majesty Magazine. Camilla sera toujours perçue comme une briseuse de ménage."
De leurs côtés, les héritiers de Charles III ne sont pas en reste. Ces dernières années, le prince Harry et son épouse Meghan Markle, tous deux exilés aux Etats-Unis, ont multiplié les accusations à l'encontre de la monarchie. Dans un documentaire sorti en 2022, ils dénoncent des propos racistes tenus au sein de la famille royale. Lors de la sortie de ses mémoires en janvier, Harry raconte par le menu des violences dans sa famille et les plaisanteries de Charles sur l'identité de son père biologique. "La rumeur qui circulait alors [était] que mon véritable père était un ancien amant de maman", écrit-il.
Une monarchie contestée
Ce déballage arrive à un moment où la monarchie est de plus en plus remise en cause. Au Royaume-Uni, les soutiens de la royauté restent rares chez les jeunes. Selon un sondage YouGov* publié en 2021, 41% des 18-24 ans souhaitaient avoir un chef d'Etat élu et seulement 31% étaient favorables à la monarchie. D'autant plus si celle-ci est dirigée par "un roi hétérosexuel, blanc et privilégié", ajoute Pauline McLaran, professeure à l'université de Londres Royal Holloway, autrice d'un ouvrage sur la monarchie dans la culture populaire.
"A une époque où il y a une prise de conscience accrue des inégalités, de la diversité des identités, le roi n'a franchement pas tous les atouts pour être populaire."
Pauline MacLaran, professeure à la Royal Holloway University of Londonà franceinfo
La vaste réflexion en cours sur le passé impérialiste, esclavagiste et colonialiste de la famille royale, nourrit aussi les oppositions à la monarchie. Dans certains pays du Commonwealth, l'idée de devenir une république, à l'image de la Barbade, fait son chemin. En 2022, le Premier ministre jamaïcain a ainsi jugé "inévitable" la transition de son pays vers un régime républicain.
Conscient de ces enjeux, le roi tente de s'adapter. Lors de ses déplacements, "il s'est montré proche des gens, il s'est intéressé à leurs problèmes", décrit Ed Owens. En visite à Leeds, il a affirmé que la responsabilité du pays dans le commerce d'esclaves ne devait pas être cachée. Il est aussi allé rencontrer des réfugiés soudanais du Darfour, et a vanté le rôle des pays du Commonwealth dans la lutte contre le réchauffement climatique.
A l'approche du couronnement, Buckingham Palace insiste sur l'engagement caritatif du roi, sur le rôle de sa fondation qui aide les jeunes ou les chômeurs. Pour les trois jours de célébrations, une journée est même consacrée au "Big Help Out" ("Jour de l'entraide"). Les participants sont invités à donner de leur temps pour une association. Pour le journaliste Joe Little, ces initiatives montrent que la monarchie et son monarque sauront toujours s'adapter. D'autant plus, dit-il, que "Charles III a eu soixante-dix ans pour s'y préparer".
* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des contenus en anglais.
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