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Royaume-Uni : on vous résume le scandale Windrush, qui a entraîné la démission de la ministre de l'Intérieur

Theresa May a nommé, ce lundi, Sajid Javid au poste de ministre de l'Intérieur en remplacement d'Amber Rudd. Objectif : tirer un trait sur le scandale lié au traitement d'immigrés de longue date qui ébranle une nouvelle fois son autorité de Première ministre.

Article rédigé par franceinfo
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Amber Rudd devant la Chambre des communes, à Londres (Royaume-Uni), le 26 avril 2018.  (AFP)

Le "fusible" de la Première ministre a sauté. La ministre de l'Intérieur britannique, Amber Rudd, l'une des plus proches alliées de Theresa May, a démissionné dimanche 29 avril. Depuis deux semaines, elle était sur la sellette, plombée par les scandales liés au traitement des immigrés par ses services. Franceinfo vous explique le contexte et les enjeux de cette affaire. 

Pourquoi parle-t-on de "génération Windrush" ?

A l'origine du scandale sur la politique de l'immigration au Royaume-Uni, la colère des Britanniques face au traitement réservé aux immigrés du Commonwealth (l'ancien empire britannique) arrivés pour reconstruire le pays après la Seconde Guerre mondiale. Ces immigrés sont ceux de la "génération Windrush", du nom de l'Empire-Windrush, l'un des premiers bateaux desquels ils ont débarqué depuis la Jamaïque en 1948.

Ces immigrés, arrivés des Caraïbes dans les années 1950-1960 de manière légale, font l'objet de procédures d'expulsion faute de pouvoir produire les pièces justificatives qui leur ont été demandées ces dernières années. 

Car en 1971, le droit au séjour a été supprimé et, parallèlement, ces immigrés ont obtenu le droit de rester indéfiniment sur le territoire. Mais certains n'ont jamais réclamé de papiers d'identité en bonne et due forme. Au Royaume-Uni, la carte d'identité n'est pas obligatoire et "les intéressés, la plupart trop modestes pour voyager, n’ont pas demandé de passeport", note Le MondeAvec le durcissement de la législation sur l'immigration en 2012 et l'instauration d'une politique officiellement intitulée "d'environnement hostile à l’immigration illégale", ils se sont retrouvés traités comme des immigrés illégaux.

Depuis le mois de mars, la presse britannique se fait l'écho des difficultés que doivent affronter la génération Windrush : perte de logement, de travail, refus de traitement médical, privation de prestations sociales, menace d'expulsion... Le cas emblématique de Sylvester Marshall, un infirmier âgé de 63 ans et vivant au Royaume-Uni depuis plus de quarante-quatre ans, à qui un traitement de son cancer de la prostate a été refusé, a suscité l'indignation dans l'opinion. 

Qu'est-ce que la politique de "l'environnement hostile à l’immigration illégale"?

L'affaire Windrush soulève de nombreuses questions sur les six années (2010-2016) que Theresa May a passées au ministère de l'Intérieur, marquées par sa détermination à réduire l'immigration. En 2012, l'actuelle Première ministre britannique a lancé la politique de "l'environnement hostile à l'immigration".

"Il s’agissait d'encourager les propriétaires, les employeurs, les médecins, à contrôler la régularité du séjour de leurs salariés, locataires et patients, les 'suspects' étant de fait repérés par leur couleur de peau, leur accent ou leur lieu de naissance", explique Le Monde. Des dizaines de milliers de migrants légaux se sont retrouvés pris dans les mailles du filet, faute de disposer d'une pièce d'identité et des documents nécessaires pour prouver leurs dizaines d'années de présence sur le territoire britannique.

En 2013, des camions publicitaires ont circulé dans les rues de Londres, affichant un message hostile : "Au Royaume-Uni illégalement ? Rentrez chez vous ou prenez le risque de vous faire arrêter." Face au tollé créé par cette campagne pourtant défendue par la ministre de l'Intérieur de l'époque, Theresa May, et le Premier ministre, David Cameron, les camions ont rapidement disparu de la circulation, rappelle Libération

Comment a réagi le gouvernement britannique à ce scandale ?

Après la révélation des difficultés rencontrées par la génération Windrush et ses descendants, le gouvernement britannique a peiné à s'expliquer. Le 10 avril, le cabinet de Theresa May a refusé de recevoir douze ambassadeurs de pays situés dans les Antilles britanniques, avant de revenir sur son refus sous la pression, le 16 avril, rapporte Libé

Au Parlement britannique, le travailliste David Lammy, signataire avec 140 députés de tous les bords d'un texte réclamant des "excuses" à la Première ministre, a pris la parole pour dénoncer une "rhétorique d'extrême droite"

Finalement, la Première ministre a été contrainte de s'excuser le 17 avril auprès des dirigeants antillais venus à l'occasion du sommet du Commonwealth à Londres. Un service consacré à la régularisation des immigrés d'origine caribéenne a été créé. Le 19 avril, Theresa May a également présenté ses excuses auprès de la communauté antillaise dans une lettre publiée dans The Voice, le journal des Afro-Caribéens en Grande-Bretagne.

Interrogée sur le scandale Windrush par les parlementaires le 25 avril, la ministre de l'Intérieur a affirmé que le Royaume-Uni n'avait pas d'objectifs en matière d'éloignement des immigrants. Problème : le Guardian (en anglais) a publié, dimanche 29 avril, une lettre envoyée l'an dernier par Amber Rudd à Theresa May dans laquelle elle évoquait un objectif "ambitieux mais atteignable" en termes de hausse des expulsions d'immigrants.

Accusée d'avoir trompé les députés, Amber Rudd a finalement présenté sa démission le jour même. "J'ai involontairement trompé la commission parlementaire des affaires intérieures sur les objectifs de déplacement des immigrés clandestins pendant leurs questions sur Windrush", a reconnu Amber Rudd dans sa lettre de démission à Theresa May.

Le scandale Windrush a, à juste titre, mis en lumière un dossier important pour notre pays.

Amber Rudd

dans sa lettre de démission

Pourquoi est-ce un nouveau coup dur pour Theresa May ?

Avec le départ d'Amber Rudd, Theresa May se retrouve en première ligne pour défendre une politique dont elle a été la principale instigatrice alors qu'elle était elle-même ministre de l'Intérieur. "L'architecte de cette crise, Theresa May, doit maintenant venir expliquer de façon honnête et détaillée comment cette situation inexcusable a pu se créer sous son ministère", a ainsi ironisé la députée travailliste Diane Abbott, laissant entendre qu'Amber Rudd a servi de fusible à Theresa May. La Première ministre britannique a perdu son "bouclier humain", pour la députée Dawn Butler en charge des questions d'égalité dans l'opposition travailliste. "Il est temps qu'elle démissionne à son tour", a tweeté la députée.

La démission de l'une des plus proches alliées et fidèles de Theresa May est donc un nouveau coup dur pour la Première ministre. La dirigeante doit affronter le 3 mai des élections municipales à valeur de test pour son gouvernement, déjà déchiré par le Brexit et qui dispose d'une très mince majorité au Parlement.

C'est aussi la quatrième démission d'un membre du gouvernement en six mois, après celles du ministre de la Défense Michael Fallon et du vice-Premier ministre Damian Green pour harcèlement sexuel, ainsi que de la secrétaire d'Etat au développement, Priti Patel. 

Lundi 30 avril, Sajid Javid, 48 ans, fils d'immigrés pakistanais, a été nommé en remplacement d'Amber Rudd. Avec sa nomination, le ministère de l'Intérieur est pour la première fois dans les mains d'une personnalité politique issue de l'immigration. Theresa May maintient aussi grâce à lui un équilibre délicat au sein du gouvernement entre les pro-Brexit et les europhiles : Sajid Javid a voté pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, mais depuis, il s'oppose à un Brexit "doux".

La cheffe du gouvernement britannique est en pleines négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, prévue le 29 mars 2019.

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