Ce que l'on sait de l'arrestation en Russie du Français Laurent Vinatier, soupçonné par Moscou de récolter des informations militaires

Collaborateur d'une ONG suisse, ce chercheur a été arrêté jeudi pour violation d'une loi russe sur les "agents de l'étranger". Emmanuel Macron a assuré qu'"en aucun cas" il "n'était quelqu'un qui travaillait pour la France".
Article rédigé par franceinfo
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Le drapeau russe flotte au-dessus de l'ambassade de Russie, à Berlin (Allemagne), le 3 mai 2024. (KAY NIETFELD / DPA / MAXPPP)

Des "menaces" faites à la France, mais aussi "un signe de fébrilité" de la part de la Russie. C'est en ces termes qu'Emmanuel Macron a évoqué l'annonce faite par les autorités russes, jeudi 6 juin, de l'arrestation d'un ressortissant français à Moscou. Selon le comité d'enquête russe, Laurent Vinatier, collaborateur d'une ONG suisse, est soupçonné d'avoir collecté des informations militaires et d'avoir violé la loi russe sur les agents étrangers. Voici ce que l'on sait de son interpellation, qui s'inscrit dans un contexte particulièrement tendu entre Paris et Moscou sur fond de soutien militaire français à l'Ukraine.

Une procédure pénale pour violation d'une loi sur les agents de l'étranger

Les autorités russes ont diffusé jeudi sur Telegram la vidéo de l'arrestation d'un Français dans un restaurant moscovite. Le visage de l'homme est flouté. Dans son communiqué, le comité d'enquête russe annonce avoir "ouvert une procédure pénale", sans dévoiler l'identité du mis en cause. "Selon les enquêteurs, pendant plusieurs années, l'accusé (...) a procédé à une collecte ciblée d'informations dans le domaine des activités militaires et militaro-techniques de la Fédération de Russie". Les données recueillies "pourraient être utilisées contre la sécurité de l'Etat".

Cette opération est justifiée par l'article 330.1 du Code pénal russe, selon le message posté par le comité d'enquête. Moscou exige que toute personne bénéficiant d'un soutien étranger ou sous influence étrangère se déclare aux autorités en tant qu'"agent de l'étranger". Cette loi concerne même ceux qui recueillent des informations non classifiées sur des questions militaires. Tout manquement est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans de prison. En octobre 2023, la reporter russo-américaine Alsu Kurmasheva avait été inculpée en vertu de ce même article.

Le Français Laurent Vinatier va être placé en détention provisoire jusqu'au 5 août, selon la décision du tribunal Zamoskvoretski de Moscou ordonnée vendredi. La cour a prononcé cette décision, à la demande des enquêteurs, bien que l'accusé ait présenté des "excuses" pour ne pas s'être enregistré comme agent de l'étranger.

Un chercheur spécialiste de l'ex-URSS

L'identité de l'homme arrêté a été publiquement dévoilée quelques heures plus tard, notamment par l'agence de presse étatique russe Tass. Laurent Vinatier, un chercheur français de 48 ans, est un spécialiste des zones post-soviétiques. Son compte LinkedIn précise qu'il a étudié le conflit en Tchétchénie dans le cadre d'un doctorat en 2008. Il y est aussi écrit que Laurent Vinatier officie actuellement en tant que conseiller pour l'ONG suisse Centre for Humanitarian Dialogue (HD) et se concentre sur "la Russie, l'Ukraine, la Moldavie, le Tadjikistan, l'Azerbaïdjan et l'Ouzbékistan".

Contactée par Le Figaro, l'organisation de médiation basée à Genève a répondu : "Nous nous efforçons d'obtenir plus de détails sur les circonstances [de l'arrestation] et d'obtenir la libération de Laurent." Vendredi, l'ONG a également publié un communiqué, dans lequel elle confirme que Laurent Vinatier est "employé du centre (...) conseiller de l'équipe Eurasie". "Expert en affaires régionales en Eurasie, c’est un ressortissant français qui vit en Suisse et voyage régulièrement pour son travail", précise l'organisation. Le centre ajoute qu'il tente de l'aider "à obtenir une représentation juridique en Russie".

Un expert économique russe réputé, cité par Les Echos sous couvert d'anonymat, rapporte que Laurent Vinatier se trouvait à Saint-Pétersbourg mardi. "Comme toujours avec Laurent, nous avons parlé de sujets humanitaires. Rien de politique. Rien de militaire. Puis, il est reparti vers Moscou", a-t-il confié. Pour Sylvain Tronchet, la vidéo de l'interpellation diffusée sur les réseaux n'est pas anodine : "La mise en scène de son arrestation n'est pas bon signe."

L'homme "ne travaillait pas pour la France", selon Emmanuel Macron

Lors d'une conférence de presse avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron a appelé vendredi à la "libération la plus rapide" du chercheur français. Le président de la République a confirmé jeudi l'arrestation de l'homme sur France 2 (à partir de la 28e minute sur la vidéo).

"Il s'agit d'un de nos compatriotes qui travaille pour une ONG suisse (…) qui fait de la diplomatie et des travaux de discussion", a-t-il précisé lors de cette interview, assurant qu'"en aucun cas" Laurent Vinatier "n'était quelqu'un qui travaillait pour la France". Le chef de l'Etat a affirmé que le mis en cause était employé par cette ONG "qui sert beaucoup de grandes figures internationales".

Dans l'émission "C dans l'air" diffusée jeudi sur France 5, le correspondant de Radio France à Moscou, Sylvain Tronchet, a précisé que Laurent Vinatier "n'est pas un inconnu, ni de la communauté française, ni des autorités russes".

Un contexte de tensions croissantes entre Paris et Moscou 

Cette arrestation intervient alors que la relation franco-russe ne cesse de s'envenimer, Moscou reprochant à Paris, comme à d'autres capitales occidentales, son soutien militaire à Kiev, menaçant de représailles à chaque fois qu'un nouveau pas est franchi dans l'aide à l'armée ukrainienne.

Quelques heures après cette arrestation, Emmanuel Macron a d'ailleurs annoncé le renforcement de l'aide à l'Ukraine avec "la cession de Mirage 2000-5" et la formation de militaires ukrainiens en France. Vendredi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a qualifié ces annonces d'"extrêmement provocatrices", y voyant le signe que "la République française est prête à participer directement au conflit".

Les autorités françaises suspectent en outre la Russie d'être à la manœuvre derrière les tentatives d'ingérence survenues ces dernières semaines. "On a vu ces mains rouges sur le Mémorial de la Shoah, on a vu ces étoiles de David taguées sur des murs. On a vu encore récemment les cercueils qui ont été déposés sous la tour Eiffel", a énuméré Gabriel Attal sur France 2, jeudi. Le chef du gouvernement y voit "un poison qui cherche à manipuler l'opinion" et qui peut être "notre nouvelle guerre mondiale".

Mardi, un homme de nationalité russo-ukrainienne, âgé de 26 ans, a été placé en garde à vue après s'être gravement brûlé en confectionnant un engin explosif artisanal dans sa chambre d'hôtel, près de l'aéroport de Roissy. Une source proche du dossier a précisé à franceinfo qu'il avait "possiblement été engagé dans l'armée russe". Le Parquet national antiterroriste s'est saisi.

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