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La Russie aura son propre droit à l'oubli
Vladimir Poutine vient de signer une loi votée au parlement russe en juin 2015. Le texte, largement inspiré de la récente décision de la Cour de justice de l'Union européenne contre Google, ne plaît pas aux géants du web russe.
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Le texte de loi entrera en vigueur le 1er janvier 2016. Au regard de cette législation, les moteurs de recherche comme Yandex, l'équivalent russe de Google, seront tenus de supprimer toute information «non pertinente ou inexacte» sur la simple demande d'un internaute. Toute demande devra être examinée sous 10 jours et chaque refus sera motivé. Si le demandeur estime le refus injustifié, il pourra déposer une plainte auprès de Roskomnadzor, l'organe étatique qui gère les médias et internet. La seule exception possible, lorsque l'information en question constitue une infraction pénale, concerne un procès en cours, ou des activités criminelles non encore élucidées.
Les géants du web russe mécontents
Entre la première et la troisième lecture du texte, les lobby d'internet ont réussi à faire passer quelques amendements, qui n'ont pas été rendus publics. Toutefois, la loi telle qu'elle a été validée en dernière lecture ne leur convient pas, et ils le font savoir.
Assia Melkoumova, représentante de Yandex, le moteur de recherche le plus utilisé en Russie, considère que la loi «viole le droit constitutionnel des citoyens d'accéder à l'information». Selon elle, la loi ouvre la voie à de nombreux abus, car les moteurs de recherche n'ont pas les mêmes «compétences» que les agences gouvernementales à déterminer de façon indépendante l'exactitude des informations publiées sur Internet, leur légalité, et leur lien avec des affaires criminelles. Tout cela, selon elle, conduira à des perturbations dans le fonctionnement des moteurs de recherche.
Cette réaction fait écho à celle du directeur des communications externes de Rambler & Co (Rambler est l'équivalent de Netvibes en Russie, NDLR) Matthew Alexeev, selon lequel les Russes vont largement user de ce nouveau droit dans les années à venir, ce qui provoquera «indéniablement» une forte baisse de trafic sur certains sites qui disparaîtront des moteurs de recherche.
Le porte-parole de Google, lui, n'a pas encore commenté cette nouvelle loi mais s'était déjà fermement opposé à l'imposition d'une telle réglementation en Europe.
Un projet inspiré de l'Union Européenne
Les députés ont ouvertement basé leur texte sur la pratique européenne, alors même qu'il n'y a pas de législation européenne sur la question. Les Russes font référence à une décision rendue par la Cour de justice de l'Union Européenne qui permet aux citoyens européens, depuis mai 2014, de demander aux moteurs de recherche de supprimer des liens vers des informations à leur sujet.
L'affaire était partie d'un cas particulier, celui d'un Espagnol qui réclamait à l'Autorité espagnole de protection des données la suppression de deux articles de presse évoquant ses dettes. Il demandait aussi à ce qu'ils ne soient plus référencés sur Google, puisque que ces informations n'étaient plus d'actualité. La justice espagnole a renvoyé l'affaire vers la Cour de justice de l'Union européenne qui s'est prononcée en faveur du plaignant.
Depuis un peu plus d'un an, Google a reçu un peu plus de 282.500 requêtes pour la suppression de 1,02 million de liens.
Une autre loi controversée
En Russie, une récente loi qui a fait beaucoup de bruit oblige les réseaux sociaux ou «toute entité organisant la propagation d'informations en ligne» à héberger leurs données en Russie afin de faciliter les contrôles policiers. Certaines entreprises étrangères, comme Google, ont dû déménager leurs serveurs vers la Russie, ce qui implique un certain coût et une logistique importante. Le gouvernement justifie ces mesures par une volonté de «lutter contre la propagande terroriste en ligne». Pour les ONG et associations des droits de l'Homme, il s'agit plutôt de violations flagrantes de la liberté d'expression.
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