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Russie, Chine, Japon: 99% de condamnés... mais pas pour les mêmes raisons
Russie, Chine, Japon. Les tribunaux de ces trois pays ont en commun un taux de condamnation supérieur à 99%. Pourtant, il semble impossible de tirer une conclusion générale tant les situations qui aboutissent à ces chiffres invraisemblables sont différentes.
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Russie : l’héritage soviétique
«L’avocat de la défense n’est pas là pour obtenir un acquittement, il est là pour obtenir une peine la plus faible possible», explique Mark Feigin, qui avait notamment défendu les Pussy Riots lors de leur procès. En Russie, un acquittement est inhabituel, voire suspect, comme dans le cas du docteur Kratov, innocenté malgré un dossier lourd dans l’affaire de la mort de l’avocat Sergeï Magnitsky. Si l’on se réfère aux travaux de l’historien Kozhevnikov sur l’ère stalinienne, un accusé devant un tribunal russe a aujourd’hui dix fois moins de chances d’être jugé innocent que lors des Grandes purges des années 30.
«Pardon, pouvez-vous répéter les chiffres, je pense avoir mal compris»... La stupeur de Dmitri Medvedev, alors président, lors de la présentation d’un rapport du conseil du Kremlin en charge des droits de l’Homme, traduit bien la séparation entre le système judiciaire russe et le reste du pays. Un taux de condamnation de 99% n’est pas nécessairement le signe d’un système judiciaire aux ordres des politiciens moscovites. Avocats et universitaires s’accordent au contraire à dire que le «sistema» russe reste aujourd’hui un héritage de l’URSS vivant en quasi-autarcie. Dans ce monde à part, les rares acquittements sont obtenus par loyauté personnelle et protection individuelle. Pour le reste, la vieille mentalité soviétique selon laquelle un accusé est forcément coupable continue à prédominer.
Chine : la répression légale
1,16 millions de personnes passées devant les tribunaux en 2013: 825 acquittements. Avec un taux de condamnation d’environ 99,96%, le système judiciaire chinois est sans doute le plus radical au monde, mais certainement pas le plus juste. Depuis longtemps, la plupart des juridictions chinoises se vantent de taux d’élucidation de 100% dans les affaires criminelles. D’abord source de fierté pour les Chinois, ces chiffres soutenus par des arrestations hâtives ont commencé à enfoncer un coin entre la population et les autorités. Début 2013, une série de condamnations pour meurtre erronées ont été publiquement révélées, embarrassant le système policier et judiciaire. La même année, l'effort de Pékin contre la corruption a mis en lumière des séries de dysfonctionnements policiers et judiciaires. En mai 2013, pour la première fois, un juge de la Cour Suprême chinoise appelait ses confrères à préférer l’acquittement d’un coupable à la condamnation d’un innocent.
L'introduction de la présomption d’innocence dans le débat public chinois est intéressante, mais elle ne doit pas masquer l’utilisation systématique du système judiciaire contre les dissidents. L’exemple parfait en fut donné en 2009 lors du procès du prix Nobel de la Paix Liu Xiaobo pour «incitation à la subversion de l'Etat», un crime générique introduit en 1997 dans le code pénal chinois. Dans un des procès les plus médiatisés de la dernière décennie, il ne fut jamais donné le droit à la parole à l'accusé avant sa condamnation à 11 ans de prison. Selon un rapport de l'association Chinese Human Rights Defenders, cet article est de plus en plus utilisé par les autorités chinoises pour emprisonner des dissidents, notamment ceux s'exprimant sur internet. Aucun acquittement n'a été prononcé lors de l'utilisation de ce chef d'accusation.
Japon : confession express
Le Japon est considéré, à raison, comme le pays developpé et démocratique avec le plus faible taux de criminalité. Pourtant, son système judiciaire constitue un point noir sur la situation des droits de l'Homme dans le pays. Le Japon possède lui aussi un taux de condamnation de plus de 99% mais, surtout, 93% de ces condamnations sont prononcées à la suite d’une confession du suspect. Il ne faut pas seulement y voir une culture japonaise de l'auto-récrimination. Les pouvoirs du procureur et de la police en terme de pression sur les personnes arrêtées sont sans égal. Au Japon, la garde à vue peut durer jusqu’à 23 jours consécutifs, sans la présence de l’avocat du prévenu.
Les failles de ce système avaient été mises en évidence par The Economist lors d’une affaire de viol, ou deux personnes différentes purgeaient simultanément une peine de prison pour le même crime, après avoir tous deux avoué. De la même manière, un pirate informatique s'est joué des services de police en envoyant des messages de menaces depuis l'ordinateur de citoyens ordinaires. Les services de police firent avouer quatre personnes différentes avant que le pirate ne révèle la supercherie et force la police à présenter ses excuses.
Il faut toutefois nuancer les chiffres. Le taux de condamnation ne reflète que les affaires emmenées jusqu’au tribunal. Selon une étude publiée par Mark Ramseyer et Eric Rasmussen de l’Université d’Harvard, ce taux provient aussi d’une forme d’autocensure des procureurs japonais. En raison de budgets faibles, ces derniers n’emmèneraient à la Cour que les dossiers qu’ils sont sûrs de gagner. En l’absence d’un dossier certain ou d’une confession, certains suspects sont relâchés sans mise en examen à l’issue de leur garde à vue.
Depuis 1999, le gouvernement de Tokyo a refusé à de nombreuses reprises de répondre aux associations pour les droits de l'Homme demandant une réforme du régime de garde à vue. En 2012 en revanche, le pays a instauré des jurys populaires pour la première fois depuis 1943. Bien que la mesure soit trop jeune pour que des effets significatifs puissent être observés, la plupart des juristes en admirent la conception. Les panels de jurés sont invités à participer activement au procès, en compagnie des juges.
«L’avocat de la défense n’est pas là pour obtenir un acquittement, il est là pour obtenir une peine la plus faible possible», explique Mark Feigin, qui avait notamment défendu les Pussy Riots lors de leur procès. En Russie, un acquittement est inhabituel, voire suspect, comme dans le cas du docteur Kratov, innocenté malgré un dossier lourd dans l’affaire de la mort de l’avocat Sergeï Magnitsky. Si l’on se réfère aux travaux de l’historien Kozhevnikov sur l’ère stalinienne, un accusé devant un tribunal russe a aujourd’hui dix fois moins de chances d’être jugé innocent que lors des Grandes purges des années 30.
«Pardon, pouvez-vous répéter les chiffres, je pense avoir mal compris»... La stupeur de Dmitri Medvedev, alors président, lors de la présentation d’un rapport du conseil du Kremlin en charge des droits de l’Homme, traduit bien la séparation entre le système judiciaire russe et le reste du pays. Un taux de condamnation de 99% n’est pas nécessairement le signe d’un système judiciaire aux ordres des politiciens moscovites. Avocats et universitaires s’accordent au contraire à dire que le «sistema» russe reste aujourd’hui un héritage de l’URSS vivant en quasi-autarcie. Dans ce monde à part, les rares acquittements sont obtenus par loyauté personnelle et protection individuelle. Pour le reste, la vieille mentalité soviétique selon laquelle un accusé est forcément coupable continue à prédominer.
Chine : la répression légale
1,16 millions de personnes passées devant les tribunaux en 2013: 825 acquittements. Avec un taux de condamnation d’environ 99,96%, le système judiciaire chinois est sans doute le plus radical au monde, mais certainement pas le plus juste. Depuis longtemps, la plupart des juridictions chinoises se vantent de taux d’élucidation de 100% dans les affaires criminelles. D’abord source de fierté pour les Chinois, ces chiffres soutenus par des arrestations hâtives ont commencé à enfoncer un coin entre la population et les autorités. Début 2013, une série de condamnations pour meurtre erronées ont été publiquement révélées, embarrassant le système policier et judiciaire. La même année, l'effort de Pékin contre la corruption a mis en lumière des séries de dysfonctionnements policiers et judiciaires. En mai 2013, pour la première fois, un juge de la Cour Suprême chinoise appelait ses confrères à préférer l’acquittement d’un coupable à la condamnation d’un innocent.
L'introduction de la présomption d’innocence dans le débat public chinois est intéressante, mais elle ne doit pas masquer l’utilisation systématique du système judiciaire contre les dissidents. L’exemple parfait en fut donné en 2009 lors du procès du prix Nobel de la Paix Liu Xiaobo pour «incitation à la subversion de l'Etat», un crime générique introduit en 1997 dans le code pénal chinois. Dans un des procès les plus médiatisés de la dernière décennie, il ne fut jamais donné le droit à la parole à l'accusé avant sa condamnation à 11 ans de prison. Selon un rapport de l'association Chinese Human Rights Defenders, cet article est de plus en plus utilisé par les autorités chinoises pour emprisonner des dissidents, notamment ceux s'exprimant sur internet. Aucun acquittement n'a été prononcé lors de l'utilisation de ce chef d'accusation.
Japon : confession express
Le Japon est considéré, à raison, comme le pays developpé et démocratique avec le plus faible taux de criminalité. Pourtant, son système judiciaire constitue un point noir sur la situation des droits de l'Homme dans le pays. Le Japon possède lui aussi un taux de condamnation de plus de 99% mais, surtout, 93% de ces condamnations sont prononcées à la suite d’une confession du suspect. Il ne faut pas seulement y voir une culture japonaise de l'auto-récrimination. Les pouvoirs du procureur et de la police en terme de pression sur les personnes arrêtées sont sans égal. Au Japon, la garde à vue peut durer jusqu’à 23 jours consécutifs, sans la présence de l’avocat du prévenu.
Les failles de ce système avaient été mises en évidence par The Economist lors d’une affaire de viol, ou deux personnes différentes purgeaient simultanément une peine de prison pour le même crime, après avoir tous deux avoué. De la même manière, un pirate informatique s'est joué des services de police en envoyant des messages de menaces depuis l'ordinateur de citoyens ordinaires. Les services de police firent avouer quatre personnes différentes avant que le pirate ne révèle la supercherie et force la police à présenter ses excuses.
Il faut toutefois nuancer les chiffres. Le taux de condamnation ne reflète que les affaires emmenées jusqu’au tribunal. Selon une étude publiée par Mark Ramseyer et Eric Rasmussen de l’Université d’Harvard, ce taux provient aussi d’une forme d’autocensure des procureurs japonais. En raison de budgets faibles, ces derniers n’emmèneraient à la Cour que les dossiers qu’ils sont sûrs de gagner. En l’absence d’un dossier certain ou d’une confession, certains suspects sont relâchés sans mise en examen à l’issue de leur garde à vue.
Depuis 1999, le gouvernement de Tokyo a refusé à de nombreuses reprises de répondre aux associations pour les droits de l'Homme demandant une réforme du régime de garde à vue. En 2012 en revanche, le pays a instauré des jurys populaires pour la première fois depuis 1943. Bien que la mesure soit trop jeune pour que des effets significatifs puissent être observés, la plupart des juristes en admirent la conception. Les panels de jurés sont invités à participer activement au procès, en compagnie des juges.
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