"Visite symbolique" ou "renforcement des liens militaires" : que fait le ministre de la Défense russe en Corée du Nord ?
Des fleurs, des soldats en rang d'oignon et des banderoles de bienvenue rédigées en russe et en coréen. Le ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou, a été accueilli en grande pompe par son homologue nord-coréen Kang Sun-nam, mardi 25 juillet, à l'aéroport de Sunan, dans la banlieue de Pyongyang (Corée du Nord). La délégation russe vient assister au 70e anniversaire de la "Victoire du peuple coréen" dans la guerre de 1950-1953 – une trêve militaire entre les deux Corées, qui sont officiellement toujours en guerre. Cette visite doit également permettre de "renforcer les liens militaires" entre les deux pays, annonce le ministère russe dans un communiqué.
Sergueï Choïgou a déposé mercredi une gerbe devant le monument en hommage à Kim Il-sung et Kim Jong-il, sur la colline de Mansu, au cœur de la capitale. Puis il s'est rendu devant le monument aux soldats soviétiques tombés pendant la Seconde Guerre mondiale, une immense stèle de granit de 30 m de haut couronnée d'une étoile rouge, érigée sur la colline Moran. Une délégation chinoise est également attendue dans la capitale, avec à sa tête Li Hongzhong, l'un des 25 membres du bureau politique du Parti communiste chinois.
“C'est la première fois depuis 2019 que le pays accueille des délégations étrangères de haut niveau", après une longue fermeture liée à la pandémie de Covid-19, souligne Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. A ce stade, pour autant, les autorités nord-coréennes n'ont pas précisé si cet épisode inaugurait de nouvelles règles pour les voyages transfrontaliers. Pour la Corée du Nord, en tout cas, "il est important de montrer qu'elle n'est pas isolée et qu'elle a des partenaires, en l'occurrence la Russie et la Chine, depuis un traité de 1961", précise Antoine Bondaz.
Washington accuse Pyongyang de vouloir livrer des munitions
La présence d'un ministre de la Défense russe en exercice est, à ce titre, un événement remarquable. Reste à savoir pourquoi Sergueï Choïgou a fait le déplacement, alors que son pays poursuit son invasion de l'Ukraine. Lors d'un entretien avec son homologue, le responsable a qualifié la Corée du Nord de "partenaire important" de la Russie, mais il n'a pas livré de détails sur la traduction militaire de ce rapprochement.
En novembre 2022, la Maison Blanche avait déjà accusé Pyongyang d'envisager de livrer des munitions à Moscou. Quatre mois plus tard, elle avait accusé Moscou d'avoir tenté d'obtenir des armes auprès de Pyongyang, en échange de nourriture et de matières premières. La Russie et la Corée du Nord ont toujours nié le bien-fondé de ces déclarations. "Les satellites de renseignement, notamment américains, mais également français, de temps en temps, observent la mise en œuvre des sanctions, souligne Antoine Bondaz, circonspect. De telles livraisons, si elles avaient abouti, auraient été identifiées."
La situation pourrait-elle évoluer ? Selon l'agence Bloomberg, la Corée du Nord pourrait vendre à Moscou de vieux obus de 152 mm, compatibles avec les armes soviétiques, afin de financer son coûteux programme nucléaire et balistique. "Il n'est pas impossible que la Corée du Nord ait la capacité de produire beaucoup d'obus et de munitions d'artillerie", souligne Antoine Bondaz, mais ce pays "a surtout mis le paquet sur ses capacités asymétriques, comme le nucléaire ou les missiles balistiques".
Par ailleurs, "de potentielles livraisons marqueraient une violation grossière des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, dont la Russie est un membre permanent." En théorie, Pyongyang n'a plus le droit d'exporter d'armements depuis l'adoption de plusieurs textes par le Conseil, en 2006 et 2009. Cela ne l'a pas empêchée d'expédier par la suite des armes légères à destination de l'Asie du Sud-Est et de l'Afrique.
Moscou et "l'épouvantail nord-coréen"
"A ce stade, nous sommes davantage dans la symbolique et la communication que dans la vraie coopération militaire", résume le chercheur Antoine Bondaz. "La Russie semble agiter l'épouvantail nord-coréen. Pékin et Moscou se présentent en effet comme des stabilisateurs de la région" et veulent montrer aux pays occidentaux qu'ils "pourraient à tout moment arrêter de jouer ce rôle". Avec cette visite sino-russe, Pyongyang cherche de son côté à gagner du poids auprès des pays occidentaux.
Le mois dernier, le dictateur Kim Jong-un avait adressé une lettre à Vladimir Poutine pour le féliciter d'avoir pris la "bonne décision" contre "les menaces croissantes des forces hostiles". A l'occasion de la visite de Sergueï Choïgou, Pyongyang a exprimé son "plein soutien à l'armée et au peuple russes, qui luttent pour défendre le développement et les intérêts de leur pays contre les impérialistes autoritaires et arbitraires", ajoute l'agence d'Etat nord-coréenne KCNA.
Comme la Syrie et la Biélorussie, la Corée du Nord est l'un des rares pays à avoir voté contre les trois résolutions de l'Assemblée générale des Nations unies condamnant les actions de la Russie contre l'Ukraine. Pyongyang a également reconnu les républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk, annexées par la Russie. L'affichage de la proximité entre les deux pays est une constante, depuis des années. "En 2014, quand la Russie a envahi la Crimée, Moscou et Pyongyang avaient déjà mis en scène leur rapprochement, avec l'annulation d'une partie de la dette datant de l'Union soviétique et des annonces de coopération économique, rappelle Antoine Bondaz. Des travailleurs nord-coréens s'étaient ainsi rendus en Russie".
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