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Vladimir Poutine est-il nul en économie ?

Six mois après la dégringolade historique du rouble et sur fond de légère «désescalade» en Ukraine, la Russie n'est pas sortie d'affaire et la récession s'est installée. Les sanctions européennes et américaines ont fonctionné – mais elles ne sont pas seules en cause. Et si, comme le dit un éditorialiste, le président russe conduisait son pays à la ruine ?
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Vladimir Poutine au Forum du business russe à Moscou, le 26 mai 2015. (REUTERS/Maxim Zmeyev)

Dans son Edito éco du 18 mai 2015 sur Europe 1, Nicolas Barré développait une vision pessimiste, voire féroce, de la politique économique russe : si le pays est en récession, ce n'est pas seulement à cause des sanctions européennes. L'éditorialiste pose la question : et si ce «grand stratège» en politique étrangère qu'est Vladimir Poutine, était en réalité une catastrophe en matière d'économie?

Malgré ses postures bravaches, selon Nicolas Barré, le président russe «conduit son pays à la ruine : rien n'a été fait pour en diversifier l'économie. La Russie n'est pas entrée dans la modernité économique : elle a un profil de pays à peine émergent et n'investit plus depuis une dizaine d'années.» Les investisseurs étrangers sont rendus encore plus méfiants par les sanctions, et les Russes qui ont de l'argent préfèrent le placer à l'étranger. Sans compter qu'un sérieux problème démographique s'annonce : ce pays aux 144 millions d'habitants perd chaque année un million de personnes en âge de travailler. Une tendance analysée dès 2010 par Courrier international, et qui risque de le desservir dans le rapprochement qu'il met en place avec la Chine voisine surpeuplée. Conclusion : «Poutine montre ses muscles, mais l'arrière-boutique est moins reluisante : en réalité il est très faible.»


16 décembre 2014 : le «mardi noir» du rouble
On se souvient du krach historique du rouble en décembre 2014 pour cause de chute du prix du baril de pétrole. Catastrophe pour l'économie russe, qui tire des hydrocarbures 50% de ses recettes à l'exportation. Qui dit baisse du prix du pétrole dit rentrées de devises qui fondent et remboursement des milliards de dollars d'emprunts en devises étrangères impossible... La monnaie russe a vécu sa pire crise depuis 1998 et perdu, sur un an, la moitié de sa valeur. Avec un pic le 16 décembre 2014, où le dollar franchit la barre des 80 roubles et l'euro celle des 100... En deux jours, les milliardaires russes, principalement des magnats de l'industrie, perdent 10 milliards de dollars.

Le mardi 16 décembre 2014, ce jour où le rouble a perdu 25% de sa valeur... (Valya Egorshin/NurPhoto)
Malgré un déferlement d'humour noir sur les réseaux sociaux, avec par exemple ce tweet très partagé «Je me suis fait du thé il y a deux roubles, et il est encore chaud», la population a réellement souffert. Le prix des produits de première nécessité a presque doublé : 40% d'augmentation pour les fruits et légumes en un an, une inflation de 11,4% en 2014 et jusqu'à... 17% en mars 2015. Une hausse inégalée depuis 2008, aggravée par l'embargo alimentaire lié à la crise ukrainienne. En janvier, l'agence Standard & Poors dégradait la note de la Russie dans la catégorie «spéculative».

En janvier toujours, le ministre de l’Economie Alexeï Oulioukaïev prévenait que la chute du PIB pourrait atteindre 5% en 2015 faute de rebond des cours du pétrole, que la consommation des ménages pourrait chuter de plus de 5%, et les investissements de plus de 10%.

Six mois plus tard...
En avril, le président russe, qui tablait au départ sur une crise de deux ans, s'est voulu rassurant lors de sa séance de questions-réponses télévisuelles annuelle – pourtant, le FMI ne partage pas cet optimisme. La devise russe s’est redressée en mars et a repris 40% de sa valeur face au dollar, mais l'activité économique est en récession. Celle-ci pénalise les banques : loin du déni affiché lors des cérémonies du 9 mai, trois établissements viennent encore de fermer. Les capitaux ont fui en 2014, et ça (va) continue(r) en 2015, selon le quotidien économique la Tribune.

Pour le Russe moyen, pas d'embellie non plus : la hausse des prix des produits alimentaires – viande, lait, produits agricoles – s'est poursuivie. Résultat, 20% des Russes dépensent la moitié de leur budget pour manger : l'Union des consommateurs réclame même des coupons d'alimentation, «un constat d'échec terrible pour un pays qui compte parmi ceux qui ont les plus grosses ressources naturelles», résume la politologue Cécile Vaissié, dans une émission de RFI d'avril 2015 consacrée à la «débâcle économique russe».

Sanctions et conséquences
Pour les plus riches qui dépensent à l'étranger en dollars, comme pour la classe moyenne émergée dans les années 2000, c'est la fin de l'euphorie de consommation : -9% de ce pouvoir d'achat acquis dans les années 2000 (un PIB par habitant multiplié par 8!) et qui a valu sa popularité à Vladimir Poutine, au temps des succès économiques... Magasins et restaurants ferment, y compris à Moscou. Les galeries ne trouvent plus d'acquéreurs d'art, le secteur du prêt-à-porter est très touché, surtout les boutiques qui ont des loyers en dollars.

Le départ ou le désengagement de certains investisseurs étrangers, notamment dans le secteur automobile, aboutit à des suppressions de postes, 700 en un an pour Ford, mais aussi à des départs négociés ou des CDD non prolongés chez Volkswagen et PSA. La contraction du marché automobile, de 40%, est supérieure à celle qui était prévue (25%). Les sanctions et contre-sanctions liées à la crise en Ukraine s'ajoutent à un ralentissement tendanciel depuis 2012-2013. Même si certains analystes, dont Jacques Sapir (lien en anglais) ou l'auteure d'un blog sur Mediapart, pour qui «la dépréciation du rouble a donné un coup de fouet à la productivité des entreprises russes», veulent croire que La Russie sort de la crise, celle-ci ne semble pas terminée...

Failles structurelles 
Si l'on excepte une industrie informatique en assez bonne forme à l'international, et dont le poids est comparable à celui du secteur auto, la Russie n'a pas diversifié son économie. Le marché russe, très volatile, est très dépendant du cours du pétrole. Quant à la production de gaz naturel, le boom de la vente de gaz de schiste a permis aux États-Unis de doubler la Russie pour la première fois en 2010.

«Rendre l'économie plus forte, plus équilibrée et moins dépendante des rentes volatiles tirées de l'extraction des ressources naturelles représente un défi majeur», note ainsi le rapport de l'OCDE

Graphique du rapport de l'OCDE illustrant la dépendance de l'économie russe aux ressources pétrolières. (oecd.org)

La croissance des années 2000 a été obtenue en renforçant les secteurs non totalement détruits après la chute de l'URSS : ceux qui dépendent des matières premières. Après la lutte contre la corruption (et surtout les oligarques) affichée à l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, l'argent du pétrole reste détenu par les dirigeants des entreprises Rosneft ou Lukoïl, souvent des proches du président. Les richesses ne sont pas réparties et une partie importante de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Loin des vitrines de la consommation à l'occidentale que sont devenues Moscou et Saint-Pétersbourg, dans certaines régions, le budget de la santé a diminué de 40%, explique Cécile Vaissié. Un tiers des hôpitaux russes n'ont pas l'eau chaude. Il reste en Russie une pauvreté fondamentale, de nombreux endroits où le niveau de vie n'a pas été relevé pendant les mandats de Poutine. Quant au taux de chômage, officiellement de 5,5%, il masque beaucoup de temps partiels ou de congés non rémunérés. De nombreux emplois sont sous-payés (avec 500 euros, impossible de vivre à Moscou...).

Le marché intérieur souffre de l'obsolescence d'une partie de l'équipement industriel, disparu dans les années 80 et jamais renouvelé. Le tissu des PME – 20% des entreprises, pas plus que dans les années 90 – n'a pas été développé, non pour des raisons économiques, mais politiques, tenant à la corruption, restée endémique, au poids des fonctionnaires… la plupart des entreprises étant des mastodontes hérités de l'URSS. La seule partie de l'économie qui ne soit pas en récession, c'est le «complexe militaro-industriel», en parfait accord avec la propagande guerrière du gouvernement...

Selon El Mundo, cité par un site russe compilant les articles de la presse internationale consacrés à la Russie, Poutine dirige la Russie à la façon «typique d'un dictateur de pays émergent» (lien en russe). Sans répartition des capitaux et technologies, dépendante de la vente de matières premières et des investissements étrangers, la Russie est menacée d'isolement et de paupérisation... «Poutine est un excellent politicien, mais un mauvais économiste», titre le quotidien espagnol... rejoignant Nicolas Barré. 

«La Russie n'est pas entrée dans la modernité économique», concluait son Édito éco : Vladimir Poutine ne voit pas plus loin que la stratégie à court terme des hydrocarbures... Et au plan international ? Fâché avec l'Europe, il préfère regarder vers la Chine et l'Eurasie.

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