Présidentielle en Russie : qui est Boris Nadejdine, l'opposant antiguerre à la popularité grandissante, dont la candidature vient d'être rejetée ?
Fin de partie pour Boris Nadejdine. La commission électorale a annoncé le rejet de la candidature à la présidentielle en Russie, qui se tiendra mi-mars, de cet opposant à Vladimir Poutine et à la guerre en Ukraine, qui grimpait dans les sondages. Dans le détail, 9 147 signatures de soutien ont été invalidées par le groupe de travail dédié, jeudi 8 février. Et "le nombre de parrainages d'électeurs vérifiés et valables s'élève à 95 587 (...) alors qu'il en fallait 100 000", a rappelé Andreï Choutov, membre de la commission. "Je ferai appel devant la Cour suprême", avait commenté le candidat libéral sur les réseaux sociaux, avant même que la décision ne soit formellement notifiée.
Son absence constitue-t-elle une surprise ? Pas vraiment. "Si j'étais à 1% dans les sondages, je n'aurais aucun doute sur la validation de ma candidature", expliquait-il quelques jours auparavant à franceinfo. Mais "le problème, c'est que ma cote est en train de monter." En clair : Boris Nadejdine estime que sa candidature, même avec 10% des voix, allait gâcher le récit du plébiscite préparé pour Vladimir Poutine. "Pour l'administration présidentielle, cela va devenir compliqué de m'enregistrer."
L'opposant, à ce stade, est condamné à retourner dans un anonymat qu'il n'aurait jamais dû quitter. Elu municipal de Dolgoproudny, une petite ville de la banlieue de Moscou, ce diplômé de droit n'était guère connu du grand public, malgré 30 années passées en politique. Certes, l'ancien député (2000-2003) intervenait parfois dans les débats télévisés pour jouer le rôle, un peu convenu, du bouc émissaire libéral. Mais Boris Nadejdine n'a plus été invité sur un plateau depuis un passage sur NTV. En mai dernier, il avait appelé à remplacer Vladimir Poutine, devant une audience sidérée. Les images ont fait le tour du monde, ce qui a scellé sa carrière télévisuelle.
Parfois oui, parfois non... Quoi qu'il en soit, ce n'est pas la première fois qu'une candidature de Boris Nadejdine est bloquée. La validation des signatures, rappelle-t-il, dépend parfois de la situation politique du moment. "Vous ne voulez pas de moi à l'élection de gouverneur, alors je me présenterai à la présidence", avait-il réagi l'an passé, après avoir été écarté du scrutin régional. "Des paroles prononcées sur le coup de l'émotion", explique-t-il aujourd'hui. Avec, tout de même, une petite idée derrière la tête.
Le pacifisme, un terrain glissant
A l'automne, le camp libéral n'avait toujours aucun candidat pour aller décrocher un score de 2% à l'élection présidentielle. Selon les informations du média russe RTVI, le Kremlin a même tenté de convaincre Grigori Yavlinski, fondateur du parti Iabloko, de partir en campagne. Mais celui-ci a refusé, et aucune autre personnalité de renom ne semblait intéressée. En octobre, finalement, Boris Nadejdine s'est lancé officiellement les procédures pour enregistrer sa candidature, soutenu par le parti Initiative civile et après en avoir discuté des risques avec sa famille.
Pour le Kremlin, le profil de cet homme peu connu ne présentait alors aucun risque politique majeur. A ce stade, d'ailleurs, c'était plutôt la journaliste antiguerre Ekaterina Dountsova qui enquiquinait l'administration présidentielle. Recalée en décembre, elle n'a pas même l'occasion de collecter des signatures. Pourquoi donc Boris Nadejdine, lui, a-t-il obtenu un feu vert ? "Le Kremlin a un plan pour toutes les personnes engagées en politique", lui a rappelé fin janvier la journaliste Ksenia Sobtchak, très suivie sur YouTube. Celle-ci connaît parfaitement les règles, pour avoir elle-même obtenu 1,68% lors de la présidentielle de 2018, sous les couleurs... d'Initiative civile.
Les sceptiques rappellent également que Boris Nadejdine, dans les années 1990, croisait régulièrement l'actuel locataire du Kremlin, alors qu'il conseillait un Boris Nemtsov alors au sommet. "Mais j'ai commencé à critiquer ouvertement Vladimir Poutine en 2003, après l'arrestation de [l'oligarque] Mikhaïl Khodorkovski !", plaide le candidat auprès de franceinfo. "Contrairement à Alexeï Navalny, je n'ai jamais critiqué Vladimir Poutine en tant que personne", analyse-t-il. Et j'appartiens à la même génération que lui et que Sergueï Kirienko [directeur général de l'administration présidentielle], donc ils me connaissent."
En pleines vacances d'hiver, la campagne de Boris Nadejdine a commencé "piano", malgré un petit rafraîchissement de circonstance. "Mon équipe de campagne m'a dit que les jeunes ne me connaissaient pas, parce qu'ils ne regardaient plus la télé." En janvier, le sexagénaire a hérité d'une veste bleue à grands carreaux orange, préférée à trois autres modèles, pour se démarquer des costumes et des mines sombres de ses rivaux. .
Un succès tardif pour les signatures
Le candidat s'est aussi mis en scène et sur les réseaux sociaux, en jouant de la guitare aux côtés de sa famille, laissant son profil Facebook libre pour être consultée. C'est là qu'on pouvait voir une photographie de champignon, prise l'an passé près de sa datcha, qui a déclenché un torrent de détournements savoureux, dans un pays où la cueillette est un sport national. "Il pesait 600 grammes, mais je l'ai jeté, car les gros ne sont pas très goûteux", commente le sexagénaire. C'est comme chez les humains : les jeunes sont meilleurs."
A l'image de ce mème, la sauce, peu à peu, a commencé à prendre et les files d'attente se sont allongées devant les 75 bureaux ouverts dans le pays. Avec, au sein des rangs, de nombreux signataires âgés entre 20 et 35 ans.
Alexandre Borisenko, 22 ans, a coordonné les signatures d'expatriés dans plusieurs villes françaises, un travail qui a permis d'en collecter 340 à Paris, Strasbourg, Grenoble et Lyon. "Beaucoup de jeunes et de femmes" figuraient parmi les signataires, originaires notamment de Ekaterinbourg, Nijni-Novgorod ou Novossibirsk. Ces soutiens "connaissaient tous Boris Nadejdine, bien sûr. Mais qu'ils le soutiennent ou qu'ils dénoncent la guerre, cela revenait au même et ce n'est pas très important." Quel autre candidat, ajoute-t-il, s'est exprimé "sur l'arrêt de la guerre, des répressions et sur la libération des prisonniers politiques ?"
La campagne a décollé réellement après le 16 janvier, selon Boris Nadejdine, lors de la publication une vidéo de soutien est postée par Maxim Katz, célèbre opposant libéral exilé en Israël. Et inscrit, comme tant d'autres, au registre des "agents de l'étranger". L'appel recueille un million de vues au total. Ce qui est peu à l'échelle de la Russie, mais bien assez pour faire connaître l'opposant public numéro un.
"J'ai essayé d'apporter mon aide depuis l'extérieur", confie Maxim Katz à franceinfo. Le candidat fédère les signataires sur le plus petit dénominateur commun. "Le soutien dont il a bénéficié exprime surtout une attitude anti-Poutine et antiguerre, alors qu'il était le seul candidat disponible sur cette offre." Le politicien regrette que les spécialistes des campagnes électorales, pour la plupart, se trouvent désormais en exil, et que le candidat soit privé de leur concours. Pour autant, "beaucoup de gens ont également commencé à le soutenir pour sa personnalité", veut-il croire.
"Le Kremlin aimerait sans doute avoir un candidat libéral autour de 2%. Le problème, c'est qu'il est déjà à 10%. Les choses, visiblement, ne se passent pas comme prévu."
Maxim Katz, homme politique libéral russe en exilà franceinfo
Signe d'une certaine nervosité, Vladimir Soloviov, propagandiste en chef de la chaîne Rossia 1, a dénoncé une campagne impliquant jusqu'aux "services spéciaux ukrainiens", le tout chapeauté par "le citoyen israélien Maxim Katz", relève le média indépendant Meduza.
"Je suis là, à ce moment précis, c'est tout"
En russe, "nadejda" veut dire "espoir", ce qui vaut tous les slogans du monde. Pour autant, le candidat le reconnaît lui-même, avec une certaine franchise : il n'a pas le charisme de Boris Nemtsov – l'opposant libéral assassiné en 2015, dont il a été le conseiller – ni le physique d'Alexeï Navalny, qui croupit en prison. Il n'a pas, non plus, le sens politique de l'oligarque Anatoli Tchoubaïs, l'éminence grise des réformes durant les années 1990.
"Il se trouve que je suis là, à ce moment précis. C'est tout", résumait-il en janvier lors d'une discussion avec la chercheuse Ekaterina Schulmann. Cette vidéo, postée par la politologue au million d'abonnés, lui a sans doute permis de gagner encore en notoriété, et de lever des fonds. "Un expert m'a même baptisée 'l'Antilope d'or'", ironise Ekaterina Schulmann. Une référence au dessin animé soviétique des années 1950, équivalent de notre poule aux œufs d'or. "En dépit de son ancienneté, Boris Nadejdine fait preuve d'une étonnante maîtrise d'internet, probablement due à sa longue expérience dans le domaine de la publicité politique", souligne-t-elle.
"Bien qu'il ne corresponde pas au moule du leader populaire, il est en phase avec la jeunesse. Celle-ci, montrent les sondages, revendique un engagement civique et réclame du changement."
Ekaterina Schulmann, politologueà franceinfo
Comme Maxim Katz, elle estime toutefois que le succès de sa campagne de signatures n'est pas lié aux qualités intrinsèques du candidat. "En Russie, où les choix politiques sont limités, l'illusion d'une participation politique est précieuse pour les citoyens. Nadejdine, en tant qu'alternative, incarne un désir de changement, indépendamment des opinions des uns et des autres." C'est également l'avis de Leonid Gozman, ancien compagnon de route politique au sein de l'Union des forces de droite. "Tout ceci est lié aux tensions internes dans la société russe, à l'insatisfaction des gens face à la guerre et au pouvoir de Poutine", détaille cette personnalité aujourd'hui en exil.
Le candidat libéral, surtout, évite les dérapages verbaux, ce qui rassure les potentiels électeurs. "Lors de la dernière élection présidentielle, Pavel Grudinin, le candidat communiste, a dit toutes sortes d'absurdités sur son adoration de Staline, ce qui, bien sûr, a repoussé son électorat urbain", commente Ekaterina Schulmann. "Boris Nadejdine, lui, maintient une position patriotique contre la guerre, soulignant que celle-ci est contraire aux intérêts de la Russie et de son peuple."
Alors que Boris Nadejdine faisait office de vernis démocratique, les derniers sondages ont provoqué quelques éclaboussures sur le cadre attendu. Personne ne saura jamais combien de voix aurait obtenu le candidat Boris Nadejdine, mais il aurait de toutes manières échoué à l'emporter. Est-ce d'ailleurs important ? "Ce candidat a pris d'immenses risques, conclut Maxim Katz. Ce n'est pas tous les jours qu'on peut entendre tout cela dans la bouche d'un responsable russe."
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