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«Etat Islamique» : la mégalomanie d'un homme
En se proclamant calife à Mossoul, le chef djihadiste Abou Baker al-Baghadadi a mené la dernière étape d’un projet entamé il y a huit ans. Il est désormais à la tête du plus puissant groupe armé djihadiste de la région. Mais comment doit-on appeler cet «Etat Islamique» (EI) autoproclamé, qui perturbe les observateurs et le reste du monde musulman, sans propager ses idées délirantes?
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«Pour s’interroger sur la nature de l’Etat Islamique, il faut d’abord s’interroger sur ses origines», explique Mathieu Guidère, spécialiste du Moyen-Orient et linguiste à l’Université du Mirail de Toulouse. Il faut aussi se concentrer sur son fondateur: Abou Baker al-Baghdadi. Le «calife» autoproclamé est devenu une personnalité de premier plan en 2006, après la mort de la «star» du djihad de l’époque, Abou Moussab al-Zarqaoui, chef d’Al-Qaïda en Irak, tué par l'armée américaine.
Dans le vide laissé par al-Zarqaoui, deux visions du djihad s’affrontent. Le «djihad global» est défendu par l’Egyptien Abou Hamza al-Mouhajer, le successeur désigné d’al-Zarqaoui à la tête d’Al-Qaïda en Irak. Dans la plus pure lignée de Ben Laden, il prône l’attaque systématique des intérêts occidentaux, dans le monde entier.
L'Irakien Al-Baghdadi prône, lui, le «djihad local», centré sur les terres traditionnelles de l’islam. Parmi les militants djihadistes, sa vision l’emporte largement sur celle d’Al-Qaïda. Abou Hamza lui prête allégeance dès 2006. Al-Qaïda en Irak disparaît, remplacé par l’Etat Islamique en Irak (EII).
Des noms chargés de sens
Dès l’origine, le groupe porte dans son nom un programme, plutôt qu’une réalité. «Pour résumer, selon al-Baghdadi, le nord de la Méditerranée appartient à l’Occident et la chrétienté, et le sud de la Méditerranée appartient à l’Islam», selon Mathieu Guidère.
Avant tout, al-Baghdadi désire la création d’un Etat islamique sur les terres de l’Islam, appliquant la charia. Contrairement à Al-Qaïda, il reconnaît les autres peuples du Livre (chrétiens et juifs), à la seule condition qu’ils restent en dehors de son territoire. L'expulsion des chrétiens entreprise dans les villes conquises par ses partisans est la manifestation directe et violente de ce programme. Les chiites, en revanche, sont considérés comme des hérétiques qu’il faut éliminer où qu’ils se trouvent.
En 2013, après le retrait américain d’Irak, al-Baghdadi annonce que l’Etat islamique en Irak devient ad-dawla al-islāmiyya fi-l-ʿirāq wa-š-šām. «Traduire ce nom par Etat Islamique et au Levant (EIIL) est un exemple typique d’ethnocentrisme français » dénonce Mathieu Guidère. «Le Levant est le nom colonial de la Syrie et du Liban», une région mise sous mandat français lors du partage de la région après la Première Guerre Mondiale. Une traduction plus littérale serait: «Etat islamique en Irak et al-Sham (EIIS)».
Quelle est alors la zone visée par les djihadistes? «Al-Sham est une ancienne province ottomane regroupant les territoires sunnites de Syrie, du Liban, d’Irak, de Jordanie et de Palestine. C’est un nom chargé de sens pour l’organisation d’al-Baghdadi, il rappelle l'ère du califat ottoman» explique Mathieu Guidère. Al-Baghdadi remet en cause les frontières héritées du colonialisme, et les nations qu'elles ont créées, pour revenir au dernier empire musulman.
L’évolution du nom de l’organisation souligne l’expansion des ambitions d’al-Baghdadi, les zones géographiques et l'héritage historique qu'il revendique. La proclamation d’EIIS n’est d’ailleurs pas pour plaire au reste de la mouvance djihadiste. Ayman al-Zaouahiri, successeur de Ben Laden à la tête d’Al-Qaïda, demande à al-Baghdadi de s’en tenir à l’Etat Islamique en Irak.
Le refus d’al-Baghdadi entraîne un conflit armé entre EIIS et le front al-Nosra, la branche d’Al-Qaïda en Syrie. Entre janvier et juin 2014, cet affrontement fait plus de 3000 morts djihadistes, en marge de la guerre menée par les deux groupes contre le gouvernement de Bachar el-Assad. C'est plus que les pertes infligées par les forces gouvernementales. Il se solde par la victoire d’EIIS et le ralliement d’une partie des forces d’al-Nosra à al-Baghdadi.
En juin 2014, al-Baghdadi franchit une nouvelle étape dans son projet. A Mossoul, nouvellement conquise, il se proclame calife sous le nom d'Ibrahim (Abraham). Avec ce titre, le chef de guerre se dote de l'aura spirituelle qu'il lui manquait. Son organisation change de nouveau de nom et devient l’Etat islamique (EI). Une évolution qui marque l'abandon des limitations géographiques du combat d'al-Baghdadi.
Dans les discours des militants, on évoque un nouvel empire digne des califes les plus puissants. Il comprendrait l'ensemble de l'Afrique du nord, du Moyen-Orient et s'étendrait jusqu'en Inde et Indonésie. Sur Twitter, le correspondant de la chaîne américaine NBC reprend une carte diffusée par les djihadistes sur le réseau social, le «plan d'expansion sur 5 ans» de l'organisation et s'amuse «ça m'étonne qu'ils ne veuillent pas reprendre le sud de l'Espagne».
Une tentative de combler le vide
Le dernier califat a disparu avec la dissolution de l’Empire ottoman, en 1924. Depuis la mort de Mahomet en 632, il n’y avait jamais eu de tel vide de pouvoir dans le monde musulman. «Le calife est le successeur de Mahomet. Comme les papes chrétiens, il possède un pouvoir spirituel et temporel sur l’ensemble des musulmans», explique Mathieu Guidère.
En se proclamant calife, al-Baghdadi se place au niveau des dirigeants les plus saints de l’islam. Il demande l’allégeance des croyants du monde entier et défie une nouvelle fois Al-Qaïda, cette fois sur son terrain du djihad global. Ce n’est pas la première démonstration d’arrogance du leader djihadiste, qui avait déjà choqué en faisant figurer le sceau du prophète sur le drapeau de son «Etat Islamique».
Dans l’ensemble, le monde musulman a réagi à cette proclamation par un rejet profond. Les musulmans modérés ne se reconnaissent pas dans l’extrémisme prôné par al-Baghdadi et ses méthodes extrêmement violentes. «Tout d'abord, l'Islam demande de laisser les gens vivre, de ne pas tuer. L'Islam ne repose pas sur la peur, il repose sur la paix et la justice. Un musulman doit aider les autres. Si tu ne le fais pas, tu n'es pas un musulman» déclare par exemple l'imam, sunnite, d'Istambul.
Le groupe s’est aussi attiré les foudres des deux pays qui proclament déjà leur leadership sur le monde musulman : l'Arabie saoudite, dont le grand mufti (la plus haute autorité religieuse du pays) a qualifié le nouveau calife d'«ennemi numéro un de l’Islam» et l’Iran chiite, ennemi naturel, qui propose aux Etats-Unis de lancer des frappes militaires en échange d’une réduction des sanctions commerciales occidentales.
«Etat Islamique», une usurpation d’identité ?
Mathieu Guidère enterre d’office les fantasmes d’al-Baghdadi : « L’Etat Islamique n’existe que sur les territoires qu’il contrôle, ce qui va complètement à l’opposé de la nature même d’un califat. Cet Etat là n’est pas islamique, car il n’est pas reconnu par les musulmans. »
Mais est-il déjà un état ? Des journalistes sur place ont observé l’efficacité, mais aussi la violence de l’administration mise en place par al-Baghdadi à Raqqa, la capitale temporaire d’EI. Mais l’organisation est loin de pouvoir prétendre à son Etat. Si elle est capable de mener des opérations militaires dans tout le triangle Raqqa-Mossoul-Bagdad, les territoires qu’elle contrôle de manière permanente sont rares et éparpillés.
Mathieu Guidère enfonce le clou : « Cet Etat islamique n’est pas un Etat et il n’est pas islamique. Pour des médias et des politiques, continuer à l’appeler ainsi revient à participer à une vaste usurpation d’identité. La seule manière à laquelle je puisse penser pour désigner, correctement, objectivement, ce groupe serait juste l’organisation al-Baghdadi. » Donc, OAB?
Dans le vide laissé par al-Zarqaoui, deux visions du djihad s’affrontent. Le «djihad global» est défendu par l’Egyptien Abou Hamza al-Mouhajer, le successeur désigné d’al-Zarqaoui à la tête d’Al-Qaïda en Irak. Dans la plus pure lignée de Ben Laden, il prône l’attaque systématique des intérêts occidentaux, dans le monde entier.
L'Irakien Al-Baghdadi prône, lui, le «djihad local», centré sur les terres traditionnelles de l’islam. Parmi les militants djihadistes, sa vision l’emporte largement sur celle d’Al-Qaïda. Abou Hamza lui prête allégeance dès 2006. Al-Qaïda en Irak disparaît, remplacé par l’Etat Islamique en Irak (EII).
Des noms chargés de sens
Dès l’origine, le groupe porte dans son nom un programme, plutôt qu’une réalité. «Pour résumer, selon al-Baghdadi, le nord de la Méditerranée appartient à l’Occident et la chrétienté, et le sud de la Méditerranée appartient à l’Islam», selon Mathieu Guidère.
Avant tout, al-Baghdadi désire la création d’un Etat islamique sur les terres de l’Islam, appliquant la charia. Contrairement à Al-Qaïda, il reconnaît les autres peuples du Livre (chrétiens et juifs), à la seule condition qu’ils restent en dehors de son territoire. L'expulsion des chrétiens entreprise dans les villes conquises par ses partisans est la manifestation directe et violente de ce programme. Les chiites, en revanche, sont considérés comme des hérétiques qu’il faut éliminer où qu’ils se trouvent.
En 2013, après le retrait américain d’Irak, al-Baghdadi annonce que l’Etat islamique en Irak devient ad-dawla al-islāmiyya fi-l-ʿirāq wa-š-šām. «Traduire ce nom par Etat Islamique et au Levant (EIIL) est un exemple typique d’ethnocentrisme français » dénonce Mathieu Guidère. «Le Levant est le nom colonial de la Syrie et du Liban», une région mise sous mandat français lors du partage de la région après la Première Guerre Mondiale. Une traduction plus littérale serait: «Etat islamique en Irak et al-Sham (EIIS)».
Quelle est alors la zone visée par les djihadistes? «Al-Sham est une ancienne province ottomane regroupant les territoires sunnites de Syrie, du Liban, d’Irak, de Jordanie et de Palestine. C’est un nom chargé de sens pour l’organisation d’al-Baghdadi, il rappelle l'ère du califat ottoman» explique Mathieu Guidère. Al-Baghdadi remet en cause les frontières héritées du colonialisme, et les nations qu'elles ont créées, pour revenir au dernier empire musulman.
L’évolution du nom de l’organisation souligne l’expansion des ambitions d’al-Baghdadi, les zones géographiques et l'héritage historique qu'il revendique. La proclamation d’EIIS n’est d’ailleurs pas pour plaire au reste de la mouvance djihadiste. Ayman al-Zaouahiri, successeur de Ben Laden à la tête d’Al-Qaïda, demande à al-Baghdadi de s’en tenir à l’Etat Islamique en Irak.
Le refus d’al-Baghdadi entraîne un conflit armé entre EIIS et le front al-Nosra, la branche d’Al-Qaïda en Syrie. Entre janvier et juin 2014, cet affrontement fait plus de 3000 morts djihadistes, en marge de la guerre menée par les deux groupes contre le gouvernement de Bachar el-Assad. C'est plus que les pertes infligées par les forces gouvernementales. Il se solde par la victoire d’EIIS et le ralliement d’une partie des forces d’al-Nosra à al-Baghdadi.
En juin 2014, al-Baghdadi franchit une nouvelle étape dans son projet. A Mossoul, nouvellement conquise, il se proclame calife sous le nom d'Ibrahim (Abraham). Avec ce titre, le chef de guerre se dote de l'aura spirituelle qu'il lui manquait. Son organisation change de nouveau de nom et devient l’Etat islamique (EI). Une évolution qui marque l'abandon des limitations géographiques du combat d'al-Baghdadi.
Dans les discours des militants, on évoque un nouvel empire digne des califes les plus puissants. Il comprendrait l'ensemble de l'Afrique du nord, du Moyen-Orient et s'étendrait jusqu'en Inde et Indonésie. Sur Twitter, le correspondant de la chaîne américaine NBC reprend une carte diffusée par les djihadistes sur le réseau social, le «plan d'expansion sur 5 ans» de l'organisation et s'amuse «ça m'étonne qu'ils ne veuillent pas reprendre le sud de l'Espagne».
#ISIS releases it's 5 year territorial expansion plan. I'm surprised they don't want to reclaim southern Spain #Iraq pic.twitter.com/EBEl0NDXIN
— Ayman Mohyeldin (@AymanM) 22 Juin 2014
Une tentative de combler le vide
Le dernier califat a disparu avec la dissolution de l’Empire ottoman, en 1924. Depuis la mort de Mahomet en 632, il n’y avait jamais eu de tel vide de pouvoir dans le monde musulman. «Le calife est le successeur de Mahomet. Comme les papes chrétiens, il possède un pouvoir spirituel et temporel sur l’ensemble des musulmans», explique Mathieu Guidère.
En se proclamant calife, al-Baghdadi se place au niveau des dirigeants les plus saints de l’islam. Il demande l’allégeance des croyants du monde entier et défie une nouvelle fois Al-Qaïda, cette fois sur son terrain du djihad global. Ce n’est pas la première démonstration d’arrogance du leader djihadiste, qui avait déjà choqué en faisant figurer le sceau du prophète sur le drapeau de son «Etat Islamique».
Dans l’ensemble, le monde musulman a réagi à cette proclamation par un rejet profond. Les musulmans modérés ne se reconnaissent pas dans l’extrémisme prôné par al-Baghdadi et ses méthodes extrêmement violentes. «Tout d'abord, l'Islam demande de laisser les gens vivre, de ne pas tuer. L'Islam ne repose pas sur la peur, il repose sur la paix et la justice. Un musulman doit aider les autres. Si tu ne le fais pas, tu n'es pas un musulman» déclare par exemple l'imam, sunnite, d'Istambul.
Le groupe s’est aussi attiré les foudres des deux pays qui proclament déjà leur leadership sur le monde musulman : l'Arabie saoudite, dont le grand mufti (la plus haute autorité religieuse du pays) a qualifié le nouveau calife d'«ennemi numéro un de l’Islam» et l’Iran chiite, ennemi naturel, qui propose aux Etats-Unis de lancer des frappes militaires en échange d’une réduction des sanctions commerciales occidentales.
«Etat Islamique», une usurpation d’identité ?
Mathieu Guidère enterre d’office les fantasmes d’al-Baghdadi : « L’Etat Islamique n’existe que sur les territoires qu’il contrôle, ce qui va complètement à l’opposé de la nature même d’un califat. Cet Etat là n’est pas islamique, car il n’est pas reconnu par les musulmans. »
Mais est-il déjà un état ? Des journalistes sur place ont observé l’efficacité, mais aussi la violence de l’administration mise en place par al-Baghdadi à Raqqa, la capitale temporaire d’EI. Mais l’organisation est loin de pouvoir prétendre à son Etat. Si elle est capable de mener des opérations militaires dans tout le triangle Raqqa-Mossoul-Bagdad, les territoires qu’elle contrôle de manière permanente sont rares et éparpillés.
Mathieu Guidère enfonce le clou : « Cet Etat islamique n’est pas un Etat et il n’est pas islamique. Pour des médias et des politiques, continuer à l’appeler ainsi revient à participer à une vaste usurpation d’identité. La seule manière à laquelle je puisse penser pour désigner, correctement, objectivement, ce groupe serait juste l’organisation al-Baghdadi. » Donc, OAB?
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