La question kurde en Syrie
Les frontières n’ont jamais réussi à contenir les Kurdes dans tel Etat ou tel autre (outre la Syrie, on trouve des Kurdes en Irak, en Turquie et en Iran). Et encore moins à casser la continuité des nationalismes. Pour comprendre les positions des Kurdes de Syrie, il faut revenir quelques années en arrière, notamment la dernière décennie.
Une région rurale abandonnée au sous-développement
Bien avant le début de la révolte contre le régime, selon Fabrice Balanche, géographe à l’Université Lumière-Lyon II, «Damas a procédé à une arabisation de la zone, créant une forte mixité, propice à la dilution des Kurdes dans la population arabe». C’est le cas à la frontière turque, où les villages kurdes sont entrecoupés de villages arabes.
Une sorte de purification ethnique dans une région laissée volontairement dans le sous-développement par le régime afin de mieux la contrôler. Résultat : de nombreux habitants ont migré vers les villes, Alep notamment.
La scène politique kurde
Pour Jordi Tejel Gorgas, historien et sociologue à l’Institut de Hautes études internationales et du développement de Genève, la scène politique kurde s’est autonomisée par rapport au régime à partir de 2004, date-clé pour sa structuration.
A cette époque, le soulèvement des Kurdes pour l’autonomie qui a lieu dans le nord du pays mais aussi à Damas et Alep a été réprimé. Et le mouvement s’est essoufflé en 2005, d’autant que la population syrienne, dans son ensemble, ne l’a pas soutenu.
Les Kurdes aidés par la situation internationale
Selon l’historien, pour arrêter le bain de sang et les arrestations, «les partis kurdes ont demandé aux jeunes opposants d’arriver à une sorte de compromis avec le régime», estimant que ce dernier avait acté la mobilisation de la communauté et sa capacité à mener la fronde.
Explications de ce qui peut ressembler à un retournement par Jordi Tejel Gorgas : dans les années 2000, «le régime de Damas était malmené sur la scène politique extérieure. Il était mis sur la sellette par les Américains. Dans l’après 11-Septembre, ces derniers l’accusaient de laisser transiter des jihadistes sur son territoire. En 2005, il était de nouveau fragilisé après le meurtre du Premier ministre libanais Rafic Hariri dont on l’accusait.»
Du coup, le régime avait besoin d’un répit à l’intérieur et «de 2005 à 2009, il a laissé les Kurdes relativement tranquilles. Ces derniers en ont profité pour se développer dans l’arène politique». Dès lors, l’opposition kurde – représentée par la jeunesse mobilisée dans des comités – a disposé d’une certaine marge de manœuvre dans le pays.
Les membres de la communauté pouvaient alors manifester le vendredi (jour de prière dans l’islam), s’investir dans des partis politiques kurdes, célébrer des fêtes ou créer des festivals et des manifestations culturelles…
Ces Kurdes qui contrôlent le nord de la Syrie
France 24, mise en ligne le 17 septembre 2012
Changement de ton à partir de 2009
Une fois l’affaire Hariri retombée et le départ des Américains d’Irak prévu, Damas peut se concentrer de nouveau sur sa scène politique intérieure : les arrestations et la répression reprennent.
Alors que la violence anti-kurde se poursuit également enTurquie, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) recrute en Syrie pour mener la guérilla : en Turquie, 25% des combattants du PKK sont alors syriens.
Les Kurdes de Syrie et le régime de Bachar al-Assad
Après le début de la révolte syrienne, en mars 2011, la communauté s’est trouvée prise entre deux camps. Si avant mars 2011, les jeunes Kurdes se mobilisaient tous les vendredis, la contestation a continué après cette date. Dans un premier temps, les comités ont relayé les messages du régime. Pourquoi ? «Parce que le Conseil national syrien (CNT) a fait alliance avec les Frères musulmans et que ces derniers refusent de reconnaître les Kurdes de Syrie», précise Jordi Tejel Gorgas.
Ils ont toutefois arrêté de soutenir le régime à mesure que la rébellion gagnait du terrain. C’est ce qui explique que l’opinion a eu tendance à accuser les Kurdes de Syrie d’être les complices du régime… «C’est une idée fausse qui continue à circuler», au même titre que celle des «accords secrets» qui auraient été passés entre le régime et les partis kurdes, explique l’historien.
Réaction face à la situation insurrectionnelle
En réponse au CNT, est créé le Congrès national kurde. A noter que ce dernier est en état de faiblesse vis-à-vis du PKK, au vu des inégalités de ressources (financières, armées et en hommes formés à la guérilla).
Fin 2011, se met en place un front kurde. Mais si les partis kurdes prônent le départ de Bachar et des Baassistes du pouvoir, ils restent divisés et n’ont pas de stratégie unitaire pour l'avenir.
Une autonomie de fait
Depuis juillet 2012, les Kurdes contrôlent le nord-est de la Syrie. Une autonomie inattendue dans une région d’où les troupes régulières se sont retirées. Aujourd’hui, on assiste à une distribution inégalement répartie des forces. Des villes sont totalement gérées par le PKK – via sa branche syrienne le PYD –, alors que d’autres fonctionnent grâce aux fonctionnaires du régime représentant l’Etat et aux partis kurdes. Lesquels sont chargés de la sécurité.
Pour l’heure, c’est le statut quo dans la région, une espèce de zone grise plutôt calme, pas vraiment autonome mais sans contrôle de l’Etat… Reste à savoir ce qu’il se passerait pour les quatre millions de Kurdes de Syrie, si le régime tombait.
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