"La moitié de notre famille est restée là-bas" : l'inquiétude des Kurdes de Turquie pour leurs proches restés en Syrie
Pour les Kurdes de Turquie, l'offensive en Syrie reveille de nombreuses craintes, notamment pour leurs familles qui n'ont pas réussi à fuir.
"Regardez ça, ce sont leurs tombes". Ali, un Kurde qui vit dans un village du Kurdistan syrien, a les traits d'un homme marqué par l'histoire. Cet homme montre la stèle de son frère tué il y a plusieurs années avec sa femme et leurs enfants. Alors que l'offensive turque se poursuit en Syrie, des familles, comme celle d'Ali, vivent dans l'angoisse pour leurs proches restés de l'autre côté de la frontière. Ces familles sont souvent séparées depuis des années à cause des conflits à répétition dans la région.
Plus de 30 ans de conflits
Dans ce village kurde, côté turc, chaque pierre porte la mémoire d’un drame, les stigmates d’un conflit de plus de 30 ans. "En 1993, l’État turc a brûlé le village à cause du PKK qui voulait s’implanter ici contre notre gré, explique Ali. En 2000, c’est mon frère, sa femme et leurs trois fils qui ont été exécutés chez eux. Le PKK accuse l’État turc de les avoir assassinés. Et l’État turc accuse le PKK. Ils ont été tués le même jour, à la même heure".
Ali a le visage buriné, un oeil un peu plus fermé que l’autre. Il s’allume une cigarette, nous fait monter sur le toit de sa maison, et pointe le doigt vers l’horizon. "Les deux petites collines là-bas, c’est le village de Cetelé et celui-là, c’est Tilgisi en Syrie. Les silos à côté, c’est la Syrie aussi". Après avoir marqué une pause, Ali nous raconte la peur qui l'étreint depuis plusieurs jours. "Les balles nous passent au-dessus de la tête".
Hier, en pleine nuit, on a été obligés de partir à cause des frappes aériennes et des tirs d’artillerie.
Alià franceinfo
Ali regarde les champs de maïs qui cachent la frontière, mais il peine à cacher sa tristesse pour ces familles séparées par les guerres répétées. "Avant, on était unis mais un jour, ils ont décidé que la ligne de chemin de fer était une frontière entre les deux pays. Plus tard, ils ont posé des mines tout le long. La moitié de notre famille est restée là-bas, et nous de ce côté, chacun sur sa terre".
Ali dit penser à ses proches de l'autre côté de la frontière pris sous les bombardements de l’armée d’Erdogan. Il s'inquiète de l’accord conclu entre les YPG kurdes et le régime syrien. "Que ce soit la Turquie ou le régime de Bachar al-Assad, ça ne change rien. L’un comme l’autre, ils sont contre nous, dit-il. Un jour, j’espère qu’il y aura un État kurde, notre drapeau flottera dans le ciel. Nous, on ne le verra peut-être pas, mais nos enfants j’espère que oui".
“J’espère qu’on pourra le voir ce pays, qu’on pourra tous le voir avec papa, avec maman, tous ensemble”, rajoute sa fille, Xazal, agée de 15 ans.
Des habitants à bout de nerfs
Dans la ville de Kiziltepe, à dix kilomètres de là, Reyhan a les yeux rivés sur les chaînes de télévision pro-kurdes. On y voit des images des violents combats qui se déroulent de l’autre côté de la frontière. "Nous les adultes, notre cœur est brisé, brûlé. On veut que cette guerre s’arrête", dit-elle. Cette guerre, elle l’a connu en Syrie, il y a huit ans. Elle se souvient avoir traversé la frontière pour rejoindre un village voisin côté turc et il y a quelques jours, elle a dû fuir à nouveau.
Notre sommeil n’est plus un sommeil, la nourriture n’a plus de goût. On est devenu comme des fous à tourner en rond. On ne sait plus quoi faire.
Reyhanà franceinfo
Pour beaucoup de Kurdes la déception est grande. Tous les belligérants sont coupables, raconte Bedran Acar, l'un des responsables du parti de libération du Kurdistan dans la région. “Malheureusement, je m’attendais à ce que le parti qui dirigeait le mouvement kurde dans l’ouest du Kurdistan le mène à sa perte. Je m’attendais au pire, raconte l'homme. Mais malgré ça, la nuit dernière a été vraiment très difficile pour moi. J’étais très triste, j’avais le cœur brisé". Pour beaucoup ici, l’offensive turque et l’appel à l’aide lancé au régime syrien sonnent comme la fin d’un rêve : celui d’un grand Kurdistan uni, où chacun peut vivre en paix.
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