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Témoignages "On ne peut pas s'habituer à 49°C" : Italie, Grèce, Tunisie... Ils racontent la vie sous le dôme de chaleur qui a écrasé le bassin méditerranéen

Vagues de chaleur, températures record, adaptation, risques d'incendie... Cinq habitants du bassin méditerranéen évoquent leur quotidien sous des températures extrêmes.
Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8 min
Un homme s'hydrate sur une plage de La Marsa durant une vague de chaleur, le 24 juillet 2023 près de Tunis (Tunisie). (FETHI BELAID / AFP)

"D'habitude, il fait entre 38 et 40°C, mais 49°C à Tunis, c'est catastrophique." Mohamed a 28 ans et il n'avait "jamais vu" des températures si extrêmes en Tunisie. 49°C en Algérie, 48°C en Sardaigne (Italie), ou encore 46°C en Grèce : de telles chaleurs, exceptionnelles, ont été mesurées tout autour du bassin méditerranéen, les 23 et 24 juillet, selon Météo-France.

"Il y a eu des coupures d'électricité et l'air était étouffant", raconte Hanane, qui a eu l'impression de vivre dans un "séchoir" à Alger pendant la vague de chaleur autour de la Méditerranée. En Grèce, Marina est restée cloîtrée chez elle à Athènes, où les habitants vivent au rythme des fortes chaleurs. "Entre 15 heures et 18 heures, beaucoup de commerces sont fermés, les Grecs ont le réflexe de sortir le soir", souligne-t-elle. Alors que les effets du réchauffement climatique se font de plus en plus sentir, franceinfo a interrogé cinq habitants de la région, de l'Algérie à la Grèce en passant par l'Espagne, l'Italie et la Tunisie.

Paco, Hanane, Mohamed, Alessio et Marina ont vécu sous des températures extrêmes à cause du dôme de chaleur qui a touché le bassin méditerranéen. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Alessio, 31 ans, Cagliari : "Je survis avec la climatisation"

"Depuis quatre ou cinq ans, il fait 40°C de plus en plus régulièrement en Sardaigne (Italie). L'autre jour, je me suis réveillé à 8 heures et il faisait déjà 31°C. Je suis allé à la mer, la température de l'eau était juste folle. C'est malheureux, mais je suis habitué à ces températures maintenant. Et on sait qu'avec le réchauffement climatique, ça va être de pire en pire. Et pourtant, à part dire qu'il fait chaud, rien n'est fait, rien ne change au niveau de l'aménagement de la ville, des transports. Je viens d'une petite ville, mais quand je dois aller à Cagliari, je préfère prendre ma voiture que le train ou le bus. On ne sait jamais s'ils seront climatisés.

Les gens font plus de télétravail, ce qui est utile avec la chaleur, mais c'est à cause du Covid-19. Je suis étudiant et quand il fait 40°C, je survis chez moi en restant enfermé avec la clim'. Je ne sors pas avant 19 heures, quand le soleil décline. Entre 13 heures et 18 heures, il n'y avait personne dans les rues pendant la vague de chaleur. J'imagine que Cagliari va devenir une ville fantôme aux heures les plus chaudes de la journée. Dans tous les cas, il n'est pas question de déménager. Je suis Sarde et je suis très attaché à mes terres.

Mohamed, 28 ans, Tunis : "Le pays était à l'arrêt entre 10 heures et 18 heures"

"La Tunisie est considérée comme un point chaud du réchauffement climatique, et là, on y fait face. On voit le résultat avec cette vague de chaleur. Il n'y avait personne dans les rues de Tunis, le pays était à l'arrêt entre 10 heures et 18 heures. Si je dois faire un peu d'exercice dehors, j'y vais tôt le matin ou en fin de soirée, mais je fais souvent du sport dans les environnements frais. Par exemple la piscine ou la salle de sport, qui est climatisée. C'est pareil pour la vie sociale : plutôt que des pique-niques ou des promenades, on se voit dans les cafés climatisés, les espaces intérieurs. Et je fais gaffe à ce que je mange. Quand il fait chaud, c'est salade, fruits frais et smoothies.

Je viens d'une région montagneuse, où la température ne dépassait jamais les 32°C. A Tunis, c'est différent. Les gens sont habitués à des 38, 39, 40°C, ils travaillent, sortent, même si on considère déjà que c'est très chaud. En été, il y a ce qu'on appelle le régime de la séance unique, l'activité se réduit. Beaucoup d'employés travaillent seulement jusqu'à 13 heures. Et ensuite, les gens rentrent chez eux au frais ou vont à la plage.

L'adaptation ? Ça prend du temps. Dans ma région, personne n'a la climatisation. A 32°C ce n'est pas nécessaire. Mais là, avec cette vague de chaleur, mon père a acheté un climatiseur. Ça fait partie des nouvelles habitudes. Selon les régions, on n'a pas forcément les moyens de s'adapter aux vagues de chaleur, surtout si on atteint ces températures. On ne peut pas s'habituer à 49°C."

Hanane, 38 ans, Alger : "Faire à manger est une corvée pendant la vague de chaleur"

"Quand mes sœurs qui vivent en France me disent qu'il fait chaud, je rigole. J'ai déjà été à Paris pendant des grosses chaleurs et ça ne m'a pas choquée, je suis habituée. En Algérie, on n'a pas trop le choix, il fait chaud l'été. À 35°C, les gens emmènent leurs enfants à la plage. Vivre avec la chaleur, c'est une question d'habitude, pas de culture. Quand je vais à Paris en hiver, je crève de froid alors que ma sœur est en tee-shirt.

"On perçoit la température différemment mais là, il a fait jusqu'à 48°C. J'avais l'impression d'étouffer, c'était dur de respirer. Quand je sortais à 8 heures, le thermomètre de la voiture affichait déjà 38°C. Mes habitudes ont un peu changé, j'ai pris trois fois plus de douches."

Hanane, habitante d'Alger

à franceinfo

Je ne suis pas allée au marché alors que j'y vais une fois par semaine d'habitude. Je passais chez un marchand ambulant sur le chemin du travail. Faire à manger était une corvée, je n'avais pas envie d'allumer les fourneaux avec cette chaleur, donc c'était beaucoup de salades alors que normalement, je fais des tajines, des pâtes.

Quand il fait ces températures, je ne vais pas à la plage, plutôt au ciné pour profiter de la clim'. J'évite de sortir et la climatisation marche 24 heures sur 24. Les températures supérieures à 40°C restent rares à Alger, alors qu'à l'intérieur de l'Algérie ou dans le Sud, au niveau du Sahara, atteindre les 40°C relève de l'ordinaire, c'est un non-événement."

Paco, 47 ans, Séville : "La ville est un four en été"

"Séville est l'une des villes les plus chaudes d'Espagne, c'est un four en été. Quand j'étais enfant, c'était exceptionnel de dépasser 40°C, mais maintenant c'est habituel. Je remarque aussi qu'il pleut moins qu'avant, mais quand il pleut, c'est plus violent. Les fortes chaleurs débutent fin avril et il fait chaud jusqu'en septembre. Les horaires sont adaptés l'été : beaucoup d'employés finissent à 15 heures et filent sur la côte, où il fait meilleur. L'eau est bonne puisque l'océan Atlantique est proche.

L'école s'adapte aux fortes chaleurs. Les vacances scolaires débutent vers le 20 juin et se terminent autour de la mi-septembre (Paco vit à Brest depuis un an après avoir été professeur à Séville, d'où il est originaire). Les cours finissent à 14h30 en Andalousie mais quand il fait trop chaud, au-dessus de 35 ou 37°C, l'administration autorise depuis quelques années les élèves à partir dès midi.

La vie est décalée, on vit plus le soir. Et il y a aussi les villages blancs, hérités de l'urbanisme et l'architecture arabes. Traditionnellement, c'est une manière de lutter contre la chaleur. Les murs sont peints en blanc, les maisons sont sombres et les rues très étroites pour éviter les courants d'air chaud."

Marina, 33 ans, Athènes : "Toute la Grèce est en alerte incendies, c'est angoissant"

"Les Grecs sont plus habitués aux fortes chaleurs que les Français, moins choqués aussi, mais je ne sais pas s'ils y sont plus préparés (Marina est franco-grecque). Disons qu'en Grèce, on arrive à vivre avec, on a nos petites techniques, par exemple jeter de l'eau froide sur le balcon pour le rafraîchir, ou toujours mettre une bouteille d'eau au congélateur. Normalement, c'est en août qu'il fait très chaud à Athènes, mais cette année, c'est infernal depuis le début de l'été. Il fait encore 36°C à 18h30, c'est invivable.

Je ne fais rien dehors en ce moment, je me fais même livrer mes courses. Les cinq minutes où je sors, c'est pour aller chercher ma fille à l'école.

"D'habitude, on fait tout en extérieur avec les enfants, mais là, on se sent comme pendant le confinement. On est obligés de rester à la maison avec des petits qui débordent d'énergie. Sur les groupes Facebook de parents, tout le monde se demande ce qu'il faut faire."

Marina, habitante d'Athènes

à franceinfo

Le bureau où je travaille ferme lorsqu'il fait trop chaud et tout le monde se met en télétravail. Je tiens aussi un petit restaurant avec mon mari. Les touristes viennent, les Grecs moins, et certains soirs, on a même pensé à fermer puisqu'il n'y avait personne. Qui a envie d'un sandwich falafel par cette chaleur ? Les gens mangent moins.

Beaucoup d'Athéniens quittent la ville en août pour aller chercher la fraîcheur des îles, mais maintenant, il y a les incendies. Ça fait huit ans que je vis en Grèce et les feux de forêts, c'est chaque été. C'est devenu la norme. L'an dernier, ça a brûlé à Lesbos, cette année à Corfou et Rhodes. Toute la Grèce est en alerte incendies, c'est angoissant. On évite d'aller dans des endroits proches de la forêt. Je m'apprête à partir en vacances et j'ai peur qu'il arrive une catastrophe, de vivre ça avec mes deux enfants."

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