Trop peu de soutien, des États affaiblis, une collaboration insuffisante... Les limites de l'intervention française au Mali
La mort de 13 soldats français dans un accident d'hélicoptères au Mali relance le débat à propos de l'efficacité de la présence militaire française au Sahel.
L'armée française n'avait pas perdu autant de soldats dans une même opération depuis 1983 : 13 militaires de l'opération Barkhane ont été tués lundi 25 novembre au Mali dans la collision de deux hélicoptères.
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Cet événement relance le débat sur cette opération et son efficacité. franceinfo a interrogé plusieurs spécialistes de cette question : Franck Cognard, journaliste à franceinfo ; Michel Galy, politologue, qui a dirigé notamment l'ouvrage La guerre au Mali ; Michel Goya, ancien colonel, historien ; Vincent Hugeux, grand reporter à L'Express, spécialiste de l'Afrique, enseignant à Sciences Po.
La France est trop seule sur le plan militaire
Ce que les experts pointent du doigt, c'est d'abord un dispositif dans lequel la France se retrouve trop seule. "La France comptait sur l'émergence de la force du G5 Sahel, c'est-à-dire que chaque armée des pays de cette zone (Burkina Faso, Tchad, Mali, Niger et Mauritanie) mette en commun des forces, entraînées et encadrées par les Français", explique Franck Cognard, journaliste à franceinfo, spécialiste des questions militaires. "L'idée, c'était de leur passer plus ou moins la main sur des opérations. Or, pour l'instant, on peut considérer que le G5 Sahel n'a pas remporté de victoire symbolique."
Les armées de ces pays ne sont pas au niveau militaire suffisant, selon les experts. "Je parlerais de fiasco", affirme le grand reporter Vincent Hugeux. "Vous avez bien de temps en temps une opération largement médiatisée ici, mais ça ne marche pas."
Cette fameuse force G5 Sahel est une fiction qu'on maintient en survie artificielle.
Vincent Hugeuxà franceinfo
"Le vrai problème, c'est de rendre opérationnelles des forces à l'échelon ultra local face à un ennemi qui est mobile, qui fonctionne en petits effectifs, qui a renoué avec des techniques de renseignement humain pour déjouer la surveillance électronique, poursuit Vincent Hugeux. Et là, on se heurte à une des grandes illusions lyriques de cette période : c'est de croire à la supériorité technologique."
Conséquence, les résultats sur le terrain ne sont pas à la hauteur des attentes. "En 2013, on a détruit les bases jihadistes qui étaient dans le nord du pays, ça représentait au total environ 3 000 combattants sur trois principaux mouvements, décrypte l'ancien colonel Michel Goya. Si l'opération Barkhane n'était pas là, effectivement, les choses seraient certainement infiniment plus graves. Mais ces groupes jihadistes représentent quelques milliers de combattants. Quand on regarde effectivement toutes les forces qui sont dans la région, on ne peut qu'être surpris par leur mauvaise efficacité ou efficience globale."
Les États de la région sont affaiblis
Cette faiblesse militaire s'accompagne d'un pouvoir politique relativement faible dans les pays de la zone, affirme notamment le politologue Michel Galy. "Les jihadistes combattants ont un enracinement social, une base, en particulier au Mali. Il y a des villages entiers autour de Gao qui sont sympathisants, des quartiers de Bamako où ils ont des sympathies. Et il y a des appuis indirects du Qatar et de l'Arabie saoudite. Tout le monde le sait, mais on ne veut pas le dire publiquement. Voilà la complexité de la situation."
De son côté, Michel Goya insiste sur l'aspect complexe de cette guerre contre les jihadistes. "Nous, Français, on s'y retrouve plongés avec relativement peu de prise, de marge de manœuvre. Le grand problème fondamental, c'est la faiblesse et l'incurie de certains États, dans leur incapacité simplement à administrer les choses, à assurer la sécurité d'un certain nombre de gens. C'est ça le problème, plus que les groupes jihadistes eux-mêmes en réalité."
Le phénomène nouveau, c'est surtout la multiplication, par exemple, des groupes criminels et des groupes des milices d'autodéfense.
Michel Goyaà franceinfo
Le grand reporter et enseignant à Science Po Vincent Hugeux évoque notamment le Burkina Faso. "C'est un pays qui devient extrêmement vulnérable. Vous avez des milliers d'écoles qui n'ont pas rouvert ou qui ferment aujourd'hui parce que tout simplement, ces zones-là, ces villages, ces régions sont sous la menace permanente de jihadistes qui interdisent un enseignement qu'ils considèrent comme impie."
Les gouvernements locaux "jaloux de leur souveraineté"
"On peut passer du Niger, au Burkina, au Mali, à la Mauritanie sans demander aux États en question, explique le politologue Michel Galy. Ces États sont affaiblis par le fait que la force Barkhane évolue par-delà les frontières. C'est normal militairement, mais politiquement, c'est désastreux, ça affaiblit les États." Cette question du contrôle des frontières est également soulevée par Vincent Hugeux. "C'est un des grands non-dits de ce dossier. Vous avez au fond des États jeunes qui sont très jaloux de leur souveraineté, qui peuvent avoir de vieux conflits territoriaux, frontaliers ou conflits de préséance pour dominer la région."
Est-ce que vous croyez vraiment que ces classes politiques-là sont enclines à partager tous les secrets de leur arrière-cuisine, de leur renseignement, etc ?
Vincent Hugueuxà franceinfo
La mort de 13 soldats lundi au Mali porte à 38 le nombre de militaires français tués au Sahel dans les opérations Serval, puis Barkhane. Interrogée mardi par franceinfo sur l’intérêt de la présence française dans la région, la présidente de la Commission de la défense nationale et des forces armées Françoise Dumas a déclaré : "Nous n’avons pas le choix". La députée LREM du Gard qui décrit une mission consistant à "sécuriser une zone pour soutenir les actions de développement" et "empêcher une catastrophe géopolitique que serait la conquête d’un État par l’idéologie jihadiste."
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