Pourquoi le plan anti-jihad pourrait faire un flop
Présenté mercredi en Conseil des ministres, le plan du gouvernement pour empêcher le départ de jihadistes français en Syrie pourrait buter sur trois obstacles.
Prévenir l'endoctrinement des jeunes, empêcher le départ des jihadistes français vers la Syrie et renforcer la répression contre les filières françaises. Voici les grands objectifs du plan présenté mercredi 23 avril en Conseil des ministres pour freiner l'embrigadement de Français dans des groupes jihadistes armés en Syrie.
Au total, ce plan comporte une dizaine de mesures. Mais seront-elles efficaces ? Francetv info dresse la liste des obstacles auxquels pourrait se heurter le gouvernement.
Les signes de radicalisation ne sont pas toujours détectés
Un des points novateurs du plan du gouvernement est la création d'un numéro vert et d'une plateforme de signalement à disposition des familles. Mais pour que celles-ci signalent leur enfant, il faut qu'elles détectent sa radicalisation.
"Il faut un travail de sensibilisation auprès du grand public", estime Dounia Bouzar, membre de l'Observatoire des laïcités et fondatrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam. "Il faut dire aux familles, aux professeurs, aux éducateurs qu’un enfant qui arrache une image au nom de l’islam, ce n’est pas normal", explique-t-elle. Pour cette anthropologue, la campagne de sensibilisation pourrait passer par des spots télévisés, comme c'est le cas pour la toxicomanie ou les violences faites aux femmes.
Dounia Bouzar a été contactée par des dizaines de familles confrontées à l'endoctrinement d'un proche. "Lorsque les familles disent qu'elles n'ont rien vu venir, ce n'est jamais vraiment le cas. J'ai en tête l'exemple d'une jeune fille. Le proviseur de son lycée avait dit à la famille qu'il n'avait 'rien vu', mais lorsque des journalistes l'ont interrogé, il a dit qu'elle était très pratiquante car toujours habillée en noir." C'est là le grand danger, selon l'experte. Les gens confondent ce qui relève de l'islam et ce qui relève de la dérive radicale. Ils pourraient donc ne pas signaler des comportements qu'ils considèrent comme relevant simplement de l'islam.
La question de la formation reste en suspens
Pour l'instant, aucune précision n'a été donnée sur les formations qui pourraient être mises en place. Pourtant, "le gouvernement doit prendre conscience de la nécessité de former les instituteurs, les éducateurs, les policiers, les responsables des MJC", poursuit Dounia Bouzar, partisane d'ouvrir la plateforme de signalement à l'ensemble des interlocuteurs des jeunes qui risquent de basculer.
"En France, il y a des professionnels, comme les éducateurs de la protection judiciaire, très compétents. Trois jours de formation suffiraient à les rendre qualifiés sur la question des dérives", estime-t-elle.
La France ne peut pas lutter seule contre le cyberjihadisme
Le volet préventif du plan est complété de mesures répressives pour démanteler les filières françaises du jihad, notamment sur web. Le compte-rendu du Conseil des ministres indique que les opérateurs internet seront incités à ce que "les contenus illicites et les sites de recrutement fassent l'objet de procédures de suppression effective et rapide".
Mais là encore, l'efficacité d'une telle mesure se heurte à des limites. "Un Etat ne peut pas prétendre lutter seul contre le cyberjihadisme", considère Daniel Ventre, chercheur au CNRS et spécialiste de la cyberdéfense. "Il dispose bien sûr de possibilités de surveillance et d’analyse de ce qui se passe sur les réseaux sociaux, sur internet", nuance-t-il.
Mais faire bloquer l'accès à des contenus, surtout lorsqu'ils se trouvent sur des serveurs à l'étranger, peut s'avérer compliqué. Et cela suppose une forte coopération internationale. La portée de cette annonce est donc, aussi, symbolique. "La France affiche sa résolution à agir et s'engage à essayer de bloquer la diffusion de ce genre de contenus dans le pays", décrypte Daniel Ventre.
Sans compter qu'"enrayer cette diffusion nécessite un effort et une vigilance permanente, poursuit-il. Parvenir à bloquer l'accès à des contenus, faire fermer des comptes sur Facebook ou Twitter n'est en aucun cas la garantie que dans les heures ou les jours qui suivront, les auteurs n'aient rouvert un nouveau compte."
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