Tunisie : le choc et les interrogations après l'attentat
La stupéfaction a envahi depuis mercredi le quartier Ibn Khaldoum à Tunis, le secteur d’origine d’un des deux jeunes identifiés comme ayant mené l’attaque du musée du Bardo. Le choc pour les habitants laisse peu à peu la place aux interrogations pour tenter de trouver des explications à l'inconcevable, ressenti par de nombreux habitants. Mathilde Lemaire, envoyée spéciale de France Info s'est rendue dans ce quartier populaire.
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Des habitants abasourdis
Le quartier Ibn Khaldoum se situe au nord de Tunis. Six cités populaires composées d’immeubles blancs de quatre à cinq étages, de commerces, de mosquées. Ici, règne une certaine mixité. On y voit des jeunes filles coquettes, sans voile, maquillées qui côtoient des tunisiens âgés en tenue traditionnelle.
Tous suivent les informations par la télévision à la maison ou dans les cafés et tous sont abasourdis et choqués. Pour certains jeunes, c’est même impossible, ils ne croient pas qu’un jeune de chez eux a commis cette attaque sanglante.
Yassin, 32 ans est ému. "On n’a jamais eu de soucis ici dans ce quartier populaire avec le terrorisme" dit-il en décrivant son quartier comme un des plus calmes de la capitale tunisienne. Cet habitant ajoute aussi qu’il est "choqué".
"C’est inacceptable, ils s‘attaquent à des gens innocents."
Quand on prend le temps de discuter avec des jeunes aux terrasses des cafés, certains, en veillant à rester discrets, évoquent toutefois des changements. Oui, disent-ils, depuis la révolution de 2011, les choses ont changé. Certains musulmans très pratiquants, salafistes, feraient la morale aux citoyens les moins pieux.
Faouzi, un habitant d’une trentaine d’années, raconte ce qui a changé dans son quartier.
"Les salafistes cherchent les gens qui boivent de l’alcool, ceux qui fument (…) Ils disent que la prière est obligatoire. Des gens ont peur d’eux."
Une certaine pression, mais sans violence, serait exercée parfois sur les musulmans les moins assidus à la prière. Et Faouzi tempère ce qu’il a vu se modifier dans le quartier. "Des radicalisés haineux, des fous de dieu capables de prendre une kalachnikov pour tirer dans la foule, ça je ne veux pas croire qu’il y en ait chez nous" disent en résumé Faouzi et ses amis.
Un islam plus rigoureux pour certains
Ramzi, un quadragénaire à la barbe fournie, dit aller chaque jour à la mosquée. Il ne rejette pas le qualificatif de salafiste. Il fait partie de ceux qui condamnent le plus fermement l’attentat du musée du Bardo.
"Je doute vraiment que ces tueurs-là soient des musulmans. Pour moi, ils ne sont pas de vrais musulmans. Le prophète dit que ceux qui tuent des innocents ne peuvent pas faire partie de la communauté des fidèles. Ces jeunes radicalisés sont souvent des jeunes qui faisaient n importe avant, qui buvaient de l’alcool, ne respectaient rien. Et ils sont passés d’un extrême à l’autre, séduits par des extrémistes violences. C’est devenu impossible de discuter avec ces gens radicalisés. Ils nous considèrent comme des mécréants. L’état islamique, c’est un cancer pour le monde entier, un cancer pour les musulmans qui en sont les premières victimes."
Ramzi se dit donc lui bien conscient de la radicalisation de certains jeunes Tunisiens perdus. 3.000 seraient partis faire le djihad en Syrie, en Irak ou en Lybie ce pays voisin de la Tunisie en proie au chaos. On parle aussi de foyers extrémistes à la frontière avec l’Algérie, foyers qui fourniraient à Daech ses bataillons les plus gros et les plus fanatisés. 500 de ces djihadistes seraient rentrés et ils représenteraient une vraie menace.
La tentation du djihad qui inquiète
Dans le quartier Ibn Khaldoum comme ailleurs, les Tunisiens ont parfois aux sujets des candidats au djihad des mots très durs. Les photos des cadavres des deux terroristes du musée du Bardo ont circulé dès mercredi soir sur internet, une publication vécue par certains comme un objet de satisfaction. Ceux qui veulent suivre ce chemin doivent être "enfermés à vie, déchus de la nationalité tunisienne" commentent des habitants.
D’autres voix s’élèvent pour dire que c’est la société elle-même "malade qui a produit de tels monstres". C’est l’avis d’Ahmed, un enseignant d’une cinquantaine d’années. Il estime que la réponse ne doit pas être uniquement sécuritaire, mais aussi sociale et éducative.
"Ces gens-là ne sortent pas de nulle part. Ce sont des Tunisiens qui vivent une situation que beaucoup de jeunes peuvent vivre. Une situation de privation, de pauvreté, de chômage (…) Au-delà du sécuritaire, il faut des réponses qui redonnent de la dignité aux gens."
Pour le moment les premières mesures annoncées par le président et le gouvernement sont des mesures sécuritaires. Il s'agit d'un renforcement des contrôles policiers et de la présence militaire aux frontières et dans les grandes villes.
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