L'aéroport international d'Istanbul, une cible de choix pour des terroristes
Trois kamikazes ont tué 41 personnes et en ont blessé 239 autres, mardi soir, à l'aéroport Atatürk d'Istanbul.
Impact médiatique, économique, stratégique : pour les terroristes qui ont fait au moins 41 morts, mardi 28 juin, l'aéroport d'Istanbul (Turquie) était une cible de choix, d'autant qu'elle était plutôt vulnérable. Car ce qui compte, ce n'est pas tant la puissance de la bombe que l'endroit où elle explose. Explications.
Un lieu très fréquenté difficile à sécuriser
Si les aéroports sont de plus en plus sécurisés, ils restent des cibles assez faciles à atteindre et "intéressantes" pour les terroristes. Le hall d'un aéroport concentre de nombreuses victimes potentielles. Le mode opératoire en Turquie rappelle d'ailleurs celui de l'attaque de l'aéroport de Bruxelles, le 22 mars : plusieurs terroristes ont visé l'entrée. Des lieux très fréquentés, facilement accessibles.
Pourtant, l'aéroport d'Istanbul est considéré par les spécialistes comme très bien sécurisé. Plus que les aéroports parisiens, par exemple. Conscients de la menace qui pèsent sur la Turquie, les autorités ont mis en place un filtre de sécurité supplémentaire, avant même l'accès aux terminaux. Les circonstances de la fusillade suivie d'explosions restent floues. Les terroristes ont-ils réussi à franchir ce premier filtre sans avoir recours à la force ou ont-ils dû ouvrir le feu ? Quoi qu'il en soit, ces filtres supplémentaires déplacent le risque d'engorgement, créant de nouvelles files d'attente, une nouvelle cible, et in fine un nouveau risque.
Pour contourner ce problème, l'aéroport de Tel Aviv (Israël) contrôle jusqu'à des kilomètres avant d'arriver à l'aérogare. Mais l'aéroport Ben-Gourion n'est pas l'aéroport Atatürk d'Istanbul, quatre fois plus gros, troisième plus important d'Europe et onzième mondial avec 60 millions de passagers par an.
Enfin, l'aéroport Atatürk est situé en Turquie. Pour les groupes terroristes islamistes, premiers suspects dans ces attaques, Istanbul est à un jet de pierre. De nombreux jihadistes ont transité par la Turquie pour entrer en Syrie, des filières y ont proliféré. Facile dans ces conditions de se procurer armes et soutien logistique.
Dans un pays stratégique
Les attentats se multiplient depuis un an en Turquie. Il s'agit de la cinquième attaque kamikaze. En douze mois, près de 200 personnes ont été tuées dans des attentats à Ankara et Istanbul. Le pays est visé par des terroristes islamistes, mais aussi kurdes. Cette émergence du terrorisme trouve sa source en Syrie. Les groupes radicaux islamistes y prospèrent, tandis que la guerre civile a ravivé les espoirs d'un grand Kurdistan à cheval sur l'Irak, la Syrie et la Turquie. Kurdes et jihadistes sont eux-mêmes en guerre en Syrie et en Irak.
Comme lors de précédents attentats, celui contre l'aéroport Atatürk n'a pour le moment pas été revendiqué. Mais les regards se tournent vers l'Etat islamique. Le président turc Recep Tayyip Erdigan a été accusé de négligence, sinon de complaisance, voire de complicité (par ses détracteurs) avec l'Etat islamique. Les velléités indépendantistes kurdes ont longtemps été le souci majeur des Turcs.
Mais depuis un an, le pays s'est engagé contre l'organisation terroriste. La Turquie a rejoint, non sans traîner les pieds, la coalition internationale contre Daech. Le changement "s'est réellement concrétisé depuis l’attaque de la gare d’Ankara il y a six mois, car même s'il n'avait pas été revendiqué, l’enquête avait pu conforter la thèse de l’attentat jihadiste. Aujourd’hui, il y a en Turquie un travail permanent des autorités turques qui démantèlent des cellules terroristes et procèdent à des arrestations. Il y a en permanence des gens qui sont arrêtés et des ceintures d’explosifs retrouvées. Il y a même eu des opérations armées, des affrontements armés à la frontière syrienne", indique à 20 Minutes Jean Marcou, professeur à Sciences-Po Grenoble.
Signe de ce revirement turc, au moment de l'attentat, Ankara venait tout juste de faire des pas importants pour normaliser ses relations avec Israël et la Russie. Deux anciens alliés, avec lesquels la Turquie s'était brouillée.
Qui assure une bonne exposition médiatique
Un rapide examen des attentats depuis dix ans montre que les aéroports sont une cible privilégiée. Des aéroports ont été frappés à Glasgow (Royaume-Uni) en 2007, Francfort (Allemagne) et Moscou (Russie) en 2011, Bruxelles (Belgique) en 2016, sans compter Karachi (Pakistan) en 2014 et Kandahar (Afghanistan) en 2015.
D'autres ont eu lieu à Orly, en France, en 1975 et 1983. Plus proche de nous, l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle figurait sur la liste du groupe de Saint-Denis, responsable des attentats de novembre 2015. L'année dernière, l'aéroport de Toulouse était aussi mentionné dans une liste de sept sites privilégiés par les terroristes établie par les services de renseignement.
Spectaculaires, les attentats contre les aéroports, d'importantes infrastructures, assurent une couverture médiatique importante. Et s'il s'agit d'un aéroport international, les victimes pourraient également être de plusieurs nationalités. Et donc assurer un écho à l'étranger.
Cette fois, le suicide de l'un des terroristes et une explosion ont même été capturés par les nombreuses caméras de surveillance. Des vidéos largement diffusées par les médias et qui ajoutent à l'horreur.
Et frappe directement l'économie
En Turquie, au rythme des attentats qui se succèdent, le tourisme plonge. Or, ce secteur est l'un des grands pourvoyeurs de devises de l'économie turque, avec près de 30 milliards d'euros par an.
Les attentats récents ont touché en priorité des sites touristiques emblématiques. A Istanbul, le 12 janvier, 12 touristes allemands ont été fauchés dans un attentat-suicide dans la zone ultra-visitée de Sultanahmet. Deux mois plus tard, quatre touristes étrangers ont été tués par un kamikaze sur l'avenue la plus célèbre et la plus animée d'Istanbul, Istiklal.
Conséquence : pour le mois de mai, le ministère du Tourisme a fait état de la plus forte baisse d'arrivées en 22 ans, avec une chute de près de 35% du nombre de touristes étrangers, à 2,5 millions de visiteurs. Au total, sur les cinq premiers mois de l'année, les arrivées ont baissé de 23%. Déjà, le gouvernement turc a annoncé au printemps un plan d'aide de plusieurs millions d'euros pour soutenir l'activité touristique, mais qui semble dérisoire.
Le tourisme turc n'est pas seul à souffrir. Après l'attentat contre un vol au départ de Sharm-El-Sheikh, le tourisme égyptien avait brutalement chuté. "La Bourse ne s'y est d'ailleurs pas trompée, qui a immédiatement enregistré une forte baisse de l'action Air France", soulignent Les Echos. Avec l'attentat à l'aéroport Atatürk, c'est le transport aérien qui est visé, et la compagnie Turkish Airlines, qui possède l'un des flottes les plus modernes au monde.
"Les attaques contre les aéroports et le transport aérien en général ont un effet multiplicateur sur l'économie d'un pays", poursuivent Les Echos. D'ailleurs, plus la situation est instable et moins les investisseurs étrangers sont confiants pour investir.
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