Séisme en Turquie : "Recep Tayyip Erdogan pourrait repousser l'élection présidentielle d'un an", explique une spécialiste
"On peut s'attendre à ce que la date des élections bouge encore", estime lundi sur franceinfo, la chercheuse Dorothée Schmid.
"C'est toute la face un peu sombre de la Turquie qui est mise au jour par ce tremblement de terre", explique lundi 13 février sur franceinfo la chercheuse à l'Institut français des relations internationales (Ifri) Dorothée Schmid. "Ce sont des régions où il y a une misère, des régions moins développées et limites du point de vue social." La responsable du programme "Turquie contemporaine et Moyen-Orient" à l'Ifri explique que "20% du territoire turc est pratiquement en situation d'urgence humanitaire" et qu'"il n'est pas du tout évident qu'on arrive à organiser l'élection présidentielle dans les temps". "Certaines rumeurs disent que Recep Tayyip Erdogan pourrait exhiber la situation présente pour repousser les élections d'un an."
franceinfo : Le pouvoir turc cherche-t-il un bouc émissaire ?
Dorothée Schmid : Il y a une situation d'urgence politique pour Recep Tayyip Erdogan, parce qu'il y a des dégâts matériels mais aussi un dégât d'image très impressionnant avec cette catastrophe. On a l'impression que l'État turc s'est effondré en même temps que les bâtiments. Erdogan était déjà très limite dans les sondages en 2022, où il est passé plusieurs fois derrière l'opposition. Il y a donc une urgence aujourd'hui pour le pouvoir turc à ne pas laisser l'opposition prendre la main sur le plan de la critique.
Twitter a d'ailleurs été coupé...
Oui et des personnalités qui s'exprimaient sur les réseaux sociaux ont été arrêtées. Il y a une mainmise très forte sur le débat public. C'est dû en partie au fait que la plupart des municipalités de la région frappée par le tremblement de terre sont gérées par le Parti de la justice et du développement (AKP) d'Erdogan. Ce sont des régions où il y a une misère faite de Syriens réfugiés ou encore de Kurdes déplacés de l'Est. Ce sont des régions limites du point de vue social, qui sont moins développées, à l'exception de Gaziantep. C'est toute la face un peu sombre de la Turquie qui est mise au jour par ce tremblement de terre et d'autant plus visible qu'il y a des équipes de secouristes internationaux qui se relaient sur place et racontent ce qu'elles voient.
Il est impossible d'imaginer les habitants pouvoir revenir chez eux dans les prochaines semaines ?
Quand vous comparez la zone d'impact du tremblement de terre en Turquie avec ce que ça donnerait en France, c'est gigantesque. Aujourd'hui, 20% du territoire turc est pratiquement en situation d'urgence humanitaire. Cela prendra beaucoup de temps à reconstruire. Et pour le moment, la plupart des habitants des zones sinistrées sont en train de s'enfuir. Il y aura donc de très gros déplacements de population. Il y a beaucoup de gens qui partent à Istanbul. Les Européens craignent également qu'une partie des réfugiés syriens reprennent leur exode pour aller plus loin et repartir en Europe. Les Libanais sont également inquiets. Les réfugiés sont le premier bouc émissaire possible d'autant que, dans la préparation des élections, les programmes de l'opposition et du gouvernement prévoyaient de renvoyer les réfugiés syriens chez eux. Ce consensus sur ce point doit être relié à la crise économique très forte et à l'appauvrissement de la population turque.
À l'évidence, ce tremblement de terre aura une forte empreinte sur l'élection présidentielle prévue en mai et sur la campagne qui va débuter...
En principe, l'opposition devait annoncer le nom de son candidat aujourd'hui mais elle ne l'a pas fait. Le premier effet, c'est que ça ne semble donc pas être le bon moment pour abattre ses cartes. Cette semaine, on est surtout dans l'attente d'une éventuelle décision sur la date des élections, qui avait été avancée par Erdogan. Finalement, il n'est pas du tout évident qu'on arrive à les organiser dans les temps, surtout dans les régions sinistrées. On a un état d'urgence dans dix provinces de la Turquie. Donc on peut s'attendre à ce que la date des élections bouge encore. Il y a même certaines rumeurs qui disent que Recep Tayyip Erdogan pourrait exhiber la situation présente pour dire qu'on est quasiment dans un état de guerre et repousser les élections d'un an.
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