Sommet de l'Otan : "La complaisance" envers la Turquie "vient surtout de l'Allemagne", souligne le politologue Ahmet Insel
Le blocage est notamment lié à la question des quatre millions de migrants parqués aux portes de l'Europe. La position "stratégique" est une "rente" dont "use et abuse" le président turc. Il en profite pour commettre des "exactions" contre les "droits de l'homme", selon Ahmet Insel.
"La complaisance" envers la Turquie "vient surtout de l'Allemagne", a souligné mardi 23 mars sur franceinfo Ahmet Insel, économiste, politologue, maître de conférence à Paris. Il reprend ainsi le mot utilisé par Emmanuel Macron qui, dans une interview à France 5, regrette la "complaisance" de l'Union européenne à l'égard du président turc. Si "Angela Merkel est complaisante", c'est "essentiellement pour maintenir l'accord de coopération sur les réfugiés parqués en Turquie", analyse le politologue. Il souligne que la France est "un peu seule" dans sa critique de l'action de la Turquie en Libye, les Américains se montrent plutôt "très irrités sur l'achat par la Turquie des missiles sol-air russes S-400". Ahmet Insel est co-auteur du livre Le national-capitalisme autoritaire menace la démocratie, à paraître en avril.
franceinfo : La France peut-elle faire entendre sa voix à l'Otan ou est-elle seule dans sa position ferme face à Ankara ?
Emmanuel Macron a identifié comme problème majeur la confrontation avec la Libye. Là-dessus, la France est un peu seule, parce que les États-Unis ne sont pas aussi radicalement engagés du côté du régime de Haftar [le maréchal Haftar est l'homme fort de l'est de la Libye]. Mais en revanche, les États-Unis sont très irrités sur l'achat par la Turquie des missiles sol-air russes S-400, qui sont incompatibles avec l'armement de l'Otan et particulièrement avec l'aviation de l'Otan. Donc, il y a des conflits avec l'Otan et surtout avec les Américains sur ces questions-là et le conflit de la France avec la Turquie, il existe sur la Libye mais aussi sur la Syrie, mais aussi sur les explorations gazières de la Turquie en Méditerranée orientale, qui sont en conflit avec la République de Chypre et la Grèce. Par contre, j'attire votre attention sur la déclaration d'Emmanuel Macron, qui va être diffusée dans C dans l'air et a été enregistrée le 2 mars. Entre-temps, Emmanuel Macron et Angela Merkel ont envoyé leurs conseillers diplomatiques en Turquie, ils ont eu des négociations en vue de préparer le Conseil européen de cette semaine. Je ne sais pas s'il y a eu entre-temps des négociations aussi sur la question de l'Otan, je me méfie toujours du décalage entre les annonces publiques et les négociations directes. Les pays de l'Union européenne ne sont pas très clairs malheureusement, dans leur politique avec le Moyen-Orient, et particulièrement avec la Turquie.
Emmanuel Macron dit regretter la "complaisance" de l'Union européenne à l'égard du président turc. A-t-il raison d'employer ce mot de complaisance ?
La complaisance vient surtout de Merkel et de l'Allemagne. Aujourd'hui, l'Allemagne fait d'énormes pressions sur la Commission européenne et sur les pays de l'Union européenne pour maintenir un agenda positif dans les termes officiels avec la Turquie, essentiellement pour maintenir l'accord de coopération sur les réfugiés et les quatre millions de migrants qui sont parqués en Turquie.
"Cette tétanie de l'Union européenne face à une possible arrivée de réfugiés facilite évidemment la négociation de Tayip Erdogan, qui comprend toujours les questions avec des rapports de force."
Ahmet Insel, économiste, politologueà franceinfo
Oui, Angela Merkel est complaisante de ce point de vue-là et bloque les possibilités d'une action plus vigoureuse de l'Union européenne par rapport à toutes les exactions des droits de l'homme. En l'espace de trois jours, depuis vendredi dernier, il y a eu une série de décisions prises unilatéralement par Tayyip Erdogan : demande d'interdiction du parti pro-kurde qui est le troisième groupe parlementaire, déchéance de députation de certains membres de ce parti, retrait de la convention dite d'Istanbul concernant la lutte contre les crimes visant les femmes, etc. Il y a une politique réactionnaire, patriarcale en Turquie, là-dessus je pense que l'Union européenne devrait avoir une attitude beaucoup plus ferme.
Ce sommet de l'OTAN va-t-il permettre, comme le souhaite Emmanuel Macron, de clarifier la place de la Turquie dans l'OTAN ?
Nous ne savons pas ce qui se passe dans le secret des négociations, quelles vont être les positions prises par chacun. C'est vrai que la dernière fois, le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg a eu pour la première fois une position plutôt ferme vis-à-vis de la Turquie, essentiellement sur la question des missiles S-400. Je crois que c'est le gouvernement Biden qui donne le "la". Ils sont relativement irrités par l'attitude très "chaotique" d'une certaine manière de Tayyip Erdogan. Il y a plusieurs conflits. Le conflit syrien s'est encore aggravé ces derniers temps, il y a eu des bombardements des régions tenues par les Kurdes. Il y a eu des envois des fusées en contrepartie vers la frontière turque. Donc, je pense qu'il va y avoir des tensions. Mais vous savez, il y a déjà eu beaucoup de tensions et après une sorte de retour en arrière. Cette position stratégique de la Turquie est une rente dont Tayyip Erdogan use et abuse depuis très longtemps.
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