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Syrie : quatre questions sur l'offensive turque lancée contre les Kurdes

Depuis trois jours, Ankara attaque des positions tenues en Syrie par des Kurdes soutenus par Washington dans la lutte contre l'Etat islamique.

Article rédigé par franceinfo
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L'armée turque attaque une position des Kurdes du YPG, le 20 janvier 2018 en Syrie, près de la frontière turque. (BULENT KILIC / AFP)

Il pourrait s'agir d'un tournant dans le conflit syrien. L'armée turque a lancé, samedi 20 janvier, une offensive contre des combattants kurdes dans la région frontalière d'Afrin, en Syrie. Ces Kurdes, alliés de Washington dans la lutte contre l'Etat islamique, représentent une menace territoriale pour Ankara. Franceinfo décrypte les enjeux de cette intervention militaire.

Que se passe-t-il à la frontière turco-syrienne ?

Depuis samedi, l'armée turque bombarde les positions kurdes dans la région d'Afrin. Cette zone située dans le nord-ouest de la Syrie est un fief des Unités de protections du peuple (YPG), une milice kurde connue pour avoir combattu l'Etat islamique ces dernières années. Dimanche, au deuxième jour de cette offensive baptisée "Rameau d'olivier", des chars et des militaires turcs ont traversé la frontière, appuyés par 32 chasseurs-bombardiers.

L'armée turque a affirmé, dimanche, avoir détruit "45 cibles", dont des abris et des caches d'armes. Lundi matin, elle a dit avoir conquis onze positions des YPG et détruit deux positions depuis lesquelles des roquettes avaient été tirées sur la ville turque de Reyhanli.

Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), 21 personnes, dont six enfants, ont été tuées dans les bombardements turcs depuis samedi. Ankara affirme n'avoir touché que des "terroristes" et accuse les YPG de "propagande".

Comment la Turquie justifie-t-elle son intervention ?

Le pouvoir turc considère les YPG comme un groupe terroriste qui opère à ses portes. Ankara les accuse notamment d'être la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), un groupe qui mène une rébellion dans le sud-est de la Turquie depuis plus de trente ans. Le PKK est répertorié comme une organisation terroriste non seulement par la Turquie mais aussi par les Etats-Unis et l'Europe, ce qui n'est pas le cas des YPG. Selon le Premier ministre turc, Binali Yildirim, l'opération a pour but de créer une "zone de sécurité" d'une profondeur de 30 km à partir de la frontière.

Mais les motivations de la Turquie sont aussi géopolitiques. "L'obsession d'Ankara, c'est d'éviter la formation d'un Kurdistan autonome en Syrie qui pourrait encourager les Kurdes de Turquie à faire de même", explique à franceinfo Jana Jabbour, chercheuse associée au CERI (Sciences Po) et auteure de La Turquie, l'invention d'une diplomatie émergente (CNRS Editions).

Pour la Turquie, l'enclave d'Afrin est stratégique car il s'agit d'une enclave coincée entre la frontière turque et une région de Syrie contrôlées par des rebelles pro-Turcs, comme le montre cette carte de l'AFP.

Si Ankara parvenait à déloger les combattants kurdes de cette zone, cela pourrait permettre aux rebelles pro-Turcs de contrôler quelque 200 km de frontière, explique la BBC (en anglais).

Pourquoi cette offensive risque-t-elle de provoquer une brouille avec les Etats-Unis ?

Les Kurdes sont les ennemis jurés du pouvoir turc, mais ils sont aussi les alliés des Occidentaux dans le cadre de la guerre contre l'Etat islamique. En effet, les YPG sont la principale composante d'une alliance arabo-kurde, les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenue par Washington dans la lutte contre les groupes jihadistes en Syrie.

L'offensive turque est d'ailleurs intervenue quelques jours seulement après l'annonce par la coalition internationale de la création d'une "force frontalière" de 30 000 hommes, composée pour moitié de FDS. Face à la colère turque, le Pentagone avait dû assurer, mercredi, qu'il ne s'agissait pas d'une "nouvelle armée" mais seulement d'un entraînement des "forces locales de sécurité". "Nous ne sommes pas du tout en train de créer une force de sécurité frontalière. Il s'agit seulement d'un entraînement accru pour essayer d'empêcher l'EI" de refaire surface, a expliqué le secrétaire d'Etat américain, Rex Tillerson. Une mise au point insuffisante pour Ankara, qui a donc décidé d'intervenir militairement.

La réaction de Washington à cette offensive est toutefois restée mesurée. Les Etats-Unis ont certes appelé la Turquie "à faire preuve de retenue", mais le ministre de la Défense, Jim Mattis, a déclaré que la Turquie était "le seul pays de l'Otan avec une insurrection active à l'intérieur de ses frontières", jugeant "légitimes" ses "préoccupations sécuritaires". Il a précisé que la Turquie avait été "franche" en avertissant Washington de ses intentions avant de lancer l'opération aérienne.

Quelles sont les conséquences pour la région ?

Réputées pour leur discipline et leur âpreté au combat, les YPG risquent d'avoir du mal à résister à cette attaque de l'armée turque. Les combattants kurdes "vont sans doute opposer une résistance acharnée, mais je ne sais pas de quel armement ils disposent et une attaque turque déterminée sera probablement difficile à repousser", estime Aron Lund, expert à la Century Foundation, interrogé par l'AFP.

Mais au-delà du sort de la région d'Afrin, c'est l'avenir du processus de paix qui est en question, notamment l'organisation d'un Congrès du dialogue national syrien qui doit se tenir le 30 janvier à Sotchi (Russie). Moscou a précisé, lundi, que les Kurdes avaient été invités à cette réunion.

Mais cette intervention militaire pourrait venir dégrader les relations, jusqu'à présent cordiales, entre la Russie et les YPG. Interrogé par l'AFP, Max Hoffman, analyste au Center for American Progress, relève que l'aile politique de la milice kurde, le PYD, tient la Russie, autant que la Turquie, pour responsable de l'offensive d'Ankara. La réponse russe ne s'est pas fait attendre : lundi matin, le ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a accusé les Etats-Unis d'encourager le séparatisme kurde.

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