Après la Turquie, les coups d'Etat militaires ont-ils encore un avenir ?
Deux chercheurs américains, Jonathan M. Powell et Clayton L. Thyne, confirment le pressentiment : les coups d'Etat ne sont plus très courants.
Le putsch a fait pschitt. Lancé avant la nuit tombée, vendredi 15 juillet, le coup d'Etat militaire en Turquie n'a pas vu le soleil se lever sur les eaux du détroit du Bosphore. Un énième échec. Car, depuis quelques années, l'issue des pronunciamiento est plus hasardeuse que jamais pour les conspirateurs. Les coups d'Etat sont-ils appelés à disparaître ?
Ce que disent les chiffres
Deux chercheurs américains, Jonathan M. Powell et Clayton L. Thyne, confirment le pressentiment : les coups d'Etat ne sont plus très courants. Powell et Thyne ont patiemment recensé les tentatives de coup d'Etat entre 1950 et 2010. A savoir, "les tentatives illégales et ouvertes, par les élites militaires ou autres au sein de l'appareil d'Etat, de renverser le pouvoir exécutif en place".
Un inventaire délicat. Il leur a fallu trier des centaines et des centaines d'événements, expliquent-ils dans un article (en anglais), pour finalement retenir 457 tentatives en 60 ans. Parmi elles, "227 (49,7%) ont réussi et 230 (50,3%) ont échoué". Soit, une chance sur deux de réussir. Le continent africain a été le plus marqué par les coups d'Etats (36,5% d'entre eux y ont eu lieu), talonné par l'Amérique latine (31,9%). Suivent le Moyen-Orient (15,8%) et l'Asie (13,1%).
La période la plus propice aux coups d'Etats a été le milieu des années 1960. Durant cette période, on compte de nombreuses tentatives de putsch (12 en 1963 et 12 encore en 1966). Leur fréquence décroit ensuite lentement, mis à part deux "bulles" : au milieu des années 1970 et au début des années 1990.
Les tentatives de coup d'Etats se font ensuite de plus en plus sporadiques. Francetv info en a comptabilisé seulement deux avérées en 2015 (Burundi et Burkina Faso). Deux échecs.
Guerre froide, guerre de coups
Les coups d'Etat ont pullulé dans les années 1960 et 1970, en pleine guerre froide. L'Amérique latine est un terrain privilégié. L'épidémie débute dans les années 1960, avec des putschs au Salvador, en Argentine, en Equateur, en Bolivie, au Brésil, au Panama, au Pérou. Dans les années 1970, une nouvelle série de coups d'Etat militaires porte à la tête de l'exécutif des gouvernements qui cherchent à éradiquer les forces communistes et plus généralement tout opposant. Point culminant : le coup d'Etat mené au Chili par Augusto Pinochet contre Salvador Allende, en 1973.
L'Afrique n'est pas épargnée par l'antagonisme est-ouest. Au Congo, le Premier ministre Patrice Lumumba est soupçonné d'avoir des accointances avec les communistes ? Il est assassiné en janvier 1961 avec l'appui des anciens colons belges et de la CIA. Suit la prise de pouvoir de Mobutu Sese Seko qui amorce une ère de coups d'Etats dans la foulée de la vague d'indépendances des années 1960.
Avec l'effondrement du bloc communiste, l'opposition n'a plus lieu d'être en Amérique latine. La tension baisse. Mais en Afrique subsaharienne, on n'assiste pas au "déclin remarquable (des putschs) dans l'Amérique latine post-guerre froide", observe Jonathan M. Powell (page 5, en anglais). Une observation mise en lumière par deux cartes, montrant les putschs pendant et après la guerre froide.
En Afrique, selon Jonathan Powell, c'est la création de l'Union africaine, qui succède à l'organisation de l'Unité africaine (UA), qui calme les ardeurs des putschistes. Née en 2002, l'UA inscrit dans ses statuts la condamnation et le rejet des "changements anticonstitutionnels de gouvernement". Elle bannit systématiquement les réfractaires. Et c'est sans compter sur les condamnations assurées de l'ONU et des chancelleries occidentales. Isolement garanti qui donne à réfléchir aux apprentis putschistes.
Des coups difficile à réussir
Réussir un coup d'Etat est devenu de plus en plus difficile. En s'emparant de la télévision nationale pour y lire une déclaration, les putschistes turcs ont pourtant respecté l'une des règles d'or du manuel du coup d'Etat. Mais cela ne suffit plus pour contrôler sa communication. Dans un moment qui peut prêter à sourire, le président Recep Tayyip Erdogan, grand pourfendeur des réseaux sociaux, a utilisé l'application FaceTime pour apparaitre sur l'écran du téléphone portable d'une journaliste d'une chaîne privée. Il a alors mobilisé ses partisans qui ont investi la rue.
Cumhurbaşkanı Erdoğan, CNN TÜRK yayınında konuştu: Milletimizi meydanlara davet ediyorum https://t.co/TpKyQhadpm pic.twitter.com/iMeekYx63u
— CNN Türk (@cnnturk) July 15, 2016
INCROYABLE , Erdogan parle sur la chaîne turque via Facetime pic.twitter.com/Z9syWtpcHq
— DaBens (@Dabens_) July 15, 2016
Les putschistes, analyse Vox, "n'ont pas réussi à donner l'impression qu'ils étaient en position de l'emporter". Le site, qui s'appuie sur l'analyse du spécialiste des coups d'Etat Naunihal Singh, développe : "La capacité à créer la perception du succès, souvent par le biais des médias, est cruciale dans les coups d'Etats. En gros, si les gens pensent que le coup va réussir, ils l'adoptent, car ils ne veulent pas être du mauvais côté du fusil".
De même, au Burkina Faso, où un coup d'Etat a échoué en 2015, la société civile est parvenue à mobiliser la population contre les putschistes via une radio pirate et les réseaux sociaux. Se revendiquant de cette légitimité de la rue, un groupe de jeunes officiers a pu faire pression sur l'état-major pour que la balance penche contre les putschistes.
Putschs nouvelle génération ?
Fini le temps du coup d'Etat éclair au milieu de la nuit, des soldats qui se contentent de mettre la main au collet du président et d'investir la télévision nationale. Est-ce que cela signe la fin des coups d'Etat pour autant ?
En Egypte, les militaires ont su utiliser opportunément l'opinion publique et mettre en place une stratégie médiatique sophistiquée. Se présentant comme les garants de l'ordre dans un pays rendu ingouvernable, le maréchal Al-Sissi profite d'une période volatile et du soutien d'une partie de la population fatiguée des troubles pour prendre le pouvoir à l'issue d'un ultimatum de 48 heures en 2013. Après une brève période de transition, il se présente à la présidentielle et obtient, en mai 2014, le score soviétique de 96% à l'issue d'un scrutin marqué par des fraudes massives.
Dans une tribune publiée dans Foreign Policy, l'ONG Human Rights Watch s'inquiète aussi de "coups d’État plus modérés et en douceur en Afrique". Les deux auteures évoquent des "coups d'Etat constitutionnels", plus subtils. Une manière de manipuler la démocratie, en trafiquant les constitutions pour contourner la limitation des mandats, comme au Congo (Denis Sassou Nguesso), en Guinée Equatoriale (Teodoro Obiang Nguema), au Zimbabwe (Robert Mugabe), en Angola (José Eduardo dos Santos) ou encore en Ouganda (Yoweri Museveni ). Et d'observer que : "Trop souvent, leurs manœuvres juridiques sont accompagnées par des violations de droits humains ainsi que des répressions brutales contre les personnes qui s'y opposent."
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