Journalistes arrêtés, fonctionnaires limogés, spectre de la peine de mort : trois signes que la purge continue en Turquie
La police turque a arrêté le rédacteur en chef du principal journal d'opposition. Une nouvelle étape de plus dans la répression après la tentative de coup d'Etat du 15 juillet.
Un symbole de plus de l'autoritarisme du président turc Recep Tayyip Erdogan. Lundi 31 octobre, la police turque a arrêté le rédacteur en chef et plusieurs journalistes de Cumhuriyet, principal quotidien d'opposition, qui a assuré qu'il lutterait "jusqu'au bout" dans un pays où la presse a été particulièrement visée par les purges menées depuis le putsch avorté du 15 juillet.
Le journal a annoncé qu'une douzaine de ses dirigeants et journalistes, dont le rédacteur en chef Murat Sabuncu, avaient été interpellés et placés en garde à vue. Au total, 16 mandats d'arrêt ont été délivrés, selon Cumhuriyet. Ces arrestations interviennent dans le cadre d'une enquête pour "activités terroristes" en lien avec le mouvement du prédicateur Fethullah Gülen, accusé d'avoir ourdi le coup d'Etat raté, et avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), selon le parquet.
Franceinfo revient sur les trois signes qui montrent que la purge, d'une ampleur sans précédent, se poursuit en Turquie.
Les médias critiques du régime sont muselés
Parmi les arrestations de ce lundi, un célèbre journaliste et écrivain turc, Kadri Gürsel, membre de l'Institut de la presse international (IPI) et chroniqueur à Cumhuriyet, a notamment été placé en garde à vue, comme l'a indiqué sur Twitter Christophe Deloire, directeur général de Reporters Sans Frontières (RSF).
Notre ami Kadri Gürsel, grand journaliste, arrêté à son tour en #Turquie. Il était invité le 2 mai à @paris avec @Anne_Hidalgo @PKlugman pic.twitter.com/RQQo41tZZx
— Christophe Deloire (@cdeloire) 31 octobre 2016
Les policiers ont saisi des ordinateurs et perquisitionné les domiciles de plusieurs journalistes, dont Akin Atalay, président du directoire, du journaliste Güray Oz et du caricaturiste Musa Kart.
Connu pour ses représentations peu flatteuses de Recep Tayyip Erdogan, le dessinateur a affirmé n'avoir "rien à cacher, tout ce que j'ai écrit, tout ce que j'ai dessiné, tout est public". "Aujourd'hui, on me place en garde à vue simplement parce que je dessine des caricatures", a encore déploré Musa Kart.
Au rythme où s'abat la répression, le pluralisme ne sera rapidement plus qu'un lointain souvenir.
"Ils prennent d'assaut la dernière forteresse", s'est désolé sur Twitter Can Dündar, un ancien rédacteur en chef de Cumhuriyet. Comme directeur de la publication du journal, il avait été condamné à cinq ans de prison en mai dernier pour avoir révélé l'existence d'un trafic d'armes organisés par les services secrets turcs à destination de groupes rebelles syriens.
Selon l'Association des journalistes de Turquie, 170 organes de presse ont été fermés, 105 journalistes placés en détention et 777 cartes de presse annulées depuis la tentative de coup d'Etat du 15 juillet. La Turquie est actuellement 151e au classement mondial de la liberté de la presse dressé par RSF, derrière le Tadjikistan et juste devant la République démocratique du Congo.
L'épuration dans le service public se poursuit
Deux décrets publiés samedi 29 octobre ont annoncé le limogeage de plus de 10 000 fonctionnaires. Selon le décompte du Monde, cette vague d'épuration au sein des administrations d'Etat viendrait s'ajouter aux 85 000 autres depuis la mi-juillet.
Le quotidien du soir rapporte également que les présidents d’université seront désormais nommés par le chef de l’Etat et non plus élus par leurs pairs. Particulièrement critiquée par l'opposition, cette mesure viserait à "limiter l'influence des 'gülenistes' dans les universités turques, influence qu'ils ont gagnée par le chantage, les menaces et les pressions sur leurs collègues universitaires", selon un responsable gouvernemental.
Ce n'est pas la première fois que le gouvernement turc vise l'enseignement supérieur. En début d'année, la police turque a ainsi procédé à l'arrestation d'une vingtaine d'universitaires accusés d'avoir signé une pétition critiquant l'action de l'armée dans le sud-est de la Turquie, à majorité kurde.
La peine de mort pourrait faire son retour
Dernier symbole que la situation en Turquie reste préoccupante : le spectre du retour de la peine de mort. Agitée après le putsch manqué du 15 juillet, la menace a cette fois été affirmée samedi 29 octobre dans un discours présidentiel à Ankara.
Notre gouvernement le soumettra au Parlement. Le Parlement l’approuvera et lorsque cela arrivera devant moi, je le ratifierai.
Abolie en 2004 pour faciliter l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne, la peine de mort demeure une ligne rouge aux yeux de ses partenaires européens. Un éloignement qui inquiète à Bruxelles. D'autant que les prisons, vidées de 38 000 détenus de droit commun en juillet pour faire de la place après la tentative de coup d'Etat, font désormais le plein. Environ 35 000 personnes ont été arrêtées depuis, rapporte Le Monde.
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