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Turquie: Selahattin Demirtas, le cauchemar kurde du pouvoir à Ankara

La guerre ouverte par l’armée turque contre le PKK après l’attentat anti-kurde de Suruç, près de la frontière syrienne, a donné un coup d’arrêt aux négociations de paix entre les deux parties. Il a aussi remis en lumière Selahattin Demirtas, le coprésident du parti pro-kurde HDP. Après son camouflet électoral au président Erdogan, il tente d’élever sa voix au-dessus du fracas des armes.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Selahattin Demirtas, coprésident du parti turc HDP, le 6 juin 2012 à Istanbul, dans un meeting où drapeaux turc et kurde se côtoient, à la veille des élections législatives.  ( REUTERS/Murad Sezer)

En appelant à «un arrêt immédiat des hostilités» entre l’armée turque et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Selahattin Demirtas, tout kurde qu’il est, a confirmé que son choix demeurait celui de la paix.
 
Le coprésident du parti turc d’opposition de gauche pro-kurde a invité toutes les parties à faire preuve de «bon sens» après l’attentat qui a fait 32 morts dans la ville de Suruç près de la frontière syrienne et la guerre qui s’est ouverte depuis.
 
«Les enfants de ce pays meurent, a-t-il déploré. Les soldats, les policiers, la guérilla, les civils, tous font partie de cette population, ils sont nos frères.» Pour Demirtas, il est urgent de retrouver la table des négociations parce que tous les citoyens ne veulent pas de ces affrontements et parce que «de nombreuses personnes tant à l’AKP (le parti au pouvoir) qu’au CHP (le parti Républicain du peuple, gauche laïque) sont prêtes à agir pour mettre fin au recours aux armes».
 
Un jeune quadra pacifiste
Pacifiste donc, ce jeune quadra moderne, marié à une institutrice, père de deux enfants et musicien de surcroît, mais aussi fin politique. Deuxième d’une famille de sept enfants, sunnite modeste et pieuse, dont une sœur portant le voile et un frère condamné à 22 ans de prison pour son engagement au PKK, Demirtas est entré en politique en 2007.
 
Diplômé en droit de l’université d’Ankara et défenseur des droits de l’Homme et des Kurdes, il a réussi à constituer un parti qui a fait 13% aux législatives du 6 juin 2015. Avec 80 sièges au Parlement, il a par la même occasion réussi à confisquer au parti d’Erdogan la majorité absolue, contrariant son projet sultanesque de république présidentielle.
 
Un parti élargi aux minorités, homosexuels, femmes et écologistes
La clé de son succès: prendre ses distances avec le PKK et élargir la base du HDP aux minorités, aux femmes, aux homosexuels et aux écologistes. En un mot, débarrasser son parti de l’étiquette «ethnique» pour en faire une formation politique ouverte à la modernité.
 
Une percée pas du tout du goût du président Erdogan, qui a annoncé lui-même la fin des pourparlers. Déterminé à écraser la guérilla kurde basée dans les monts Qandil en Irak et à lever l’immunité parlementaire des élus du HDP, accusés par lui de soutenir les terroristes, il a sommé Demirtas de condamner les opérations de représailles du PKK contre les militaires et la police. Il fait même planer la menace d’une interdiction pure et simple du HDP.
 
Demirtas avance habilement à pas mesurés
Une menace qui ne semble pas inquiéter le nouveau venu dans l‘arène politique turque. Convaincu qu’«il ne faut pas sacrifier la paix sociale pour les ambitions individuelles», il prévoit de riposter en demandant la levée de l’immunité des 550 membres de l’assemblée, sur fond d’enquêtes pour corruption visant des députés et ex-ministres de l’AKP, proches du président.
 
Protégé par son score électoral et une popularité grandissante Selahattin Demirtas est malgré tout face à une lourde tâche: survivre politiquement à la machine de guerre de l’AKP et celle des durs du PKK.
 
En avançant habilement à pas mesurés, il est en train de devenir le cauchemar éveillé de Recep Erdogan

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