Une campagne pro-Erdogan en Europe provoque une crise diplomatique entre la Turquie et l'UE
Alors qu'un ministre turc a été empêché de se rendre à Rotterdam, samedi, pour un meeting politique, le président Recep Tayyip Erdogan accuse les Pays-bas de "fascisme".
Les tensions autour de la campagne pro-Erdogan, menée par le gouvernement turc dans des pays d'Europe, ont tourné à la crise diplomatique, samedi 11 mars, notamment entre les Pays-Bas et la Turquie. En cause, la décision de La Haye d'empêcher une visite du ministre des Affaires étrangères turc, Mevlut Cavusoglu, qui devait se rendre à un meeting de soutien à la réforme constitutionnelle, qui prévoit de renforcer les pouvoirs du président turc Recep Tayyip Erdogan.
Qu'est-ce que cette campagne pro-Erdogan ?
Avant chaque scrutin majeur en Turquie, les différents partis font campagne auprès de la communauté turque d'Europe. L'Allemagne compte la plus importante communauté turque au monde hors de Turquie, avec 1,4 million de personnes. Les Pays-Bas en rassemblent, de leur côté, près de 400 000. La campagne actuelle vise à promouvoir une révision constitutionnelle qui renforcera les pouvoirs du président turc Recep Tayyip Erdogan.
Cette réforme, qui doit être votée par référendum le 16 avril, vise à remplacer le système parlementaire par un système présidentiel. Elle permettra, notamment, au chef de l'Etat de nommer et révoquer les ministres, promulguer des décrets, déclarer l'état d'urgence, mais aussi d'intervenir directement dans le fonctionnement de la justice. Cette réforme prévoit la suppression du poste de Premier ministre, qui sera remplacé par un ou plusieurs vice-présidents. Le nouveau texte octroie, enfin, au président Erdogan, au pouvoir depuis 2014, le droit de briguer deux nouveaux mandats.
Ce texte est vivement contesté par l'opposition turque et plusieurs ONG, qui estiment que le projet consiste notamment à retirer au Parlement ses pouvoirs pour les donner au seul président. L'examen du texte au Parlement, en janvier, a déchaîné les passions et donné lieu à des rixes d'une rare violence dans l'hémicycle, pendant laquelle un député a notamment eu le nez cassé.
Que se passe-t-il entre La Haye et Ankara ?
La crise a démarré début mars. "Le gouvernement a reçu, aujourd'hui, la confirmation de la Turquie qu'un évènement de campagne est en préparation aux Pays-Bas, a indiqué le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, le 3 mars. Nous sommes d'avis que l'espace public néerlandais n'est pas l'endroit où mener la campagne politique d'un autre pays." Depuis, le maire de Rotterdam, où devait se tenir le meeting, et le chef de la diplomatie néerlandaise ont tenu cette même position. Mais La Haye et Ankara ont tout de même discuté "pour voir si les autorités turques pouvaient déplacer le rassemblement et lui donner un caractère privé, à petite échelle, dans le consulat turc ou l'ambassade", selon le gouvernement néerlandais.
Le temps de la concertation semblait révolu, samedi. Le ministre turc des Affaires étrangères a défié La Haye en maintenant sa visite à Rotterdam. "Je vais à Rotterdam aujourd'hui", a déclaré Mevlut Cavusoglu à la chaîne de télévision CNN-Turk en début de matinée. "Nous allons imposer de lourdes sanctions aux Pays-Bas" si cette visite est empêchée, a-t-il ajouté. En représailles, les Pays-Bas ont annoncé qu'ils "retiraient les droits d'atterrissage" de l'avion de Mevlut Cavusoglu sur leur sol.
L'annonce a suscité l'ire de Recep Tayyip Erdogan. "Ce sont les vestiges du nazisme, ce sont des fascistes, a violemment réagi le président turc, à Istanbul. A partir de maintenant, voyons comment vos vols vont atterrir en Turquie." Le président turc a ainsi laissé entendre que la Turquie riposterait en interdisant aux responsables néerlandais d'atterrir sur son territoire, en précisant qu'il n'empêcherait pas "les visites de citoyens" néerlandais.
Comment réagissent les autres pays d'Europe ?
La campagne lancée en Europe auprès de la diaspora turque est, déjà, à l'origine de tensions avec l'Allemagne, en raison de l'annulation par plusieurs villes de rassemblements pro-Erdogan. Le 5 mars, le président turc avait déjà accusé l'Allemagne de "pratiques nazies", suscitant la colère à Berlin et à Bruxelles. Et les turbulences entre Berlin et Ankara, constantes depuis le putsch manqué de juillet en Turquie, se sont également aggravées après l'incarcération, début mars, pour "propagande terroriste", du correspondant germano-turc du quotidien Die Welt en Turquie, Deniz Yücel.
Plusieurs autres pays ont exprimé leur malaise face à cette campagne. Comme l'Allemagne, la Suisse et l'Autriche ont, à leur tour, interdit, vendredi, la tenue sur leur sol de meetings électoraux en présence de membres du parti AKP, au pouvoir en Turquie, arguant de risques de troubles à l'ordre public, alors que le ministre turc Mevlut Cavusoglu devait se rendre dimanche à Zurich.
Le chancelier autrichien, Christian Kern, a appelé, il y a une semaine, à une "réponse collective de l'Union européenne pour empêcher de tels événements de campagne" de responsables turcs dans les pays de l'UE.
Comment réagit la France ?
Refoulé des Pays-Bas, le ministre Mevlut Cavusoglu est attendu dimanche 12 mars à Metz, en Moselle, à l'invitation de la section Lorraine de l'Union des démocrates turcs européens section Lorraine (UETD). La venue du ministre "est confirmée", a indiqué Alain Carton, secrétaire général de la préfecture de Moselle.
"Le ministère des Affaires étrangères a été informé de la venue du ministre", a indiqué une source diplomatique française à l'AFP, qui considère que "le fait que le ministre turc puisse tenir son meeting tient aussi de la liberté de réunion".
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