Fusillade de Las Vegas : pourquoi la revendication du groupe Etat islamique pose question
L'organisation terroriste a présenté, lundi, le tireur, Stephen Paddock, comme l'un de ses "soldats". Mais le FBI et la CIA appellent à la prudence, affirmant ne pas avoir établi de lien formel entre cet homme de 64 ans, retraité, et un quelconque groupe terroriste.
L'enquête sur la fusillade de Las Vegas, qui a fait au moins 59 morts et plus de 500 blessés, se poursuit. Quelques heures après le drame, le groupe Etat islamique a revendiqué la tuerie. L'organe de propagande de l'organisation terroriste, l'agence Amaq, a présenté Stephen Paddock, le tireur, comme l'un de ses "soldats".
BREAKING: #ISIS issued a formal communique for the #LasVegas shooting and identified the shooter as "Abu Abdul Barr al-Amriki" pic.twitter.com/xnXNfvXwUg
— SITE Intel Group (@siteintelgroup) 2 octobre 2017
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Mais les autorités américaines appellent à la prudence : le FBI a déclaré n'avoir établi "aucun lien à ce stade avec un groupe terroriste international". Franceinfo explique pourquoi cette revendication est à prendre avec des pincettes.
Parce que le tireur a un profil atypique
L'homme qui a tiré sur la foule depuis le 32e étage de l'hôtel-casino Mandalay Bay était âgé de 64 ans. C'était un comptable à la retraite, qui résidait à Mesquite, une ville à 120 km au nord-est de Las Vegas. Selon ses proches, il écoutait de la musique country et aimait se rendre dans les casinos pour jouer et se rendre à des concerts. Bref, c'était un homme sans histoires.
Un profil nettement différent des auteurs d'attentats revendiqués par le groupe Etat islamique. Omar Mateen, qui a tué 49 personnes lors de l'attentat d'Orlando (Floride), en 2016, était bien plus jeune : il avait 29 ans. Cet Américain était décrit comme un homme colérique, raciste et misogyne. Il était également dans le viseur du FBI et avait fait l'objet de deux enquêtes. La première en 2013, à la suite de déclarations rapportées par ses collègues, témoignant de sa sympathie à l'égard de l'islam radical. La deuxième enquête s'était déroulée en 2014, cette fois pour des liens présumés avec Moner Mohammad Abu-Salha, premier Américain auteur d'un attentat-suicide en Syrie.
Parce que Stephen Paddock s'est suicidé
Paul Cruickshank, consultant de CNN pour les questions de terrorisme, a exposé ses doutes quant à l'implication du groupe Etat islamique. Il rappelle que les jihadistes ne se suicident pas après une attaque, car c'est contre leurs croyances.
Le spécialiste explique que les terroristes actuels font une différence entre la mort par suicide, qu'ils pensent être interdite par l'islam, et la mort qui résulte d'un acte pour devenir "martyr", comme se faire exploser pour faire le plus de victimes possibles.
8. Jihadis make distinction between suicide, which they believe forbidden by Islam, & death as byproduct of "martyrdom" bombing/attack.
— Paul Cruickshank (@CruickshankPaul) 2 octobre 2017
Le groupe Etat islamique "a construit autour du martyr toute une mythologie eschatologique. Et ça marche. Selon l’EI, le martyr irait au paradis avec un billet VIP qui lui permet d’entrer avant tous les autres croyants", a expliqué le spécialiste des mouvements jihadistes Asiem El Difraoui au quotidien suisse Le Temps, en 2016.
Parce que l’EI a déjà fait des revendications "erronées" ces derniers mois
C’est devenu une phrase habituelle. Après chaque attaque terroriste dans le monde, l’agence de propagande officielle de l’Etat islamique publie un communiqué dans lequel elle revendique l’attaque. Lundi, une dizaine d’heures après la fusillade qui a frappé le festival Route 91 Harvest, l’agence a publié deux communiqués.
"Pour Las Vegas, si c'était une revendication farfelue, ce serait une première", analyse Wassim Nasr, journaliste spécialiste du jihadisme, sur franceinfo. Mais il est arrivé que les responsables de l'EI forcent le trait. "On sait qu’ils ont déjà exagéré certaines revendications, par exemple à Barcelone, où ils ont parlé de deux équipes qui ont attaqué simultanément à deux endroits plus une prise d’otages dans un bar. On sait qu’ils ont repris des infos de presse à leur sauce. Il y avait un lien entre le terroriste et l’EI, mais pas de l’ampleur décrite par les organes de propagande", précise-t-il à France 24.
En juin 2017, 38 personnes meurent après qu’un homme armé a mis le feu à un tapis de jeu à Manille (Philippines). Le groupe Etat islamique revendique l’attaque mais les forces de l’ordre philippines écartent la thèse terroriste et affirment qu’il s’agit d’un "cambrioleur déséquilibré", note Libération. Amaq réitère et précise que l’assaillant a agi seul et qu’il se nomme "AbuAlKhair alArkhabili". Le groupe jihadiste a également récemment assuré, à tort, avoir posé une bombe à l'aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, relève Rukmini Callimachi. Selon cette journaliste du New York Times, le groupe, affaibli par les pertes sur le terrain, serait de plus en plus "négligent".
8. And weeks ago, they claimed they'd placed a bomb at CDG airport. Both claims appear to have been spurious.
— Rukmini Callimachi (@rcallimachi) 2 octobre 2017
9. As @AmarAmarasingam recently pointed out, perhaps they are getting sloppier as a result of the heavy losses they are facing.
— Rukmini Callimachi (@rcallimachi) 2 octobre 2017
Mais dans tous les cas, si le lien entre le groupe Etat islamique et un assaillant peut être distendu, "il existe", reprend Wassim Nasr. "Il ne faut pas non plus regarder seulement la Syrie et l’Irak. A Manchester, le [kamikaze] avait des liens avec la Libye. C'est une toile d'araignée assez distendue. L’EI a réussi à faire ce qu’Al-Qaïda rêvait de faire, motiver des gens à agir en son nom dans leur pays d'origine ou de résidence."
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