En Californie, la ville de Paradise tente de se reconstruire, deux ans après un effroyable incendie
En novembre 2018, presque toute la ville a été détruite par l'incendie le plus meurtrier de Californie. Aujourd'hui, la reconstruction bat son plein mais la peur d'un nouveau feu demeure.
"Le feu, ici, c'est une menace permanente. On l'a toujours quelque part dans notre esprit." Debout dans son atelier de bonbons, Jody, 45 ans, ressasse ses douloureux souvenirs en gardant un œil sur la fabrication des chocolats "made in Paradise". Il y a deux ans, les flammes ont ravagé la jolie maison au milieu des pins qu'elle occupait avec son mari Glenn, leurs enfants et leurs deux chiens. Leur magasin, qui avait pignon sur rue, a aussi été réduit en cendres. Seul le précieux livre de recettes a pu être sauvé. Mais la famille, installée dans ce coin de Californie depuis 19 ans, n'a pas baissé les bras et vend de nouveau aux locaux ses douceurs sucrées.
Cette renaissance tient presque du miracle, à l'image de l'atelier entièrement rose bonbon qui contraste au milieu des terrains encore abandonnés et des arbres noirs comme du charbon. Ils rappellent que Paradise revient de l'enfer. Le 8 novembre 2018, au petit matin, une étincelle provenant d'une ligne électrique à haute tension a provoqué un départ de feu à une douzaine de kilomètres de la ville. En quelques heures, l'incendie est devenu le plus destructeur et le plus meurtrier de Californie : 85 habitants ont perdu la vie, et quelque 19 000 bâtiments ont été anéantis. Au total, la ville de Paradise a été détruite à plus de 90%. Il a fallu deux semaines aux centaines de pompiers déployés sur place pour arriver à contenir entièrement le feu.
Après des mois passés à déblayer tous les débris, un grand plan de relance a été dévoilé en juin 2019. "Désormais, il est temps de commencer la reconstruction", peut-on lire en préambule. En ce jour de septembre 2020, la ville ressemble à un grand chantier à ciel ouvert. Des camions passent et repassent en file indienne, des terrains sont damés, des fils électriques tirés et des maisons prennent forme un peu partout. En périphérie, des magasins de construction et des entrepôts pour matériaux abreuvent cette fourmilière géante.
"Paradise doit réussir à se relever"
"Il faut reconstruire !", s'exclame une autre Jodie, installée derrière sa remorque en aluminium. Depuis quelques mois, cette quadragénaire a délaissé la blouse blanche d'aide à domicile pour le tee-shirt violet de serveuse. La maison de soins pour laquelle elle travaillait a brûlé et ne devrait pas rouvrir. Alors, elle a rejoint Julie pour s'implanter sur le carrefour principal de la ville et servir des burgers et des sandwichs aux ouvriers des chantiers qui animent la ville. "Il y a beaucoup de camions qui viennent ici, c'est très bien pour moi. J'aide un peu à la reconstruction à ma façon", lance-t-elle en souriant.
De l'autre côté du carrefour, Craig est du même avis. A la tête du garage du coin, sa boutique ne désemplit pas et les pick-up s'entassent sur son parking. "J'ai perdu beaucoup de mes anciens clients, mais de nouveaux sont arrivés", se réjouit le mécano en jeans, dont le garage a été épargné par les flammes. Il ne croit pas à un nouveau de feu de sitôt, malgré les signaux d'alerte : "J'en ai connu un énorme ici dans ma vie, pas deux !".
Les résidents rencontrés font part de cette volonté d'aller de l'avant. "Si nous reconstruisons, cela va faire revenir d'autres habitants", veut croire Jody. Elle est bien décidée à participer à cette résurrection et à retrouver rapidement sa fidèle clientèle : "Paradise doit réussir à se relever". A ses côtés, Pam, l'ancienne propriétaire de l'atelier de bonbons, venue donner un coup de main, appuie ses propos. "Mon mari a reconstruit notre maison au même endroit, explique fièrement la sexagénaire aux cheveux blonds. Nous aimerions retrouver cette vie d'avant, paisible, où l'on connaissait tout le monde."
"Les gars, c’est le paradis"
Avant l'incendie, Paradise était réputée pour sa qualité de vie. Ses 26 000 habitants étaient dispersés au milieu des pins géants et à l'écart des grandes artères du "Golden State" (l'"Etat doré", surnom de la Californie). Ces arbres ont fait la richesse du coin. La légende raconte qu'au milieu du XIXe siècle, un des exploitants de la forêt, après un long trajet en plein soleil, s'est assis à l’ombre des pins et a lancé à ses collègues : "Les gars, c’est le paradis". Le nom de la commune était trouvé. Un paradis de verdure, où les animaux sauvages traversaient les routes, et bien connu des amoureux de la nature pour ses montagnes et ses parcs environnants.
Alors, pas question d'abandonner ce joyau, malgré le désastre. Au détour d'une route, un lotissement flambant neuf est prêt à accueillir de nouveaux habitants. Dans la maison témoin, les mesures anti-incendies sont affichées en rouge et blanc, bien visibles. Un peu plus loin, un représentant de mobile homes affirme avoir déjà vendu une trentaine de modèles depuis l'incendie. Selon les derniers chiffres, environ 400 maisons sont sorties de terre et plus de 1 200 permis de construire ont été octroyés par les autorités ces derniers mois. Entre 3 000 et 4 000 personnes vivraient de nouveau à Paradise.
Les incendies menacent encore
Mais jusqu'où ira ce développement ? Malgré des efforts colossaux, tout n'est pas rose à Paradise. L'odeur âcre qui se diffuse dans la ville vient rappeler la menace qui plane toujours. A une vingtaine de kilomètres de là, un feu gigantesque, le North Complex Fire, continue de brûler des hectares du comté de Butte. De quoi ramener des panaches de fumées sur la ville et faire grimper la concentration de particules fines dans l'atmosphère. Ce jour-là, l'indice de qualité de l'air dépasse largement le seuil d'alerte.
Les habitants de Paradise ont même cru vivre un nouveau cauchemar, le 9 septembre 2020. Un incendie s'est rapproché dangereusement, alors qu'une large partie de la Californie était déjà la proie des flammes. Les éclairages et feux de circulations ont été éteints préventivement pour éviter toute étincelle. A 8h30 du matin, un message urgent a été envoyé par la mairie : "Merci de vous préparer à une possible évacuation en rassemblant les effets personnels qui tiennent dans votre véhicule. (...) Les résidents doivent se tenir prêts à partir lorsque cela leur sera notifié". Heureusement, quelques heures plus tard, l'alerte était finalement levée.
"Nous refusons de vivre dans la peur"
"Il y a toujours une peur qui revient lors de la saison des feux, reconnaît Alicia, 23 ans. Si la jeune femme est heureuse de pouvoir vivre à nouveau à Paradise, la menace des incendies continue de la hanter. Deux ans auparavant, elle avait mis huit heures pour parvenir à fuir en voiture. Installée devant le bureau de tabac, elle sort son téléphone portable de sa poche, et montre la vidéo de la ville en flammes prise par ses soins ce jour-là, derrière les vitres du véhicule.
Tous les rescapés interrogés gardent un souvenir douloureux de cet exode forcé. "Derrière nous, le feu approchait à toute vitesse, le vent était si fort que des épines de pin enflammées volaient et brûlaient tout sur leur passage", se remémore Linda, qui a vécu à Paradise pendant 46 ans. L'unique grande route qui traversait la ville, bondée, s'est alors transformée en piège mortel pour de nombreux résidents.
Cela me rappelait les films catastrophes, dans lesquels des hordes de personnes courent au milieu des rues.
Linda, ancienne habitante de Paradiseà franceinfo
Le traumatisme, trop profond, l'empêche de revenir habiter dans cette ville qu'elle a tant aimée. "Nous ne reconstruirons pas notre maison à Paradise", affirme cette retraitée, passionnée de peinture. Elle réside désormais à Oroville, à une trentaine de kilomètres de là, avec son mari. "Nous refusons de vivre dans la peur", lance la septuagénaire, avant de reconnaître que "n'importe quel endroit en Californie peut être touché par les incendies".
Une ceinture verte autour de la ville
Face au risque d'un nouveau feu, des locaux ont décidé de mettre en place un innovant système de protection avec ce qui a fait la réputation de la ville : les arbres. Oui, des arbres pour lutter contre les incendies. L'idée, qui peut paraître saugrenue, vient pourtant d'un constat simple. "La destruction de la ville a été phénoménale, mais ce qui m'a frappé, c'est de voir la survie d'une partie de la forêt. Les arbres étaient adaptés au feu, la ville ne l'était pas", note Stephen J. Pyne, professeur émérite à l'université d'Arizona et auteur de nombreux livres sur les incendies.
"L'idée est de créer une zone tampon tout autour de la ville", explique Dan Efseaff, en charge de ce projet porté par le district, une entité indépendante du conseil municipal. Il prévient : "Nous devons changer notre manière de penser". Le district s'est associé à The Nature Conservancy, organisation de protection de l'environnement. Pendant six mois, des études ont été réalisées afin de comprendre comment le feu s'était propagé dans la ville. "Nous avons aussi étudié la typologie des espaces, ajoute Ryan Luster, directeur du projet pour The Nature Conservancy. A partir de cela, nous avons créé sept zones qui devront être gérées différemment, avec leur propre écosystème et leurs propres essences d’arbres pour protéger la ville."
Nous n’essayons pas d’arrêter ces feux, c’est impossible. Par contre, nous essayons de réduire le risque d’incendie.
Ryan Luster, directeur de projet pour The Nature Conservancyà franceinfo
Cette "ceinture verte" pourrait-elle vraiment être efficace ? "Certaines essences forestières sont parfois utilisées comme pare-feu. C'est lié à l'inflammabilité de l'espèce", indique Jonathan Lenoir, chercheur au laboratoire Ecologie et dynamique des systèmes anthropisés (CNRS). Ainsi, "la végétation peut protéger les habitations en ralentissant la progression du feu". Jonathan Lenoir rappelle aussi que les incendies maîtrisés constituent des outils importants pour préserver l'environnement : "Le feu est un phénomène naturel qui fait partie du bon fonctionnement de certains écosystèmes forestiers".
Reste qu'une réorganisation de l'écosystème ne se décide pas d'un claquement de doigts, alors que les habitants sont toujours préoccupés par la reconstruction de leur maison. Du côté du district, on assure que le projet avance bien, mais on estime qu'il faudra "au moins une décennie" avant que cette ceinture verte soit opérationnelle. "Cela va dépendre du temps que l’on met à trouver l’argent et ensuite à acquérir les propriétés concernées. Je voudrais que cela puisse être fait avant le prochain incendie", glisse Ryan Luster. Toute la ville l'espère aussi. "Je ne souhaite à personne de vivre ça", renchérit Jody, en tendant un paquet de chocolats.
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