Crise en Afghanistan : comment Joe Biden se retrouve affaibli auprès de l'opinion publique américaine
A quelques jours de la date de retrait des troupes américaine, le 31 août, le scénario tourne à la catastrophe à Kaboul pour le président américain. Sa gestion de la crise afghane entache sa popularité, et les critiques se multiplient.
C'est "le jour le plus sombre de la présidence de Joe Biden", a titré le site américain Politico*, jeudi 26 août. Les larmes aux yeux, le président américain s'est exprimé quelques heures après l'attentat qui a fait au moins 85 morts, dont 13 soldats américains, aux abords de l'aéroport de Kaboul. L'une des attaques les plus meurtrières pour l'armée américaine, depuis le début de la guerre en Afghanistan en 2001. "Nous allons vous traquer et vous faire payer le prix", a assuré le locataire de la Maison Blanche, en s'adressant aux auteurs de l'attaque terroriste, revendiquée par l'ISPK, la branche afghane de l'Etat islamique.
A quelques jours de la fin des opérations d'évacuation fixée au 31 août, le 46e président des Etats-Unis se retrouve au cœur d'un désastre humanitaire qu'il ne semble pas avoir anticipé, en confirmant le retrait de ses troupes en Afghanistan, en avril 2021. Sa gestion de la crise afghane est en train de lui valoir les critiques de l'opinion publique américaine.
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Un président accusé de ne pas avoir assez anticipé
Les Américains semblent déçus d'une opération de retrait que le président aurait pu mieux préparer. "Ils reprochent à leur gouvernement de ne pas avoir anticipé la vitesse à laquelle les talibans ont supplanté l'armée afghane, et la manière dont le président afghan Ashraf Ghani s'est exfiltré du pays", détaille Marie-Christine Bonzom, politologue, journaliste et spécialiste des Etats-Unis. Selon elle, l'opinion publique américaine a également regretté une fermeture "anticipée" de la base militaire de Bagram, début juillet.
"Joe Biden s'est vendu comme le candidat compétent, notamment en politique étrangère. C'est une image qui est en train de se fracturer."
Marie-Christine Bonzom, politologue, journaliste et spécialiste des Etats-Unisà franceinfo
Dans un article de la radio américaine NPR* paru jeudi, des vétérans se montrent particulièrement critiques quant à la stratégie employée. "Quand on organise ce genre de choses (...), la première chose à faire, c'est d'évacuer les civils et les familles, puis seulement on évacue le personnel du gouvernement américain si c'est requis. Et ensuite, les dernières personnes qui partent sont généralement les militaires, qui assurent une sécurité pour l'évacuation", explique le général Jim Jones, qui a servi en tant que conseiller à la sécurité nationale pendant la présidence Obama. "Il semble que nous ayons fait tout ça complètement à l'envers", ajoute-t-il.
Une chute dans les sondages d'opinion
L'opinion publique américaine assiste, déçue, au retrait chaotique de ses troupes d'Afghanistan, comme en témoigne la une du tabloïd américain New York Post, paru vendredi et, qui parle de "cauchemar".
« Nightmare » #afghanistan #kaboul pic.twitter.com/4tn6iF6vB3
— fx menage (@fxmenage) August 27, 2021
Cinq jours après la prise de Kaboul par les talibans, la cote de popularité de Joe Biden est passée dans le rouge, pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir, en janvier 2021, rapporte le site américain Real Clear Politics*. Ainsi, le niveau de mécontentement vis-à-vis de son action politique dépasse désormais son niveau d'approbation.
Des critiques politiques de toutes parts
Parmi les premiers détracteurs de Joe Biden, figure son prédécesseur Donald Trump, qui déclarait mardi à la chaîne américaine ultraconservatrice Fox News* que le retrait des troupes par Joe Biden était "la plus grande honte de l'histoire des Etats-Unis". L'ancien président a également affirmé dans un communiqué trois jours avant la chute de Kaboul que, s'il avait été au pouvoir, "cela aurait été un retrait bien différent et un retrait bien plus réussi et les talibans le savaient mieux que quiconque".
Les critiques fusent aussi dans le propre camp de Joe Biden. Le représentant démocrate du New Jersey à la Chambre des représentants américaine, Tom Malinowski, membre du comité des Affaires étrangères, a ainsi affirmé, interrogé par CNN, que Joe Biden avait fait "une erreur", en établissant une date butoir pour le retrait des troupes américaines. "Nous pouvons garder notre deadline ou tenir notre promesse", a-t-il estimé.
For the first time, I heard the president suggest tonight that sticking to our self-imposed August 31 deadline depends on conditions on the ground.
— Tom Malinowski (@Malinowski) August 25, 2021
We can keep our deadline or keep our promise. Our mission must determine the timetable, not vice versa. https://t.co/c75V0nVPiV
Plusieurs élus républicains ont également tenu Joe Biden pour responsable de l'attaque près de l'aéroport de Kaboul. C'est "le résultat direct des décisions horriblement malavisées prises par le président Biden", a affirmé John Katko, représentant de New York à la Chambre des représentants, et membre du comité de la Sécurité intérieure. Associated Press* affirme qu'au sein du Congrès américain, des représentants ont déjà déclaré vouloir enclencher des investigations sur la mauvaise gestion du retrait américain en Afghanistan par l'administration Biden.
"En mettant fin à la plus longue guerre que les Etats-Unis aient connue, le président Joe Biden a fait quelque chose de populaire. Mais cela n'allait jamais pouvoir le servir politiquement", analysait dimanche le correspondant à la Maison Blanche John Harwood sur CNN*. De manière générale, les Américains sont en effet favorables au retrait des troupes américaines d'Afghanistan, et ce, depuis des années. "C'est notamment le cas depuis que le président Obama a décidé de prolonger la présence américaine sur place, après que le leader d'Al-Qaeda Ben Laden a été tué, le 2 mai 2011", explique à franceinfo Marie-Christine Bonzom. Barack Obama avait alors comme vice-président... Joe Biden.
Mais un désastre amorcé dès 2001
La plupart des Américains sont néanmoins conscients que l'administration Biden a hérité de vingt ans de mauvaises décisions concernant le dossier afghan par ses prédécesseurs, dès le début de la guerre en 2001.
"La population américaine se souvient que George W. Bush a mal géré la guerre en Afghanistan."
Marie-Christine Bonzomà franceinfo
Dans une tribune du journal américain The Washington Post* parue le 15 août, jour de la prise de Kaboul par les talibans, l'écrivain et chercheur conservateur américain Max Boot a analysé les prémices du désastre afghan, et en a attribué une partie aux gouvernements précédents. "Le président Bush a pataugé, après la chute des talibans en 2001, échouant à mettre en place un gouvernement et une armée compétents, en choisissant plutôt d'investir des moyens dans la guerre en Irak", a-t-il estimé.
L'ancien président Donald Trump est quant à lui critiqué pour l'accord qu'il a conclu avec les talibans, en février 2020. Celui-ci assurait un retrait des troupes américaines, mais pas les conditions. En outre, la transition ne s'est pas faite de manière optimale entre l'administration Trump et l'administration Biden. "Le fait est que l'accord conclu par l'ancien président n'a pas été négocié de manière très solide", avait déploré Joe Biden, en mars 2021. L'actuel locataire de la Maison Blanche sort ainsi affaibli de la crise afghane, à environ un an des élections de mi-mandat, qui se tiendront à l'automne 2022.
* Ces liens renvoient vers des articles en anglais
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