GRAND FORMAT. "Donald Trump, c'est ma drogue" : 72 heures avec Randal Thom, fan absolu du milliardaire
Il lance officiellement sa campagne pour 2020. Donald Trump donne, mardi 18 juin, à Orlando (Floride), le coup d'envoi de sa campagne pour la présidentielle de 2020. Le milliardaire républicain, en position délicate dans les sondages, va chercher à remobiliser son électorat, dans une Amérique très divisée. A cette occasion, franceinfo republie ce reportage au côté d'un soutien indéfectible du président.
Ne restez pas sur la route. La queue pour le meeting, c'est par là. Hé, les supporters de Trump, on aime l'Amérique !" Sous un soleil de plomb, entouré des montagnes et des plaines désertiques de l'Arizona, dans le sud-ouest des États-Unis, un homme imposant et grisonnant se détache du lot d'Américains massés à l'entrée de l'aéroport de Mesa, en lointaine banlieue de Phoenix. Dans une dizaine d'heures, leur président, Donald Trump, descendra d'Air Force One pour y tenir un meeting, à 18 jours des élections de mi-mandat aux États-Unis. Parmi ces centaines de soutiens venus de tout le pays, Randal Thom est peut-être le plus galvanisé de tous. Donald Trump n'est pas juste "son" président. Il est, depuis trois ans, son héros.
"Ça va mon pote ? Ça fait plaisir de te voir !" Ici, ce vétéran de la marine, 58 ans, connaît tous les habitués. Les autres ? Il part à leur rencontre, discute et plaisante avec eux, donnant toujours au passage une tape sur l'épaule. "Randal, c'est notre pom-pom girl, le meneur en chef !" glisse un vendeur de tee-shirts à l'effigie de Donald Trump. Ce matin du 19 octobre, Randal Thom participe à son 44e meeting du leader républicain. Du Michigan à l'Iowa, de l'Arizona au Tennessee : depuis 2015, l'Américain assure avoir parcouru 80 000 kilomètres pour voir – et revoir – son idole.
Le "mec du premier rang"
Dix heures, vendredi matin. Derrière ses lunettes noires, Randal Thom a les yeux fatigués. Cet éleveur de chiens et peintre en bâtiment indépendant a passé la nuit ici, à quelque 2 400 kilomètres de son Minnesota natal. C'est un principe : le quinquagénaire, toujours débordant d'énergie, arrive 24, voire 48, voire 72 heures avant le début d'un meeting. "J'ai provoqué quelques progressistes avec tout mon matériel pro-Trump", nous écrit-il, quelques minutes avant le décollage de son avion pour l'Arizona. Sa valise dépasse même de quelques kilos le poids limite autorisé – tout cela, pour l'amour de Trump.
Le fan, cigarette à la bouche, a tout prévu. Dans la main ? Un mégaphone. Dans l'autre ? Un drapeau représentant Donald Trump et sa devise, "Make America Great Again". Sur ses cheveux courts et hirsutes, un chapeau de cow-boy abîmé aux couleurs de l'Amérique, dédicacé par Donald Trump. Et sur lui, un large maillot de sport blanc, bleu et rouge, sur lequel il est écrit "TRUMP 45" et "Front Row Joe" ("le mec du premier rang"). Pour amuser la galerie, Randal Thom a même amené un masque représentant un bébé hurlant, tagué des mots "je suis un progressiste". Le supporter le met et imite le nourrisson en question. "Je suis de gauche ! Je suis de gauche !" chouine-t-il. Des rires éclatent autour de lui.
Pris par l'excitation du moment, le trumpiste devient un véritable animateur de foules. Au bord de la route, il longe la file d'attente avec son drapeau, et propose aux supporters de les prendre en photo avec. Randal Thom, tout sourire, fait ensuite de la place pour les vétérans et les handicapés, part chercher des bouteilles d'eau pour les seniors et donne des indications aux derniers arrivants. "USA ! USA ! USA !" hurle-t-il face aux supporters. Le slogan prend rapidement dans les rangs des soutiens de Trump. Randal Thom est heureux, il fait son show. Le fan aime s'autoproclamer "responsable de l'organisation extérieure des meetings", et a même "recruté" un jeune assistant, CJ, pour la journée. Un jour, il espère que l'équipe de campagne reconnaîtra ces gestes, et fera de ces bonnes actions un travail à temps plein.
Randal Thom se souvient avec émotion de son premier meeting de Donald Trump. C'était le 5 décembre 2015, à Spencer (Iowa). "J'étais curieux, j'avais juste envie de le découvrir, relate le vétéran. Le meeting était à 60 kilomètres de chez moi, je me suis dit : ‘Ça me fera un bon souvenir'." Ce jour-là, il y a eu déclic. Randal Thom dit avoir vu sur scène un homme "qui parlait franchement, comme moi. Il était fort, intelligent, une personne qui vous attire. Quand il parle, vous avez l'impression qu'il vous parle à vous", décrit-il. Et ça lui a plu. "Quand je vois Trump, je suis fier d'être américain. Il me représente moi. Il nous place en premier, nous, les patriotes. Et on a besoin de gens forts et en colère comme lui."
Le supporter a même déjà eu l'honneur de serrer la main de celui qu'il admire tant, le 28 janvier 2016, lors d'un meeting à Des Moines (Iowa). Ce jour-là, Donald Trump parlait face à 48 vétérans des environs. "Il a tendu sa main et a serré la mienne très fermement", se souvient Randal Thom.
Il m'a regardé droit dans les yeux et m'a dit : 'Merci, vous êtes génial. Soyez fier de votre engagement.' Il est milliardaire, je suis pauvre. Et pourtant, il s'intéressait à ce que je disais. J'étais béni.
L'arrivée du président n'est plus qu'une question d'heures et Randal Thom est intenable. Accompagné d'un couple de supporters et de sa sœur aînée venue de Phoenix, il se place aux premières loges. Juste sur le côté du podium où Donald Trump doit s'exprimer. "Si on crie quelque chose, il va nous entendre !" glisse-t-il, surexcité. Posté derrière la scène, le vétéran discute avec des supporters et des membres de l'équipe présidentielle, passe et repasse devant les caméras de la presse pour afficher son drapeau. A son retour, mauvaise nouvelle, sa place est prise. Les organisateurs y ont installé des personnes handicapées. Cela provoque la colère du quinquagénaire, mais il en faut plus pour le démotiver. "Allez, les pancartes en l'air ! Il arrive, il arrive !" hurle-t-il. "J'espère qu'il va parler des Honduriens et des Guatémaltèques qui viennent ici. Il faut arrêter ces gens ! C'est une invasion, un acte de guerre !" répète-t-il, tout en gardant un œil sur la scène.
A 19 heures, Donald Trump monte enfin sur le podium. La foule de supporters hurle et Randal Thom, tentant d'oublier sa déception d'avoir été délogé du premier rang, se met à danser. Pendant une heure, et pour la 44e fois, son président se montre à la hauteur de ses attentes. Il dénonce "ces Démocrates qui veulent augmenter vos impôts et imposer le socialisme dans ce pays", parle d'immigration clandestine. "Ce mur, on peut vous le construire en un an", promet le dirigeant, déchaînant les rangs des trumpistes. Randal Thom entend mal, finit par sortir car il ne voit plus son héros. Mais il reconnaît, ému, qu'il est heureux d'avoir vu celui qu'il admire.
Un autel à Trump dans les plaines du Minnesota
Bonjour à tous ! Trump, Trump, Trump !" La passion de Randal Thom pour le président ne le lâche jamais, même à l'entrée de l'avion qui le reconduit chez lui, samedi à l'aube. Le meeting s'est terminé il y a dix heures, mais le supporter continue de porter un long tee-shirt gris à l'effigie de Donald Trump. Il s'agit d'un cadeau reçu lors du meeting du 28 janvier 2016, lorsque l'Américain a serré la main du président. Il est devenu son tee-shirt fétiche depuis.
La route qui mène à la petite ville de Lakefield, où il réside, est bordée d'immenses champs de maïs et de soja, spécialités de la région. Cette partie enclavée du sud du Minnesota reste très rurale, même si les fermes familiales ont laissé place à de plus grandes exploitations derrière lesquelles est implantée une vaste rangée d'éoliennes. Randal Thom les trouve hideuses, et jure que l'électricité produite part vers la côte est des Etats-Unis. Entre deux champs, la maison du trumpiste apparaît. La petite propriété a été achetée par la sœur et le beau-frère du vétéran, afin de l'aider financièrement. À la sortie de la voiture, sept malamutes et un husky sautent sur le quinquagénaire. "Je suis célibataire. J'ai huit chiens et je vis dans leur maison !" s'amuse l'éleveur de chiots. Deux d'entre eux portent des noms bien choisis : Donald J. Trump et Miss Rouge, la couleur du parti républicain.
Randal Thom est un ancien de la marine américaine. Il a porté l'uniforme durant quatre ans – il a notamment été stationné sur l'île d'Okinawa, au Japon – mais a dû quitter l'armée en raison de douleurs au dos. Il est divorcé depuis plus de vingt ans. Quand son frère, qui pilotait un petit avion, est mort en plein vol alors que Randal Thom était assis à la place du copilote, en 1991, le vétéran a progressivement plongé dans la cocaïne et le crack. Sa femme est partie, avec leurs deux enfants, Ronny et Daryl. Arrêté en possession de cocaïne, Randal Thom a passé dix ans dans une prison du Minnesota. Il en est sorti en 2008. "La religion [il est protestant luthérien] m'a aidé à rester motivé, à espérer une meilleure vie. Aujourd'hui, j'ai mes chiens et mes meetings de Trump !" sourit-il.
Je me sens fou de joie quand je suis à un meeting. Je suis aux anges, c'est comme si je planais. À chaque fois que j'y retourne, ça me fait un bien fou. C'est un sentiment de patriote.
Depuis, celui qui a déjà voté démocrate dans le passé approuve son président sur tous les sujets. Il exècre les médias généralistes, qui sont "juste une arme de propagande". Lui s'informe avec Facebook ou Fox News. Il défend le deuxième amendement, ce droit absolu du peuple américain à "détenir et porter des armes". Il soutient que le réchauffement climatique est "un cycle de Mère Nature" et déteste la réforme de santé Obamacare. Il pense aussi que l'avortement est un droit "trop facile" et veut voir un mur à la frontière avec le Mexique. L'Américain, qui a grandi non loin d'ici, dans la petite ville de Windom, au sein d'une fratrie de cinq, se souvient avec nostalgie de son enfance. Son père, employé d'une entreprise fabriquant des tondeuses, et sa mère, couturière, "ne parlaient pas de politique. Ils travaillaient dur, c'est tout".
Notre petite ville était sympathique. A l'école, nous avions 50% d'enfants d'agriculteurs et 50% d'enfants d'ouvriers. Aujourd'hui, tout cela a changé. Entre 40 et 45% des élèves ne sont pas des Blancs. Il y a aussi quelques clandestins.
L'éleveur indépendant, habitué à vendre des chiots dans les alentours, ne s'en cache pas : la présence de réfugiés musulmans dans son État ne lui plaît pas de tout. Il concède toutefois n'en avoir jamais vu à Lakefield et dans ses environs. Interrogé sur la politique de séparation des familles de migrants, critiquée même à droite, Randal Thom prend immédiatement la défense de son gouvernement. "Il protégeait les enfants dans ces camps de détention !" assure-t-il. "Trump a sauvé des petits migrants de camps de trafic sexuel ! Et quand ces clandestins traversent la frontière [et arrivent aux Etats-Unis], on leur donne une carte avec 1 500 dollars. J'aimerais bien avoir une telle carte, moi !" s'agite l'Américain. Deux théories jamais vérifiées, dont il est pourtant convaincu. "Je veux juste placer l'Amérique en premier", insiste le supporter, reprenant mot pour mot le slogan phare du président.
La maison de Randal Thom est à l'image de sa passion : le milliardaire y est de toutes les pièces et de toutes les étagères, où s'empilent un nombre impressionnant de bibelots pro-Trump. Dans une cuisine en désordre, des étiquettes "Trump" et "Pence" traînent sur la table, enfouies sous une pancarte "Finissez le mur". Sur le côté de l'évier ? Un soda, mais pas n'importe lequel : un "Trump Tonic".
Le bureau s'apparente, lui, à un autel, où tout (ou presque) rend hommage au président. Sur des murs en bois, le fan a disposé deux grands portraits de lui-même, capturés lors de meetings. Mais la toile qu'il préfère est une immense photo de son "héros", soigneusement accrochée sur le mur d'en face. Le supporter a même disposé une photo de son chien, Donald J. Trump, évidemment dédicacée par le président du même nom. Il s'est aussi offert Just The Tweets, un ouvrage compilant tous les messages publiés par le président américain sur Twitter.
Le clan des convaincus
Randal Thom, qui gagne en moyenne 25 000 euros par an, reconnaît toutefois que sa passion pour le président n'est pas sans conséquence. "Ces derniers temps, j'ai davantage poursuivi Trump que travaillé. Ma famille est un peu inquiète", confie, le ton rieur, le quinquagénaire. "70% de mes revenus partent dans les dépenses pour les meetings. Mais ça me donne de l'espoir, de la joie en plus. En fait, ça me rend bien plus heureux", détaille-t-il, en lâchant : "Trump, c'est ma drogue". "Il en fait parfois un peu trop, il ne peut pas s'offrir tous ces voyages", abonde sa sœur Carole, qui habite non loin de là et garde un œil sur les activités de son cadet. "Mais il est vrai que ces meetings le rendent extrêmement heureux. Vous savez pourquoi ? Il se fait de nouveaux amis. Il rencontre et aide des gens."
Randal Thom échange quotidiennement sur Facebook avec d'autres supporters du président, comme Sydney, rencontrée 24 heures plus tôt dans l'Arizona. Il plaisante aussi avec Danielle, une Républicaine de l'Iowa, rencontrée lors d'un meeting, qui vient de se teindre les cheveux en roux, pour "la vague rouge" espérée le 6 novembre. Et quelques heures plus tôt, Erica l'a appelée pour le convier au prochain rassemblement du président. "Randal, tu me manques ! Ramène tes fesses dans le Wisconsin !" Dans sa course aux meetings, Randal a réussi à former un joyeux cercle de supporters et amis "du premier rang" vivant entre le Minnesota et l'Iowa. Ils se retrouvent régulièrement autour d'un verre, ou dans le salon de l'un d'entre eux, pour parler de leur sujet préféré : Donald Trump. Ce dimanche, c'est Cindy Hoffman qu'il rejoint au Federal Pub, un bar sans prétention d'Hudson (Iowa), situé tout de même à trois heures de route de Lakefield.
Depuis leur rencontre en plein meeting, en juillet 2016, ces deux pro-Trump ont suivi ensemble 18 rassemblements de leur idole. Et depuis, une vingtaine d'irréductibles se sont joints à eux. Personne ne se connaissait il y a encore trois ans, mais chacun, en solo, participait aux meetings de leur champion dans l'Iowa. "On avait le même enthousiasme", raconte Randal Thom, bière à la main.
Au troisième meeting où nous nous sommes croisés, on s'est dit : 'Allons-y ensemble !' Je suis comme ça, moi : assez solitaire chez moi, mais très sociable en meeting. J'essaie de m'y faire des amis. Parce que les gens là-bas sont sympas !
Son amie Cindy ne le contredit pas. "Quand je suis allée à mon premier meeting, j'ai eu l'impression que j'étais en famille. Avec Randal, on s'aime, on s'engueule, c'est comme s'il faisait partie de ma famille !" avance-t-elle. Les deux complices, devenus de plus en plus proches au fil des rassemblements, portent le même tee-shirt "Front Row Joe" revêtu par Randal Thom lors du meeting de Mesa. "On est toujours les premiers sur place aux meetings", s'amuse la supportrice.
Attablés au milieu du bar et sirotant une bière, les amis se remémorent les bons moments passés ensemble à attendre le président. "On boit des coups, on joue, on discute avec tout le monde", relate, tout sourire, la quinquagénaire. "Les supporters de Trump sont les gens les plus joyeux que je connaisse. Ces meetings, c'est un festival d'amour !" Randal Thom acquiesce à tout, et garde en mémoire ce meeting d'octobre 2016, quelques heures après la réouverture de l'enquête sur les e-mails d'Hillary Clinton. "Si vous aviez vu le sourire de Donald Trump ce jour-là !" lâche Cindy Hoffman, également présente au rassemblement. Un souvenir jouissif pour les deux supporters.
A l'instar de Randal Thom, Cindy Hoffman a voté démocrate dans sa vie, avant de "flasher" sur Donald Trump. "J'ai entendu Trump pour la première fois et je me suis dit : 'Il dit exactement ce que je pense', relate celle qui dirige une entreprise d'aiguisage d'outils industriels à Hudson. Il m'a donné l'impression de savoir ce qui se passait ici." La quinquagénaire vénère le président, car il "ramène les emplois industriels aux États-Unis". Et tel son ami, elle ne jure que par sa politique migratoire. "Je ne veux pas avoir à payer pour des clandestins. Réparez votre pays et fermez votre gueule !" s'énerve l'Américaine, à quelques jours des élections de mi-mandat. "J'ai hâte d'être au 6 novembre, Randal. Ça va être génial." Et que feront-ils une fois l'élection passée, sans meeting en perspective ? "On va être en dépression, en manque", répondent en éclatant de rire les deux trumpistes.
L'éleveur de chiens du Minnesota en est convaincu : le 6 novembre ne sera pas "une vague rouge, mais un tsunami rouge", clame-t-il. "On va les écraser." Randal Thom est loin d'être un supporter isolé. Il reflète un pan entier de l'Amérique, prêt à voter de nouveau "rouge" lors des élections de mi-mandat, mardi 6 novembre. Sans aucune hésitation.
Textes et photos : Valentine Pasquesoone