: Reportage Elections de mi-mandat aux Etats-Unis : au Texas, face à l'inflation, "la classe moyenne s'enfonce dans la précarité"
A l'heure des Midterms, l'économie est la principale préoccupation des Américains. Rencontre avec des habitants d'Austin éprouvés par la hausse du coût de la vie.
"Merci pour tout ce que vous faites ! Vous avez un si grand cœur, vous n'imaginez pas comme vous m'aidez !" Assise au volant de son pick-up, fenêtre baissée, Elena couvre de compliments l'employée de la Banque alimentaire qui vient de prendre ses coordonnées. Derrière les deux femmes, une longue file de voitures s'étire dans un parking du sud d'Austin, la capitale du Texas (Etats-Unis). Ils sont des dizaines de conducteurs, en cette journée de fin octobre, à attendre que les bénévoles de ce "drive" chargent des cartons remplis de conserves et de légumes dans leur coffre.
"Nous allons sûrement avoir un flot ininterrompu de voitures durant toute la distribution", souligne Paul Gaither, responsable de la communication de la Banque alimentaire du centre du Texas, debout entre deux palettes de légumes. Entre avril et septembre, l'organisation a vu le nombre de demandes d'aide augmenter de 11% par rapport aux six mois précédents. Une hausse qu'elle attribue à l'inflation, qui a atteint 8,2% sur un an en septembre aux Etats-Unis, selon NBC*. Un niveau inédit depuis 40 ans.
Dans ce contexte, pas étonnant que l'économie soit devenue la principale préoccupation des Américains avant les élections de mi-mandat, selon une série de sondages de l'institut Gallup*. Pour les républicains, la flambée des prix est également une opportunité d'attaquer le bilan de Joe Biden et de tenter de reprendre le contrôle du Congrès aux démocrates, mardi 8 novembre.
Se soigner ou manger ?
Au Texas, Etat traditionnellement acquis aux conservateurs, certains électeurs sont pourtant moins catégoriques sur les responsables politiques de cette crise économique. "J'aimerais que nos élus travaillent à améliorer la situation, mais la plupart d'entre eux se moquent de ce qui arrive aux gens comme moi", balaye Luis, un cuisinier de 59 ans venu à la distribution. "On va continuer à souffrir quel que soit le parti au pouvoir", opine Russell, un retraité de 76 ans qui patiente un peu plus loin sur le parking.
Comme les autres habitants d'Austin rencontrés par franceinfo, cet ancien militaire est plus concerné par l'état de son compte en banque que par le scrutin à venir. "Beaucoup de Texans font face chaque jour à des choix terribles : payer leurs frais médicaux, leurs factures ou leur nourriture", justifie Paul Gaither, de la Banque alimentaire.
C'est le cas de Nicky, qui accompagne pour la première fois sa sœur à une distribution. Ces derniers mois, le loyer de cette employée d'une chaîne de supermarchés a grimpé de "200 dollars", ses factures de "100 dollars". "Les salaires, eux, ne bougent pas", se plaint la trentenaire. "L'argent que j'économise avec cette aide alimentaire va me permettre d'acheter du papier toilette ou du shampooing, ou de payer l'essence pour aller travailler, se réjouit-elle. Pour l'instant, on arrive encore à tout payer, en s'organisant bien."
De plus en plus de demande
Russell n'a pas cette chance. A chaque fois que la file de voitures s'immobilise, le retraité coupe aussitôt le moteur. "Mon réservoir est quasiment à sec et je n'ai plus que 9 dollars en poche, confie-t-il, les yeux à moitié cachés par une casquette délavée. Le prix de l'essence a beaucoup augmenté, alors j'essaie de consommer le moins possible." Sa maigre pension de 1 040 dollars sert à couvrir ses besoins, ainsi que ceux de son neveu, sa femme et leurs trois enfants. "Ils ont perdu leur emploi pendant la pandémie et sont venus habiter avec moi. Même si mon neveu a retrouvé un travail, ce n'est pas suffisant pour m'aider avec les charges."
"Chaque mois, on doit décider quelle facture régler. J'essaie de verser quelque chose à chaque entreprise, pour qu'on ne nous coupe aucun service. Mais j'ai déjà 600 dollars d'impayés rien que pour l'électricité."
Russell, retraitéà franceinfo
"Tout ce qui peut nous aider à boucler le mois est positif", poursuit Russell. Pour limiter le plus possible les dépenses, le septuagénaire vient deux fois par mois aux distributions de la Banque alimentaire. "On arrive à tenir une semaine avec un colis, en rationnant", souffle-t-il. "Ces derniers mois, les demandeurs sont venus plus nombreux, mais aussi plus fréquemment", appuie Sari Vatske, présidente de la Banque alimentaire du centre du Texas.
"Alors que certains ne venaient que ponctuellement, pour une aide d'urgence, on constate une dépendance chronique à l'aide alimentaire."
Sari Vatske, présidente de la Banque alimentaire du centre du Texasà franceinfo
Les bénéficiaires des allocations familiales se retrouvent "à court de revenus" plus tôt dans le mois, en raison notamment de la flambée des prix, pointe la patronne de l'organisation en observant bénévoles et employés s'affairer autour des voitures. La Banque alimentaire souffre elle-même de l'inflation.
"Le carburant de notre flotte de poids lourds, qui servent à transporter l'aide alimentaire dans tout le centre du Texas, coûte plus cher. Les charges de notre siège ont augmenté", liste Sari Vatske, en référence au bâtiment de 12 500 m2 qui abrite les bureaux, un entrepôt et une cuisine. "Nous avons aussi décidé d'augmenter les salaires de nos salariés pour compenser la baisse de leur pouvoir d'achat."
Une voiture plutôt qu'un toit
A l'autre bout du parking, le moteur du pick-up d'Elena toussote avant de produire un grincement peu rassurant. "Ah non ! Il faut que tu tiennes encore un peu", plaide la conductrice dans un mélange d'anglais et d'espagnol, en tapotant son volant. Avant la pandémie, cette mère de neuf enfants n'avait jamais eu à se rendre à une distribution d'aide alimentaire. "Mon mari a une entreprise de peinture, et on s'en sortait bien, raconte-t-elle sans jamais cesser de sourire. Mais depuis deux ans, il a très peu de travail : les gens n'ont pas d'argent pour faire des travaux chez eux." La révision chez le garagiste devra attendre.
Il est pourtant difficile de faire quoi que ce soit sans véhicule à Austin. "Prendre les transports en commun transforme un trajet de 30 minutes en un trajet de 2 heures", pointe Michael Tullius, responsable du programme caritatif de la Société de Saint-Vincent-de-Paul d'Austin, une organisation de bienfaisance catholique. "Lorsqu'ils se retrouvent en difficulté financière, beaucoup préfèrent dormir dans leur voiture plutôt que de payer un loyer", poursuit le quadragénaire, assis dans un petit bureau encombré du nord de la ville.
"Sans voiture, impossible de se rendre au travail, de prendre un second job pour arrondir ses fins de mois, d'emmener les enfants à l'école ou chez le médecin."
Michael Tullius, responsable du programme caritatif de la Société de Saint-Vincent-de-Paulà franceinfo
En 2021, Austin comptait plus de 3 000 sans-abri, estime l'organisation locale Echo*. Un phénomène que Michael Tullius lie en partie à la flambée des prix de l'immobilier dans la capitale du Texas, devenue "l'une des villes les moins abordables" des Etats-Unis, selon le New York Times*. La Société de Saint-Vincent-de-Paul propose une aide financière aux locataires en difficulté, "dans la limite de deux fois par an, en raison de notre petit budget". "Nous voyons des habitants dont le propriétaire augmente le loyer de 300 à 600 dollars au moment du renouvellement du bail, dénonce Michael Tullius. Dans l'impossibilité de payer autant, les plus vulnérables se retrouvent à la rue ou à devoir quitter Austin."
Un lent glissement vers la précarité
Si l'inflation a des conséquences désastreuses pour les plus précaires, "tout le monde en sent les effets", affirme Martha. Cette employée de banque reconnaît être dans une situation confortable, "sans obligation de se priver à cause de la hausse des prix". Elle furète tout de même dans les allées de la friperie de Saint-Vincent-de-Paul, en quête "d'une bonne affaire". "On essaie d'être vigilants. Mon fils a été licencié deux fois pendant la pandémie, il est revenu vivre chez nous", témoigne-t-elle.
"Il travaille à nouveau, mais il gagne moins qu'avant et a des dettes à rembourser. Avec la hausse des loyers, il n'a pas les moyens de déménager."
Martha, habitante d'Austinà franceinfo
"Le visage de la précarité a changé", confirme Sari Vatske. Quelque 93% des familles aidées par la Banque alimentaire du centre du Texas ont un domicile fixe et deux tiers ont au moins un adulte qui travaille. Pourtant, 60% de ces foyers ont besoin des distributions de l'ONG pour survivre. "On voit des gens arriver dans des belles voitures, honteux de devoir demander de l'aide pour manger à leur faim", abonde Michael Tullius.
Il y a quatre ans, la Société de Saint-Vincent-de-Paul venait en aide à un peu plus de 80 foyers lors de sa distribution alimentaire hebdomadaire. Ce sont désormais 800 familles qui se pressent chaque samedi aux portes de l'organisation. Et la friperie de l'association, qui propose des meubles et des vêtements à des prix dérisoires, ne désemplit pas.
"Le salaire minimum horaire au Texas est de 7,25 dollars. Pour beaucoup, cela signifie qu'il est impossible d'avoir des conditions de vie décentes", relève Michael Tullius. Sans mesure pour les aider, "la classe moyenne américaine est en train de lentement s'enfoncer dans la précarité", juge le responsable associatif. "Acteurs publics et privés, responsables politiques... Nous devons tous collaborer pour trouver des solutions durables face à l'insécurité alimentaire, plaide également Sari Vatske. Et il faut impérativement que la voix des plus pauvres soit entendue." Pour cela, il n'y a qu'une solution possible quel que soit le parti que l'on soutient, argue Michael Tullius : "Aller voter mardi 8 novembre."
* Les liens signalés par des astérisques renvoient vers des contenus en anglais.
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