Cet article date de plus de quatre ans.

Aux Etats-Unis, les Blancs sont-ils plus victimes de crimes interraciaux que les Noirs, comme l'affirment plusieurs graphiques sur les réseaux sociaux ?

Plusieurs infographies reprenant des données sur les crimes aux Etats-Unis sont diffusées sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Elles veulent notamment montrer que les personnes blanches sont plus attaquées par les personnes noires.

Article rédigé par franceinfo - Juliette Moreau Alvarez
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Du personnel hospitalier manifeste à New York, le 4 juin 2020, après la mort de Georges Floyd. (JOHANNES EISELE / AFP)

Depuis la mort de George Floyd, un Afro-Américain tué lors de son arrestation par un policier blanc à Minneapolis (Minnesota), de nombreuses protestations et émeutes éclatent aux États-Unis. Elles sont largement relayées sur les réseaux sociaux, mais la situation est également propice à la propagation de fausses informations. Plusieurs graphiques ont ainsi été diffusés sur Facebook et Twitter en opposition au mouvement #BlackLivesMatters. Ils semblent montrer que les Noirs américains commettent plus d’actes criminels envers les Blancs que le contraire. Ces infographies donnent néanmoins une perception erronée de la réalité aux États-Unis. La cellule Vrai du Faux vous explique pourquoi.

Ce type de graphique n’est pas inédit. En 2015, Donald Trump avait tweeté une image laissant entendre qu’1% des Afro-Américains étaient tués par la police et 97% par des personnes de la même ethnie. Le tweet original a depuis été supprimé par le président des États-Unis, mais cette image est encore relayée. Le 1er juin, Eric Zemmour a repris les mêmes chiffres sur le plateau de CNews. En 2016, on retrouvait également des graphiques sur la criminalité dans le pays avec le même slogan qu’aujourd’hui, "voici contre quoi le mouvement Black Lives Matter proteste".

Les graphiques sont incomplets

La première infographie ci-dessus est la plus récente et s’appuie sur les chiffres du Département de la Justice américain sur les victimes de la criminalité aux États-Unis en 2018. Le graphique omet pourtant d’indiquer les données sur les crimes au sein d’une même population. En ajoutant ces données, la tendance change. Contrairement à ce que laisse entendre le graphique, ce ne sont pas les Afro-Américains qui attaquent le plus les "caucasiens", mais les Blancs eux-mêmes. Près de 2,22 millions de personnes blanches ont été victimes d’un crime commis par une personne de la même ethnie, contre 547 948 victimes afro-américaines, soit quatre fois plus de personnes. De même dans le cas inverse : les crimes au sein de la communauté noire américaine sont plus nombreux que ceux d’une personne blanche envers une personne afro-américaine : 59 778 contre 396 450.

Les infographies favorisent également l’invisibilisation de certains crimes en ne parlant pas des données sur les populations asiatiques ou encore les crimes commis par des personnes d’ethnies différentes.

Les données ne prennent pas en compte la démographie américaine

Bien que les données utilisées dans ces infographies soient justes, elles portent à confusion en utilisant des chiffres bruts sur le nombre d’incidents violents. Elles comparent ainsi le nombre de personnes blanches victimes d’une personne afro-américaine et inversement.

Or, il y a sept fois plus de crimes envers les Blancs qu'envers les Afro-Américains aux États-Unis. Cela s’explique en partie par le fait que 60,4% de la population du pays sont des Blancs, suivis de 18,3% d’Hispaniques et de 13,4% d’Afro-Américains, selon le gouvernement. En comparaison, les victimes d’incidents violents recensées par le Département de la Justice américain sont à 70,75% blanches, 14,51% hispaniques et 11,14% afro-américaines. Proportionnellement, il est logique qu’une population massive soit plus touchée par les crimes qu’un groupe ethnique moins nombreux.

Comparer le nombre de victimes de chaque ethnie entre elles est donc trompeur. Pour visualiser les données du Département de la Justice américain de façon juste, il faut observer la part de criminels de chaque ethnie indépendamment les unes des autres.

L’infographie ne peut pas illustrer le mouvement #BlackLivesMatter

Les différents graphiques diffusés sur les réseaux sociaux servent majoritairement à décrédibiliser le mouvement #BlackLivesMatter, qui se traduit en français par "La vie des Noirs compte". Ce slogan dénonce le racisme et les violences policières discriminatoires, allant jusqu’à la mort de personnes à cause de sa couleur de leur peau. Avec ces illustrations, les internautes montraient que le nombre de victimes noires était largement inférieur au nombre de victimes blanches.

Pourtant, les données sur lesquelles les infographies se sont basées ne révèlent pas la nature des crimes commis, ni leur motivation. Il est peu probable que chacun des actes violents commis aux États-Unis soient commis par racisme. Selon le Département de la Justice américain, les crimes haineux en 2018 sont majoritairement commis contre des personnes noires. Les victimes afro-américaines représentent 2 426 cas de crimes raciaux sur 5 155, soit près de la moitié. C’est aussi plus de deux fois le nombre de victimes blanches, 1 038, qui représentent 20% de ces crimes haineux.

Une étude de l’Académie nationale des sciences des États-Unis d’Amérique publiée en 2019 révèle également que les hommes afro-américains entre 15 et 30 ans sont plus nombreux à décéder suite à l’usage de la force de la police que les personnes blanches, asiatiques ou latino-hispaniques du même âge.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.