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[A vrai dire] Non, il n'y a pas d'expropriations massives de fermiers blancs en Afrique du Sud

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Article rédigé par TV5MONDE
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En ce mois d'août 2018, un tweet de Donald Trump a semé l'émoi en Afrique du Sud. Il y dénonce des expropriations massives et même des meurtres "à grande échelle" de fermiers blancs. A vrai dire, si une réforme agraire est à l'ordre du jour, ces affirmations ne sont pas avérées.

"J'ai demandé au Secrétaire d'Etat d'étudier de près les saisies de terres et de fermes en Afrique du Sud, les expropriations et les meurtres de fermiers à grande échelle."

En publiant ce tweet surprise, il y a quelques jours, le président américain Donald Trump a provoqué un grand émoi en Afrique du Sud, par l'ingérence grossière qu'il manifeste et les erreurs qu'il formule.

A vrai dire, s'il y a bien eu quelques saisies et des meurtres de fermiers, la réforme agraire en Afrique du Sud - car c'est de cela qu'il s'agit - reste encore largement à l'état de projet.

Afrique du Sud : un tweet de Donald Trump en soutien aux fermiers blancs fait polémique

La question des terres


Riche territoire agricole, l'Afrique du Sud connait un problème épineux avec ses terres. Car la majorité noire a été peu à peu dépossédée par les colons arrivés d'Europe, puis le régime de l'Apartheid qui se met en place au XXème siècle. 
Exemple : en 1913, la loi sur les terres indigènes n'attribue que 7 % du territoire aux populations noires.

Quand l'ANC emmené par Nelson Mandela arrive au pouvoir en 1994, il hérite donc d'une situation explosive mais promet de redistribuer aux Noirs 30 % des 60 000 fermes commerciales en cinq ans. Or, à ce jour 8 % seulement ont changé de main. Depuis la réforme agraire est toujours en cours mais n'avance pas.

Pourquoi on en reparle ?

 "Il faut voir cela comme une occasion de redresser les injustices du passé, les divisions du passé pour que tous ensemble, en tant que Sud-Africain, nous puissions avancer en sachant que nous nous sommes attaqués au péché" originel.

Cyril Ramaphosa, président sud-africain. Discours devant le Parlement en février 2018 

Lorsque Cyril Ramaphosa accède à la présidence en février dernier, il sait qu'il doit absolument sauver son parti, l'ANC, largement discrédité. La réforme agraire est un échec symbolique et il promet de la relancer grâce à une modification de la Constitution. Des débats publics sont organisés, Noirs et Blancs y opposent leurs arguments. 

"Est-ce qu'on devrait récupérer nos terres ? La réponse est oui. Et nous, c'est la population directement, et pas le gouvernement. Si je récupère des terres… si vous dites que vous donnez la terre au peuple, je suis le peuple et je devrais recevoir une terre, pas un bail de 25 ans".

Prudence Mlangane, sans emploi

L'inquiétude des fermiers blancs est ravivée. Mais pour le moment le projet n'a pas avancé. Certains analystes estiment qu'il s'agit surtout d'une opération politique dans la perspective des élections générales de 2019.

Y'a-t-il des meurtres de fermiers "à grande échelle" ?

Pour l'année 2016 - 2017, les statistiques de la police sud-africaine font état de 638 attaques de fermes ayant conduit à 74 meurtres. 
Un chiffre à mettre en parallèle avec les 19 000 enregistrés dans tout le pays pendant la même période.

Mais ces statistiques sont défaillantes car elles ne font pas de distinctions entre fermiers, employés ou simples visiteurs. De même, on ne connait pas la population exacte considérée comme relevant "des fermes".
Dans ces conditions, il est impossible déterminer un ratio de meurtre de fermier. 

On peut dire simplement que dans le contexte d'insécurité qui prévaut en Afrique du Sud, les fermes isolées sont une cible pour les criminels. 
Pour autant rien ne vient cautionner la thèse d'un génocide politiquement ou racialement motivé comme le propagent certains cercles extrémistes blancs. 

Pourquoi Trump se préoccupe-t-il des fermes sud-africaines ?

Donald Trump ne s'en cache pas : il avait une unique source. Une émission de la chaine conservatrice Fox News qui invitait un "commentateur" sur la question. 

"L’administration américaine doit condamner clairement cette politique parce que, d’une part, elle est immorale car elle vise une population spécifique et ensuite parce qu'elle detruit l’économie."

Marian Tupy, analyste du think tank Cato sur Fox News

Marian Tupy est un analyste du Think Tank libertaire de droite Cato, où il a écrit un article réclamant l'intervention du président américain pour prévenir cette supposée vague d'expropriations.

Il a grandi en Afrique du Sud, d'où peut-être son intérêt pour le pays.
Curieusement pour affirmer que les expropriations ont commencé, il cite un site australien, News.com qui, comme Fox News, appartient à News Corporation, le groupe de presse du milliardaire Rupert Murdoch. News.com lui-même renvoie sur un cas cité par un tabloïd sud-africain... C'est peu dire que l'affirmation est mal documentée.

Néanmoins, elle reprend le message d'une ONG sud-africaine assez connue, Afriforum qui s'est donné pour mission de défendre les fermiers blancs supposés persécutés. 

Naturellement son combat a peu de succès dans le pays, mais elle tente aussi de trouver du soutien dans les milieux conservateurs anglo-saxons et vient juste d'envoyer une mission de lobbying en Amérique du Nord. Là-bas, visiblement elle obtient parfois des résultats.

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