Les Texans de Brownsville face à la "monstrueuse" barrière avec le Mexique
A l'occasion du premier discours de Donald Trump mardi devant le Congrès, franceinfo sillonne les Etats-Unis pour comprendre les implications des décrets déjà signés. Etape au Texas pour le projet de mur avec le Mexique, où une barrière a été érigée il y a neuf ans.
Donald Trump prononce devant le Congrès son premier discours, mardi 28 février, alors qu'il a déjà signé plusieurs décrets, notamment le texte paraphé le 25 janvier dernier pour lancer le projet de mur à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Afin de comprendre les implications de ses projets, franceinfo s'est rendu au Texas, à Brownsville, où une barrière a déjà été érigée en 2008, sous le mandat de Georges W. Bush.
Une barrière discontinue le long du Rio Grande
À l’extrême sud-est du Texas, non loin de l'endroit où le fleuve Rio Grande se jette dans le golfe du Mexique, existe une haute barrière érigée sur 300 kilomètres, avec quelques interruptions. Ainsi, au poste frontière de Progreso, les personnes en possession d'un visa en règle peuvent traverser légalement.
Des barreaux de fer de six mètres de haut, scellés sur un socle de béton, sont censés protéger une partie de la frontière avec le Mexique. C’est le président Georges W. Bush qui avait fait voter sa construction, à partir de la loi de Sécurité de 2006. En raison des inondations fréquentes, la barrière n’a pas été dressée en bordure immédiate du Rio Grande, le fleuve qui représente la frontière naturelle entre les deux pays. La séparation se situe entre un à trois kilomètres au nord du fleuve, selon les secteurs.
Des expropriations lors de la construction
Le jardin d’Eloisa Tamez, 81 ans, est scindé en deux. Cette ancienne infirmière de l'armée américaine ne voulait pas de la clôture géante. Elle s’est battue en justice durant deux ans, mais elle a finalement perdu face au gouvernement. La compensation financière qu'elle a reçue s'est élevée à 56 000 dollars. "Des cacahuètes", déclare Eloisa, expropriée d’une bande au milieu de son terrain.
Un matin, elle a vu arriver les engins de chantier devant la maison où elle a grandi. Eloisa, toujours très en colère, tape dans la barrière. "C’est de ça dont on parle, une monstruosité." Son quotidien est devenu compliqué. "Pour accéder à l’autre partie de mon terrain, je dois faire un kilomètre de détour et entrer un code électronique sur une porte aussi grotesque", raconte Eloisa.
On bafoue ma liberté, ici, aux Etats-Unis, un pays soit disant libre ! Si le président Trump est sérieux avec son idée de mur, qu’il vienne, je serai ravie de lui montrer ce que ça veut dire. Ce sont des ignorants. Ils ne savent pas de quoi ils parlent.
Eloisa Tamez, devant la barrière érigée au Texas
Eloisa se souvient des années 1980. En famille, elle allait passer ses dimanches de l’autre côté du fleuve, au Mexique. Des ouvriers mexicains venaient aussi travailler à la journée dans les champs de coton, du côté américain. "Personne ne se posait toutes ces questions de sécurité."
Une zone de trafics et de passages clandestins
De l’autre côté du Rio Grande, derrière une végétation dense, se cache la ville de Matamoros où des cartels en tout genre prospèrent. Rusty Monsees, 69 ans, explique qu'il ne va plus dans cette ville "devenue trop dangereuse". Chez cet agriculteur, ce sont de verdoyants champs de citronniers que l’imposante barrière de métal rouillée a coupé en deux. Ce "farmer" a créé une milice citoyenne qui traque jour et nuit les criminels et les clandestins. Avec son fusil chargé dans son pick-up et des menottes accrochées au volant, Rusty se positionne clairement en faveur de Donald Trump. Et pourtant, lui aussi critique "cette fichue barrière sans intérêt". Rusty montre une pancarte géante devant le ranch voisin, qui réclame une protection, davantage qu'une barrière.
Rusty doute de l'utilité de la grande palissade. "N’importe quel jeune peut grimper par-dessus cette barrière inutile. Il y a tellement de gens qui traversent et toujours plus de gens violents qui entrent par ici." L'agriculteur dit voir "des hommes et des femmes passer tous les jours", et la nuit, ajoute-t-il, "ce sont les trafiquants de drogue, cocaïne, marijuana". La séparation l'a aussi gêné dans l'exercice de son métier.
Environ 97% de l’irrigation de nos champs vient du Rio Grande. On ne peut pas techniquement mettre un vrai mur entre nous et la rivière parce qu’on en a besoin pour nos récoltes.
Rusty Monsees, agriculteur à Brownsville
Depuis la rive du Rio Grande, qui n'est pas très large ici, on devine un passage plutôt aisé à traverser à la nage. Rusty regarde les hélicoptères de surveillance et salue de la main les pick-up blancs et verts de la police aux frontières qui passent et repassent.
La défense d'un "mur virtuel"
Le puissant syndicat National Border Patrol Council représente les 18 000 patrouilleurs qui surveillent les frontières américaines. Il a soutenu Donald Trump pendant la campagne présidentielle. Devant les journalistes, les élus du syndicat se disaient convaincus que le mur, promesse emblématique de la campagne du candidat républicain, ne se ferait jamais. Maintenant que le président a signé le décret, ils se sentent un peu gênés. Chris Cabrera fait partie des syndicalistes. Dans son bureau où la chaîne de télévision Fox News est en permanence branchée, il soutient toujours Trump, mais il a dû mal à le suivre dans son projet de mur total.
Chris Cabrera, invoque les difficultés à construire sur des sites privés, sur des endroits impraticables, quand la frontière traverse un lac. Il défend surtout la nécessité de garder des patrouilles, parce que "le mur ne peut pas être la seule solution".
On a besoin de plus d’agents en patrouille, de plus de voitures, d’hélicoptères, de drones, de radars, de caméras. La technologie peut permettre de créer un mur virtuel.
Chris Cabrera, un des porte-parole du syndicat des patrouilleurs
Chris Cabrera sait, par expérience, qu’un "grand et beau mur impénétrable" pour reprendre la formule de Donald Trump, serait peu efficace et difficilement réalisable.
Le risque de la surenchère des passeurs
Pour d'autres raisons, l'avocate Emma Hilbert, qui travaille pour le South Texas Human Rights Center, doute aussi de l'efficacité du mur généralisé pour barrer totalement la frontière avec le Mexique. Cette militante de la principale organisation texane des droits de l’Homme se soucie du sort des clandestins. Avec des collègues, elle installe des réservoirs d’eau dans les champs pour qu’ils ne meurent pas de soif et elle les défend quand ils sont arrêtés. Emma travaille à Alamo, à une heure de Brownsville, où la barrière de métal obstrue aussi le paysage vers le sud.
L'avocate affirme souvent découvrir des échelles laissées par des migrants au pied de la barrière. Rien ne dissuade celui qui veut passer. "Si vous construisez des murs de six mètres, ils amèneront des échelles de sept mètres", explique Emma Hilbert. Elle redoute que la construction d'une barrière force les clandestins à emprunter des parcours toujours plus dangereux, avec le risque de devoir payer encore davantage les passeurs.
Plutôt que de lutter contre ce trafic, ce business, cela va entraîner une vraie industrie.
Emma Hilbert, avocate au Texas
L'avocate, spécialisée dans la défense des droits de l'Homme, estime que le projet de mur est "économiquement une mauvaise utilisation de l’argent public". Emma Hilbert promet de se battre contre le projet de Trump par tous les moyens légaux dont elle dispose. Le mur nécessite une validation du Congrès et les opposants au mur espèrent que ses membres seront freinés par le coût du chantier, estimé à 21 milliards de dollars. Le devis pourrait d'ailleurs grimper avec les frais de justice issus des nombreux recours contre les expropriations.
Des recours sont aussi attendus de la part des défenseurs de l’environnement qui dénoncent des conséquences sur la faune. Certaines espèces sauvages de félins sont bien moins visibles depuis la construction de la barrière à Brownsville.
Un mur d'un autre temps
Le juge du comté de Cameron, Eddie Trevino, fait partie de ceux qui portent l'ensemble des arguments pour s'opposer à une barrière généralisée. Il y a trois semaines, le juge s'est rendu à Washington afin de témoigner devant un comité du département de sécurité intérieure. "Ce mur une solution du XIVe siècle pour un problème du XXIe siècle."
Le juge Trevino appelle à tirer les conclusions de l'erreur commise ici, dans le secteur de Brownsville, surtout, dit-il, "quand cela concerne un de nos principaux alliés culturels et économiques au monde".
Le Mexique est notre second partenaire commercial. Au lieu de construire des murs, on devrait construire des ponts.
Eddie Trevino, juge opposé au mur
Comme le juge Trevino, 96% des habitants du comté de Brownsville ont des origines ou de la famille au Mexique, où la barrière existante est souvent appelée "El Berlin", en référence à un autre mur, lointain et sinistre, tombé depuis longtemps.
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