"Une volonté de le faire disjoncter" : pourquoi la tribune anti-Trump publiée dans le "New York Times" est "une bombe"
Le quotidien américain a publié, mercredi, la tribune anonyme et explosive d'un haut responsable de l'équipe du président américain. Pour comprendre l'impact de ce texte, franceinfo a interrogé le spécialiste de la politique américaine, Corentin Sellin.
Donald Trump est furieux. Et pour cause, le New York Times a publié une tribune explosive, dans laquelle un haut cadre de la Maison Blanche dénonce, de manière anonyme, notamment l'absence de moralité d'un président qui agit de façon "imprévisible". "Il y a une résistance silencieuse au sein de l’administration, rassemblant des gens qui ont choisi de privilégier d’abord leur pays", témoigne celui dont le journal a accepté de ne révéler ni l'identité, ni le genre, et qui estime que "les Américains doivent savoir qu’il y a encore des adultes dans la salle".
Alors que les révélations de Fear (en français, Peur : Trump à la Maison Blanche), le livre de Bob Woodward, ont déjà porté un coup à la crédibilité du président, la tribune du Times tombe dans un contexte particulier. Pour comprendre l'impact de ce texte et son côté unique, franceinfo a interrogé le spécialiste de la politique américaine Corentin Sellin.
Franceinfo : Pourquoi cette tribune a-t-elle un caractère exceptionnel ?
Corentin Sellin : De mémoire récente, on n'a jamais vu un conseiller, qu'on nous présente comme un senior official, c'est-à-dire un responsable de haut rang, éventuellement ministre, désavouer le président. Même à la fin de la présidence Nixon, en 1973-1974, quand des conseillers ont parfois désobéi au président, ils ne l'ont dit qu'a posteriori. Donc c’est totalement inédit dans l’histoire récente.
Par ailleurs, ce texte est une bombe car il vient d'un membre de l’administration qui, selon ce qu’il affirme, a été nommé par Donald Trump. On n’a pas affaire à un haut fonctionnaire de carrière.
C’est absolument incroyable : un membre de l’administration Trump, choisi par lui, estime aujourd’hui que le président est inapte à la fonction.
Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaineà franceinfo
Selon lui, le président relève de la section 4 du 25e amendement qui fait référence à la possibilité pour son gouvernement de lui retirer ses fonctions à titre temporaire, parce qu’il le jugerait inapte.
La forme est aussi inédite puisque, contrairement à tous les usages journalistiques, le New York Times a accepté de publier cette tribune anti-Trump d’un conseiller ou d'un ministre, anonymement. Ce qui pose un problème par rapport à l’éthique journalistique, particulièrement importante aux Etats-Unis.
Pourquoi certains la considèrent-ils comme problématique ?
La constitution des Etats-Unis, l’article 2 en particulier, qui définit les pouvoirs présidentiels, est très claire : le président est élu, il a reçu la souveraineté du peuple.
De quel droit, des conseillers, des ministres, parce qu’ils seraient armés des meilleures intentions, parce qu’ils auraient détecté des failles chez le président, s’arrogent le pouvoir d’exercer cette souveraineté à sa place ?
Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaineà franceinfo
Et surtout, il y a cette question du 25e amendement. L'auteur juge Donald Trump inapte. Même s’il devrait – il le dit lui-même – déclencher la procédure de destitution temporaire, il ne le fait pas. Il préfère, en violation de toute obligation constitutionnelle, continuer à servir Trump, afin de le contrôler et limiter les dégâts. Mais ça ne se passe pas comme ça ! La constitution n’est pas à la carte.
Ce qui transparaît du texte, c'est une certaine instrumentalisation du président. L'auteur se décrit comme un "vrai" conservateur, plutôt dur, comme Mike Pompeo ou James Mattis, contrairement au président, et affirme que si des choses formidables ont été réalisées, comme baisser les impôts, déréguler... ce n'est pas grâce à Donald Trump.
Quels sont les paradoxes de la démarche de l'auteur ?
D'abord, il explique qu'il souhaite poursuivre cet arrangement hors clous constitutionnels, même s'il n’est pas optimal. Avec cette fameuse formule ambiguë : "Nous continuerons jusqu’à ça se termine d’une façon ou d’une autre".
Ensuite, l'auteur se vante de limiter les dégâts liés à la personnalité de Donald Trump sur la présidence, tout en publiant un texte, qui amènera, parce qu’il y a de fortes chances qu’il finisse par être identifié, à l’impossibilité pour lui de poursuivre cette mission. Alors pourquoi sort-il du bois, même anonymement ?
Son anonymat va-t-il tenir ? C’est peu vraisemblable. Ce matin déjà, les spécialistes scientifiques du plagiat et de la critique littéraire assuraient qu’il allait être identifié grâce aux champs lexicaux, à la manière d’écrire.
Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaineà franceinfo
Il prend un risque insensé par rapport à la mission qu’il semble se donner : sauver la présidence et les Etats-Unis.
Quelles peuvent être les motivations de son auteur ?
Première hypothèse : profiter de la sortie du livre de Woodward pour tenter de porter le coup fatal. Est-ce qu’il n’y a pas la volonté de se servir de l’onde de choc de la parution de Fear pour faire une sorte d’effet de souffle qui amènerait à la fin de la présidence Trump ?
Il s’agirait alors d’une volonté de l’acculer, de le rendre complètement paranoïaque, et en quelque sorte de le faire disjoncter.
Corentin Sellin, spécialiste de la politique américaineà franceinfo
Seconde hypothèse : l'auteur de la tribune a de moins en moins de contrôle sur Trump. C'est ce que ce texte semble indiquer. Il commence par dire que cette administration a fait des choses formidables, "malgré les médias qui sont vraiment contre nous et malgré le président". Mais, dans une deuxième partie du texte, il insiste beaucoup sur l'incapacité du président à tenir une réunion, sur le fait qu’il dit n’importe quoi. Il cite une anecdote, dans laquelle un conseiller sort d'une réunion avec Trump et dit "ça ne peut plus durer". On a vraiment l’impression que les choses empirent. C’est peut-être pour cela qu’il sort du bois.
Cette tribune tombe quelques jours après la parution des bonnes feuilles de Fear, le livre explosif de Bob Woodward. Mais le New York Times avance que ce n'est pas lié...
Le livre de Bob Woodward est en préparation depuis un an et on savait qu'il allait sortir à la rentrée, donc le New York Times noie un peu le poisson... Ce n'est pas cohérent. La personne qui a remis le document savait très bien que ce livre allait sortir, c’est même peut-être une de ses sources. Il y a quand même un télescopage étrange. Dès la sortie des bonnes feuilles de Fear, l'administration Trump a fait bloc. Le secrétaire à la Défense, James Mattis, a parlé d’un travail de fiction, tout comme le chef de cabinet de la Maison Blanche, John F. Kelly. Jusque-là, c'était parole contre parole.
Et là, tout d’un coup, le New York Times publie le texte d'un responsable de haut rang de l’administration, qui, non seulement, confirme les propos de Woodward, mais qui semble même attester de ce qu’on ne pouvait que supputer jusque-là.
Quel regard portez-vous sur la réponse de Donald Trump ?
Ca m'a beaucoup surpris, car on pouvait s'attendre à une réaction virulente, surtout quand on voyait l’état de tension qu’il y avait déjà après la parution des bonnes feuilles de Fear. Certes, il a insulté le New York Times, mais il le fait quasiment tous les jours. Il a parlé de la faillite prochaine du journal, chose qu'il a déjà dite à de multiples reprises. Il n'était pas rouge, ni en train d'éructer, ni de postillonner. Il était plutôt maîtrisé.
Et surtout, sa réaction est coordonnée avec celle de la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Sanders, alors que ce n'est habituellement pas le fort de cette administration. Sur le fond, la défense est plutôt maligne. Ils disent que le président a été élu, et que l'auteur de la tribune doit se dénoncer ou démissionner, car on ne peut pas admettre qu’il y ait des agents qui complotent contre le président à l’intérieur de l'administration. Et là, ils ont un argument constitutionnel et démocratique fort.
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