Taxes sur l'acier et l'aluminium : l'article à lire pour comprendre les tensions commerciales entre l'Europe et les Etats-Unis
Les nouvelles taxes américaines sur l'acier et l'aluminium, visant principalement des pays alliés des Etats-Unis, sont entrées en vigueur. Faisant craindre une escalade de mesures potentiellement dangereuse pour le commerce mondial.
La guerre commerciale est déclarée. Les Etats-Unis ont décidé, jeudi 31 mai, de taxer lourdement leurs importations d'acier et d'aluminium en provenance d'Europe, du Canada ou encore du Mexique.
Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Et y a-t-il des risques d'escalade ? Franceinfo vous aide à comprendre ce qui se passe entre la première puissance économiques et ses principaux partenaires commerciaux.
Qu'ont décidé les Etats-Unis, exactement ?
L'administration Trump avait annoncé, le 1er mars, vouloir mettre en place de nouveaux tarifs douaniers sur les importations d'aluminium et d'acier à destination du territoire américain. Ils avaient été temporairement suspendus. Mais le sursis accordé par la Maison-Blanche est arrivé à son terme et les Etats-Unis ont confirmé, jeudi 31 mai, l'entrée en vigueur de surtaxes de 25% sur les importations d'acier et de 10% sur celles d'aluminium en provenance de l'Union européenne ainsi que du Canada et du Mexique.
Pour justifier cette offensive, l'administration s'appuie sur un texte rarement invoqué : l'article 232 de la loi sur l'expansion commerciale de 1962. Ce texte autorise les autorités américaines à limiter l'importation de certains produits si le département du Commerce y voit une menace pour la sécurité intérieure, "un motif qui permet de contourner les règles de l'OMC", rappellent Les Echos.
L'Argentine, l'Australie et le Brésil, qui étaient menacés des mêmes sanctions, ont pour leur part accepté de réduire leur production et sont donc exemptés de ces surtaxes.
Comment justifient-ils cette décision ?
"Je tiens une promesse que j’ai faite pendant la campagne", avait lancé Donald Trump début mars. Son objectif, dans la droite lignée de son slogan "America first", est de relancer la sidérurgie aux Etats-Unis et surtout de lutter contre le déficit commercial américain, qui atteignait 566 milliards de dollars en 2017 (483 milliards d'euros), un record. "Notre industrie a été la cible depuis des années, depuis des décennies même, d’attaques commerciales déloyales. Et ç'a provoqué chez nous la fermeture d’usines ,de hauts fourneaux, le licenciement de millions de travailleurs, avec des communautés décimées. Eh bien, ça, ça va s’arrêter", a déclaré le président des Etats-Unis, début mars.
Our Steel and Aluminum industries (and many others) have been decimated by decades of unfair trade and bad policy with countries from around the world. We must not let our country, companies and workers be taken advantage of any longer. We want free, fair and SMART TRADE!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 1 mars 2018
L'idée de Donald Trump est donc, en taxant les produits importés, de protéger les entreprises et les emplois aux Etats-Unis face aux marchandises importées. Une mesure classique de politique économique dite "protectionniste".
"La première obligation d’un pays est de protéger ses citoyens et ses moyens de subsistance. Or, depuis des années, les États-Unis se voient appliquer des tarifs, des règles et des normes discriminatoires et asymétriques. D’où l’action engagée pour y mettre fin. On peut appeler cela populisme, cela peut déplaire, mais c’est notre politique", a également justifié cette semaine Wilbur Ross, le secrétaire américain au Commerce, cité par La Croix.
Cette décision a aussi pour objectif d'engager un bras-de-fer en vue de renégocier des traités commerciaux internationaux dont les Etats-Unis sont membre, comme l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) signé avec le Canada et le Mexique.
Comment réagissent les pays visés ?
Très mal. Cette décision américaine est "une erreur" et elle est "illégale", a signifié Emmanuel Macron à Donald Trump au cours d'un entretien téléphonique. La chancelière allemande, Angela Merkel, s'est alarmée d'"une escalade qui nuira à tout le monde".
De son côté, Justin Trudeau a dénoncé "un affront au partenariat de sécurité existant de longue date entre le Canada et les Etats-Unis" et son pays se dirige vers l'établissement de sanctions directes à l'encontre de produits américains. Tout comme le Mexique qui a également annoncé plusieurs taxes.
Et Trump, il assume ?
Droit dans ses bottes, le président américain a répondu que "les Etats-Unis ont été exploités pendant de nombreuses décennies dans le domaine du commerce. Ces jours sont révolus". A quelques mois des élections de mi-mandat, Donald Trump cherche à rassurer et séduire les électeurs de la "Rust Belt" (la "ceinture de la rouille" au nord-est des Etats-Unis), une région industrielle, qui ont voté pour lui en 2016, analyse L'Express.
La volonté de Donald Trump est aussi de court-circuiter l'OMC (Organisation mondiale du commerce), qu'il juge "inefficace". "Taper du poing sur la table, montrer sa puissance tient sans doute à sa personnalité et son passé d’homme d’affaires. Mais c’est aussi parce que les États-Unis estiment (...) qu’il y a plus à gagner en jouant le face-à-face", explique ainsi à La Croix Christopher Dembik, chef économiste chez Saxo Bank.
C'est un gros problème pour l'Europe ?
L'Europe est en théorie moins touchée que le Canada par cette mesure. Les Européens exportent environ 5 milliards d'euros d’acier et 1 milliard d'euros d’aluminium chaque année vers les Etats-Unis. En 2017, la France a vendu aux Américains pour 467 millions de dollars d’acier (398 millions d'euros) et 229 millions de dollars d’aluminium (195 millions d'euros). Dans l'UE, ce sont l'Allemagne et l'Italie, devant la France, qui exportent le plus aux Etats-Unis, détaille Le Parisien.
De quelles marges de manœuvre disposent les autres pays ?
Cette offensive protectionniste des Etats-Unis entraîne des réponses similaires de la part de ses partenaires. Le Canada est le pays le plus touché par ces sanctions puisqu'il vend 90% de sa production d'acier à son voisin. Ottawa a donc été un des premiers à riposter concrètement en annonçant des taxes sur 13 milliards de dollars de produits américains, à compter du 1er juillet.
Le Mexique, dont l'acier représente près de 10% des importations américaines, a indiqué qu'il taxerait davantage certains métaux mais aussi des denrées alimentaires comme des fruits et des fromages.
Bruxelles a déjà prévenu que l'Union européenne allait elle aussi taxer des produits américains emblématiques, comme les motos Harley Davidson, les cigarettes, des jeans ou encore le beurre de cacahuète. Un conseil extraordinaire des ministres du Commerce pourrait être convoqué dès la semaine prochaine afin d’en discuter, rapporte Le Monde.
Et ça peut faire peur aux Etats-Unis ?
Pas vraiment. Le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, a, lui, minimisé les risques de représailles de la part des pays visés estimant que les importations venant de l'Union européenne représentaient "peu de chose" par rapport au déficit commercial américain (moins de 3 milliards de dollars sur les 566 milliards pour l'année 2017).
D'autant que les Etats-Unis sont prêts à aller encore plus loin. Le 23 mai, la Maison-Blanche a annoncé envisager des taxes douanières sur un autre secteur : l'automobile ; déclenchant l'exaspération de l'UE et des industriels, notamment en Allemagne.
Quel est le risque pour l'économie mondiale ?
Dans un premier temps, les entreprises qui exportent de l'acier et de l'aluminium vers les Etats-Unis peuvent se retrouver en difficulté avec la perte d'un marché important. Autre problème : que faire des stocks ? Ces "invendus" vont devoir trouver d'autres marchés. Plus d'offre que de demande, c'est l'assurance d'une dangereuse chute des prix.
Pour autant, les grands groupes sidérurgistes européens ne s'alarment pas outre mesure, rapporte Le Figaro. Les exportations vers les Etats-Unis sont relativement faibles. Les industriels sont davantage préoccupés par la Chine qui produit environ la moitié de l'acier dans le monde, et qui se trouve aujourd'hui surcapacité. Si les États-Unis lui ferment leurs portes, des millions de tonnes d'acier chinois risquent de chercher d'autres débouchés, à commencer par l'Europe, et qui pourrait "par ricochet" menacer les entreprises européennes, décrypte Philippe Darmayan, président d'ArcelorMittal France.
Si l'impact économique des taxes américaines sur l'acier et l'aluminium devrait rester relativement limité, le risque majeur est celui d'une escalade, avec ripostes et contre-ripostes, qui fragiliserait l'ordre commercial mondial. C'est en tout cas l'analyse de Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). A La Croix, il explique : "Cette surenchère peut déboucher sur une guerre commerciale désastreuse pour tout le monde, mais nous n’en sommes pas là. Le véritable risque tient à la manière qu’ont les États-Unis de tout miser sur le rapport de force unilatéral. Cette posture menace de faire imploser le cadre légal qui a permis, jusque-là, de régler les relations commerciales."
Et pendant ce temps-là, que fait l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ?
"Washington ne nous laisse pas d'autre choix que de porter ce conflit devant l'OMC et d'imposer des droits de douane supplémentaires à des produits en provenance des Etats-Unis", a déjà prévenu le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.
Mais si son rôle est justement de régler les contentieux commerciaux entre les pays, face à Donald Trump, l'organisation est impuissante. Les Etats-Unis s'opposent en effet à la nomination de trois des sept juges de l'organe d'appel de l'OMC, explique L'Express. "En septembre prochain, un quatrième juge arrivera au terme de son mandat. S'il n'est pas remplacé, l'OMC sera tout bonnement dans le coma", prévient Habib Gherari, professeur à l'université d'Aix-Marseille.
Pourquoi les Etats-Unis bloquent ainsi l'organisation ? Car le président américain en a fait une cible. Ce dernier estimait, le 6 avril, que l'organisation "est inéquitable envers" son pays.
China, which is a great economic power, is considered a Developing Nation within the World Trade Organization. They therefore get tremendous perks and advantages, especially over the U.S. Does anybody think this is fair. We were badly represented. The WTO is unfair to U.S.
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 6 avril 2018
J'ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ? ;)
Les relations commerciales entre les Etats-Unis et leurs partenaires traversent une importante zone de turbulences. Washington a décidé de taxer l'acier et l'aluminium importés d'Europe, du Mexique et du Canada, pour privilégier la production nationale. Une décision qui risque de remettre en cause l'équilibre de l'économie mondiale. Emmanuel Macron, a qualifié cette mesure d'"erreur" et la juge "illégale", au cours d'un entretien téléphonique.
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