Venezuela : "Maduro entame sa mandature en situation de faiblesse"
A l'issue d'un scrutin serré, le candidat de l'opposition dénonce des irrégularités dans le scrutin. Que cherche-t-il ? L'analyse du chercheur Jean-Jacques Kourliandsky.
Sept morts au Venezuela. Les violences post-électorales laissent un goût amer. Hugo Chavez mort, son successeur, Nicolas Maduro, n'a remporté l'élection qu'avec 250 000 voix d'avance. Du coup, l'opposant numéro 1, Henrique Capriles, dénonce un président "illégitime" et un scrutin entaché de "3 200 incidents" électoraux. Que cherche le candidat de l'opposition ? Voici les analyses de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques.
Francetv info : Le candidat de l'opposition à l'élection présidentielle, Henrique Capriles, dénonce des fraudes. Cette élection était-elle vraiment transparente ?
Jean-Jacques Kourliandsky : Oui. Du moins, elle s'est déroulée dans les mêmes conditions que celle d'octobre 2012. Le candidat de l’opposition, Henrique Capriles, avait alors reconnu immédiatement le résultat. En octobre dernier, il y avait un déséquilibre des moyens publics mis à disposition d’Hugo Chavez. Cette fois-ci, c’était en faveur de Nicolas Maduro, son dauphin désigné. Le Conseil national électoral était chargé de veiller à la régularité du scrutin, comme cette fois-ci, et ce sont les mêmes personnes qui le composaient.
Dans ce cas, comment expliquer ce changement d'attitude de Henrique Capriles ?
La première explication vient du constat que l’écart est très faible entre les deux candidats. Il faut, pour Henrique Capriles, essayer d’enfoncer au maximum la porte qui est entrouverte, en contestant la régularité du processus électoral et le déroulement du scrutin.
Deuxième explication, il s'agit pour Henrique Capriles d'assurer une emprise définitive sur son propre camp. L’année dernière, Hugo Chavez avait battu plus nettement Henrique Capriles (qui avait rassemblé 45% des suffrages). Certains membres de sa mouvance, parmi les plus radicalisés, lui avaient reproché de ne pas avoir contesté le résultat. Au mois de décembre, il a remporté une élection dans l'Etat de Miranda, qui lui a donné un bol d’air et la possibilité de défendre une deuxième fois l'opposition à la présidentielle. Pour faire taire ses opposants éventuels au sein de son alliance, il fait manifestement aujourd'hui un baroud d’honneur. Cela lui permet de montrer qu'il est aussi capable de faire preuve d’autorité et de mobiliser ses troupes.
Henrique Capriles ne chercherait donc pas la confrontation pour créer des troubles et renverser le pouvoir ?
Je crois que c'est surtout une position tactique. Nicolas Maduro vient d’être adoubé par le Conseil national électoral et par la plupart des pays d’Amérique latine, qui lui ont déjà adressé des messages de félicitations.
En fait, cette attitude augure d'une situation de campagne permanente au Venezuela pour les trois prochaines années. Selon la constitution vénézuélienne, telle qu'elle a été modifiée à l’époque d’Hugo Chavez, il est possible d’organiser un référendum de révocation du président sous réserve de présenter la demande avec le soutien de 20% au moins des électeurs inscrits. C’est une possibilité qui avait été utilisée par l'opposition en 2004, sans succès alors.
On peut penser que l’opposition dynamisée par le résultat du 14 avril 2013 va rester mobilisée. C’est le sens à donner à la radicalisation du discours d’Henrique Capriles : commencer la mobilisation dès avril 2013 pour arriver à organiser un référendum révocatoire dans trois ans. Il peut considérer qu’il est sur une tendance ascendante. Il a réalisé 45% des voix en octobre 2012, 49% en avril 2013. A mi-mandat de Maduro, il peut logiquement penser qu’il pourra dépasser les 50%.
Pour sa part, le dauphin d'Hugo Chavez, Nicolas Maduro, a rassemblé à peine plus de 50% des voix. Comment expliquer ce faible score ?
C'est un échec pour lui. Il faut se rappeler que les sondages, au moment du décès de son prédécesseur, lui donnaient une très large avance, de l’ordre de 10 à 20 points. Il termine avec seulement 1,5 point d'avance. Manifestement, il a mangé son pain blanc.
Il a eu tout faux pendant sa campagne électorale, qui a été zigzagante. Elle était essentiellement fondée sur un discours du "je suis l’héritier", il a parlé de l’esprit d’Hugo Chavez lui apparaissant sous la forme d’un "petit oiseau". Des erreurs qui ont permis à son adversaire de dire : "Regardez, c’est une pâle copie du modèle antérieur", "le costume est trop large pour lui". Le doute s'est alors introduit dans son électorat.
N'est-ce pas aussi un effet de l'abstention ?
Il est probable qu’il y a eu beaucoup plus d’abstentionnistes du côté des ex-votants d’Hugo Chavez que du côté de l’opposition. Dans la mesure où la dynamique a été du côté de l’opposition, elle a mieux mobilisé.
Alors qu'il y a eu une déception vis-à-vis de Nicolas Maduro qui n'a pas incité tous ses électeurs à aller voter. Cela dit, malgré tout, les votes recueillis par Nicolas Maduro sont importants, avec 7,5 millions de votants. Il ne recueille que 50,78 % des suffrages, mais avec un nombre de votants inférieur, 7,3 millions, Hugo Chavez dépassait les 55% il y a quelques années.
Le doute s'immisce-t-il dans le parti de Nicolas Maduro ?
Le résultat, a conduit le président du parlement et président du parti d'Hugo Chavez, le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), a estimé que ce vote appelait une "autocritique". Il a regretté la perte de beaucoup d’électeurs qui avaient voté pour le camp d'Hugo Chavez et sont passés dans l’opposition, et appelé à une réponse.
Nicolas Maduro entame sa mandature en situation de faiblesse vis-à-vis des siens. Son premier défi va être de pouvoir démontrer à son camp qu’il est capable de le mener aux victoires de demain. S’il n’y parvient pas, il pourrait y avoir une crise au sein de la famille chaviste.
Quant aux électeurs perdus, il va aussi devoir montrer rapidement qu'il peut apporter des réponses à leurs inquiétudes, dont il a été très peu question dans la campagne : sur l’inflation, les difficultés alimentaires liées à des dysfonctionnements dans l’économie vénézuélienne, ou encore l’insécurité qui touche l’ensemble des classes sociales.
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