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Viol en temps de guerre : vers la reconnaissance d’un crime international?

Du 10 au 13 juin 2014 s’est déroulé à Londres un sommet unique en son genre sur les violences sexuelles commises pendant les conflits et l’utilisation du viol comme «arme de guerre». L’actrice Angelina Jolie et le chef de la diplomatie britannique William Hague ont présidé cet événement, le plus grand jamais consacré à ce sujet.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Angelina Jolie, lors de l'ouverture du sommet international contre les viols commis en temps de guerre, le 10 juin 2014. (AFP PHOTO / LEFTERIS PITARAKIS)

L’objectif de ce sommet est d’«éveiller les consciences» sur l’étendue du fléau, de «combattre l’impunité» et de «créer un élan irréversible» qui puisse déboucher sur «des actions concrètes sur le terrain». Y participaient cent-vingt-trois pays et quarante-huit ministres des Affaires étrangères ainsi que des victimes, des témoins et des acteurs de terrain, à l’instar de Denis Mukwege, fondateur de l’unique hôpital de République Démocratique du Congo (RDC) consacré à la chirurgie gynécologique réparatrice.
 
Depuis une dizaine d’années, ce médecin congolais a soigné plus de 40.000 femmes violées. Il est aidé dans cette difficile tâche par un chirurgien belge, Guy-Bernard Cadière, spécialiste de la chirurgie coelioscopique ou lapraroscopique (chirurgie vidéo-assisté). Ensemble, ils ont co-écrit un livre, Un ilôt en enfer (aux éditions du Moment), dont les bénéfices reviennent directement à l'hôpital de Panzi. Denis Mukwege est devenu la figure emblématique du combat mené contre les violences sexuelles en temps de guerre. Une lutte qui ne plaît pas à tout le monde, il assure d’ailleurs avoir été menacé : «Cette guerre profite à tout le monde et dénoncer, c’est prendre un risque


D’autres s’érigent contre cette réalité
Zainab Hawa Bangura a été nommée en juin 2012 par Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations Unies, comme sa représentante chargée de la question des violences sexuelles commises en période de conflit. Cette ancienne ministre de Sierra Leone assurait alors qu’il était possible d’éradiquer ce fléau. Ses objectifs ? La justice pour les victimes et la lutte contre l’impunité, la protection et la réinsertion des femmes ayant subi des violences sexuelles, le renforcement de la volonté politique dans la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité, la coordination des efforts de la communauté internationale, une sensibilisation à l’égard du viol en tant que tactique de guerre et la mobilisation et la recherche d’une solution à l’échelle locale et nationale.
 
Depuis, la communauté internationale s'est mobilisé. La Libérienne Leymah Gbowee, prix Nobel de la paix, est à l’initiative d’une ONG qui rassemble des femmes lauréates de la même récompense : la Nobel women’s initiative. Le principal objectif de cette organisation est de «mettre les femmes au centre des efforts déployés pour la paix et pour mettre un terme à une violence sexuelle endémique».
 
Des siècles d’impunité
Le viol en temps de guerre est un moyen ancestral d'humilier le vaincu ou de provoquer un adversaire lorsque le conflit est latent. Dans l'Antiquité, Saint Augustin, dans La Cité de Dieu, note que le viol est une pratique habituelle lors des pillages de villes, au même titre que le massacre des hommes. Et seuls quelques rares contre-exemples ont persisté au fil des siècles comme celui notable d’Alexandre le Grand dont le comportement aurait témoigné d'une volonté de protéger certaines femmes contre la violence masculine.
 
Plus récemment, lors de la Seconde guerre mondiale, des militaires de toutes nations se sont livrés à cette pratique. Le cas de l’armée impériale japonaise qui aurait enlevé 20.000 à 200.000 femmes devenues femmes de réconfort : l’exemple d’un cas extrême dans lequel le commandement lui-même a organisé le viol, alors que dans l'immense majorité des armées, il est totalement interdit par le règlement. Pendant la chute du IIIe Reich en 1945, le nombre de femmes allemandes violées par les soldats de l’armée soviétique a été estimé à deux millions, une estimation du même ordre s'applique à l'invasion nazie en URSS à partir de 1941.
 
De nos jours, les chiffres restent accablants. Selon les Nations Unies, 36 femmes et filles sont violées chaque jour en RDC, où on estime à plus de 200.000 le nombre de femmes ayant souffert de violences sexuelles depuis 1998. Entre 250.000 et 500.000 femmes ont été violées au cours du génocide du Rwanda de 1994. Plus de 60.000 l'ont été lors du conflit en Sierra Leone. Et au moins 20.000 pendant la guerre en Bosnie au début des années 1990.

La République démocratique du Congo connait un des taux de viols les plus importants au monde. Ces deux femmes de la province de Kivu à l'est du pays ont été toutes deux victimes d'un viol.  (AFP PHOTO / TONY KARUMBA)

Le viol de guerre, qu'il soit opportuniste ou prémédité, est un instrument d’épuration ethnique : les nombreuses naissances qui s'ensuivent brisent la cohésion ethnique des victimes comme lors de la guerre de Bosnie-Herzégovine et de Croatie ou encore au Darfour. Dans cette région du Soudan, les chefs de village rejetaient les enfants nés de viols par les Djandjaouids. Seuls ceux «qui se conduisaient bien» pouvaient rester dans leurs villages. Discriminés et mis à l’écart, ces enfants ont souvent été violés à leur tour. Par ailleurs, ces viols systématiques contribuent très fortement à la propagation du sida et d'autres maladies sexuellement transmissibles (MST). Et affaiblissent leurs victimes physiquement et psychologiquement.

Mais généralement, les femmes ne portent pas plainte. Une apparente aberration qui s’explique par la difficulté d’aboutir à une condamnation. C’est ce qu’explique Aymeric Elluin, chargé de la campagne Arme et impunité d’Amnesty International : «Dans un pays en guerre, avec la présence de forces armées, les femmes ont du mal à signaler leur viol, par honte mais également parce que le processus de reconnaissance est long : vérification médicale, manque de structures policières, corruption…» Une situation qui reflète toute une série de manquements sur le terrain : des incohérences sociétales, policières et judiciaires qui empêchent le travail de la justice internationale.
 
#Time to act 

En 2001, pour la première fois, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a qualifié et condamné le viol comme crime contre l’humanité. Il faudra encore attendre 2008 pour qu’une résolution du Conseil de l’ONU définisse le viol comme «arme de guerre».

Un sommet unique en son genre
 
«Il faut commencer par considérer le viol en temps de guerre comme un crime international majeur et non plus seulement comme la conséquence inévitable de tout conflit», a annoncé John Kerry, le secrétaire d’Etat américain à Londres, le 10 juin, lors de l’ouverture du sommet sur le viol en temps de guerre.
 
Selon la définition de la Cour Pénale Internationale (CPI), le viol en tant que «prise de possession du corps d’une personne de telle manière qu’il y a eu pénétration, même superficielle, d’une partie du corps de la victime ou de l’auteur par un organe sexuel, ou de l’anus ou du vagin de la victime par un objet ou toute autre partie du corps (…), commise par la force, par la menace de violences, contrainte, pressions psychologiques (…) au cours d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile» est considéré comme un crime contre l’humanité et est passible de poursuites devant la justice internationale.
 
Pour Aymeric Elluin, «tous les Etats devraient adopter un plan d’action à leur niveau pour lutter contre ces violences». «La plus grosse difficulté aujourd’hui, pour la CPI et pour la justice internationale, est de rassembler les preuves, qui permettraient de juger les coupables de ces sévices sexuels. Car la difficulté des viols commis en temps de guerre, c’est justement qu’ils ont lieu au sein d’un conflit armé. Là où il y a des armes, il y a un recours presque systématique au viol», s’indigne-t-il. Et il est formel, «la solution se trouve d’abord dans une meilleure réglementation, une meilleure prévention du commerce des armes afin d'empêcher les violations des droits humains comme les violences sexuelles.»
 
Le sommet est le premier de ce genre et à travers lui, la communauté internationale se mobilise en proposant un document unique : the International protocol on the documentation and investigation of sexual violence in conflict, à l’initiative de William Hague, le ministre des Affaires étrangères britannique. Un événement que même le Pape François a pris le temps de saluer sur Twitter. 


Ce sommet se présente comme un premier pas fait dans la bonne direction : un exemple que suivent petit à petit les pays du monde entier comme le Libéria, où la présidente Ellen Johnson Sirleaf a chapeauté la mise en place de nouvelles lois contre le viol, la création d'une cour de justice spécifique et le lancement d'une unité féminine de police en 2009. Ou encore en Croatie, où une loi reconnaissant les droits des victimes de violences sexuelles durant la guerre de 1991-95 vient d’être votée. Mais convaincre les victimes de viols de porter plainte reste une grande bataille. Celles qui le font changent souvent d'avis de peur d'être stigmatisées et choisissent plutôt la médiation de chefs coutumiers pour obtenir des compensations.

«Nous pouvons y arriver», a pourtant martelé John Kerry. Le secrétaire d'Etat américain a appelé à «reléguer au Moyen-Age et aux livres d'histoire» le «crime indescriptible» des violences sexuelles en temps de conflit. Après quatre jours de réunions, de débats et de témoignages souvent bouleversants, la plus ambitieuse conférence jamais organisée sur le viol en tant qu'arme de guerre s'est terminée sur la promesse d'un combat contre l'impunité, même si son application sur le terrain reste extrêmement compliquée. Quant à Angelina Jolie, ambassadrice de bonne volonté du Haut commissariat de l'ONU, elle a conclu le sommet : «On n'éradiquera pas ce mal du jour au lendemain, ceci n'est que le début, mais nous savons exactement ce qu'il faut faire désormais.»

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