Nate Silver, le statisticien qui prédit la victoire d'Obama à 3 contre 1
Ce jeune blogueur, qui a exercé ses talents dans le milieu du baseball et du poker avant de s'intéresser à la politique, ringardise les sondages avec ses prédictions aussi justes que culottées.
PRESIDENTIELLE AMERICAINE - Depuis que Mitt Romney a rattrapé Barack Obama dans les sondages, tous les supporters du président tournent leur regard fiévreux vers lui. Nate Silver, 34 ans, blogueur au New York Times, affirme mardi 30 octobre, à une semaine de l'élection, que le président démocrate a près de 72% de chances de l'emporter. Et ce alors que Mitt Romney a un a deux points d'avance sur lui dans les derniers sondages nationaux, compilés par le site spécialisé RealClearPolitics.
Pronostic farfelu ? C'est tout l'inverse. Ce jeune statisticien s'appuie sur une approche analytique béton, qu'il a testée dans le monde du baseball et les tournois de poker avant de s'intéresser à la politique. Il est devenu célèbre en 2008 en prédisant avec succès le résultat du scrutin présidentiel dans 49 Etats sur 50. Son blog FiveThirtyEight (en anglais) est aujourd'hui l'un des plus suivis de la campagne américaine. Histoire, style et méthode du prophète le plus geek de la planète politique.
Son parcours : maths, baseball et Texas Hold'em
Les chiffres, Nate Silver a toujours adoré ça. Son père, professeur de science politique à l'université, le décrivait en 2008 au New York Times (en anglais) comme un "fanatique des nombres" doublé d'un petit prodige, capable de faire des multiplications à deux chiffres dès la maternelle. Le jeune homme a grandi à East Lansing, une petite ville perdue au milieu du Michigan. Après des études d'économie, Nate Silver commence sa carrière en 2000 au sein du cabinet de conseil KPMG. Mais son job ne le passionne pas vraiment et pendant son temps libre, le statisticien applique ses talents à son sport favori : le baseball.
L'outil qu'il conçoit, Pecota, prédit les performances des joueurs de la première ligue américaine. Le système, très performant, lui vaut une petite réputation dans le milieu de la sabermétrie – comprenez : la statistique appliquée au baseball, discipline très sérieuse et immortalisée par le film Le Stratège, sorti en 2011.
Ce qui lui permet, en 2004, de laisser au vestiaire son costume de consultant bon teint. En attendant de gagner sa vie grâce au baseball, il s'attaque au poker. Il y gagne près de 400 000 dollars (308 000 euros) en un peu plus d'un an, selon le site américain Salon, avant de devoir se tourner vers d'autres cieux, professionnalisation du milieu oblige. Au blog Freakonomics (en anglais), qui lui demande quel a été son meilleur investissement, il répondra d'ailleurs : "Apprendre le Texas Hold'Em", la variante la plus jouée du poker.
Sa méthode : analyser, pondérer, contextualiser
La politique, il n'y vient qu'en 2008. Mais son entrée est fracassante. En mars, il lance son site FiveThirtyEight (référence au nombre de grands électeurs présents dans le collège électoral américain) sous le pseudonyme Poblano. Le succès ne se fait pas attendre : dès le mois de mai, la presse nationale, à l'instar du National Journal, salue des prédictions remarquables de justesse pour les primaires démocrates, souvent en porte-à-faux avec les sondages quotidiens publiés avant l'élection.
Son leitmotiv ? Donner du sens aux sondages. Les sites comme RealClearPolitics – agrégateur de référence en la matière – "ont les moyennes des sondages dans chaque Etat, mais les traitent tous de la même manière. Nous, nous regardons quels sondages sont les plus fiables et leur donnons plus de poids", expliquait Nate Silver en 2008 au Progress Illinois (en anglais). C'est parce qu'il était frustré par leur manque de profondeur qu'il a décidé de se lancer sur le créneau.
Son credo : les prédictions de résultats
Ses analyses sophistiquées lui permettent d'établir ce qui est devenu sa marque de fabrique : plutôt que des sondages, des prédictions de résultats, étayées de cotes mises à jour en temps réel. Mardi 30 octobre, il estime par exemple les chances pour Barack Obama de l'emporter le 6 novembre à presque trois contre un. Pourquoi un tel optimisme, alors que les sondages placent le président derrière Mitt Romney ?
En réalité, ces derniers ne reflètent pas les chances réelles d'un candidat de l'emporter, à cause des fameux "swing states". La plupart des Etats ayant une orientation forte et peu susceptible de changer, l'élection se joue dans une poignée d'entre eux. Pour prédire le résultat du scrutin, il faut donc établir des scénarios de victoire prenant en compte les différentes issues possibles dans chaque Etat, leur probabilité d'occurrence, les paramètres susceptibles de les faires dévier, etc. Et c'est ce que fait Nate Silver.
Son style : aimer les chiffres sans avoir peur des mots
Non content d'être un statisticien très solide, Nate Silver est doué pour présenter son travail, très complexe, sous une forme digeste pour le lecteur. Résultat : journalistes politiques et aficionados de Washington scrutent ses analyses quotidiennes et ses indices farfelus désormais publiés sur le site du New York Times, qui s'est offert depuis 2010 ses services à temps plein.
Sur les plateaux télé, il ajoute à sa petite cuisine un brin de provoc', se moquant des gros titres nourris par des sondages "aussi significatifs qu'une pièce lancée en l'air". "La plupart des émissions d'information sont en réalité du divertissement déguisé", lance-t-il, tout sourire, sur le plateau du "Daily Show" face à Jon Stewart, spécialiste du genre inverse. "La plupart du temps, notamment en début de campagne, il peut ne rien se passer de la journée. Mais comme il faut bien un gros titre, alors on fabrique des informations !"
Commentant son nouveau livre, The Signal and the Noise, Why So Many Predictions Fail – but Some Don't (Le signal et le bruit - Pourquoi tant de prédictions sont fausses, mais pas toutes), Nate Silver expliquait mi-octobre au magazine techno Wired (en anglais) que pour exercer son métier, "il faut être à l'aise avec les probabilités et l'incertitude". Nul doute qu'il doit être en politique comme un poisson dans l'eau.
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