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Cinéma : « Gueule d’ange », de Vanessa Filho, au cinéma le 23 mai

Une jeune femme, Marlène, vit seule avec sa fille de huit ans, Elli.  Après une rencontre en boîte de nuit, elle décide de partir, laissant son enfant seule livrée à elle-même…

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Gueule d'ange (Mars films)

En sélection officielle à Un Certain Regard au Festival de Cannes Avec Marion Cotillard, Alban Lenoir et Ayline Aksoy-Etaix

Extrait d’entretien avec Vanessa Filho

Comment êtes-vous arrivée au cinéma ?  

J’ai un parcours assez éclectique, mais j’ai toujours eu envie de faire du cinéma : dès l’enfance, j’avais constamment avec moi un caméscope ou un appareil photo pour fabri - quer des images et inventer des mises en scènes. Mon premier choc cinématographique a été BLEU de Kieslowski que j’ai découvert à 13 ans : cette héroïne féminine portée par Juliette Binoche m’a littéralement foudroyée. Je suis restée cloîtrée dans ma chambre, des jours entiers, à écouter le Requiem de Zbigniew Preisner, musique indissociable du film, parce que je n’arrivais pas à me défaire de l’émotion totale que cette œuvre m’avait procurée. C’est à ce moment-là que j’ai décidé que j’écrirais et que je serais réalisatrice. Je suis tombée amoureuse du cinéma et d’autres films ont ancré, toujours plus profondément, mon désir de réaliser, comme par exemple UNE FEMME SOUS INFLUENCE, OPENING NIGHT… de John Cassavetes, LA FEMME D’À CÔTÉ de François Truffaut, FAMILY LIFE, LADYBIRD de Ken Loach, DÉSIR MEURTRIER de Shohei Imamura, CLÉO DE 5 À 7 d’Agnès Varda…

Quel a été le point de départ de GUEULE D’ANGE ?

C’était le besoin impérieux de raconter la dépendance, le manque d’amour et le senti - ment d’insécurité. Je voulais raconter et filmer la solitude d’Elli, son absence de repères et sa rencontre avec l’alcool, bien trop tôt dans sa vie. C’est un film qui parle d’amour, et de tous les sentiments qui le font absent, l’affectent, et qui rendent mon héroïne dépendante. Mais c’est aussi un film sur la renaissance. Parce que malgré l’épreuve qu’Elli traverse, qui la met en insécurité, elle fait preuve de résistance, elle témoigne d’une capacité, d’un effort de résilience. Ce qui me touche le plus chez Elli, c’est sa faculté à faire cohabiter avec sa douleur un désir immense de vie. Et ce qui me bouleverse chez Marlène, c’est son impuissance, sa fragi - lité, son manque de repères, et d’espoir. C’est un être humain envahi par sa souffrance, chao - tique, qui ne trouve pas sa place dans ce monde et qui ne s’aime pas assez pour être capable d’accueillir le bonheur et d’aimer au mieux sa fille. Il y avait donc la nécessité de rendre ces émotions sensibles. Comme je l’ai déjà dit, c’est ENTRETIEN AVEC avant tout une fiction, mais ce sont des sentiments qui me sont très personnels : j’ai longtemps eu à me battre contre une peur irrationnelle de l’abandon. C’est un film d’apprentissage, un film initiatique, et un film qui parle du destin, parce qu’Elli n’a que huit ans mais elle va s’affranchir, renoncer à la personne qu’elle aime le plus au monde, sa mère, reconstruire ses propres repères, agir sur son propre destin, provoquer sa chance en choisissant Julio.

Comment s’est passée l’écriture ?

Quand ces personnages et leur histoire me sont apparus, une évidence s’est imposée à moi. J’ai éprouvé un sentiment d’urgence. J’ai tout laissé tomber, bouleversé ma vie, et me suis enfermée avec ces personnages pendant des semaines pour écrire un premier traitement. J’ai une écriture visuelle, je vois mes personnages avant de les entendre. D’une certaine façon, je ne les ai jamais quittés des yeux. J’ai fait lire mon histoire à Diastème qui a été intéressé et touché. Nous avons alors décidé de développer le scénario ensemble, de le coadapter et codialoguer. Diastème a une façon très juste d’appréhender les personnages, et nous avons pu aller encore plus loin, tout autant dans leur caractérisation que dans la force dramatique. Ensuite, comme l’écriture a duré plusieurs années, j’ai eu la chance de collaborer avec François Pirot qui est venu en consultant sur la dernière partie du film. Nos échanges pluriels ont contribué à rendre les émotions encore plus palpables, notamment la dépression de Marlène, sans pour autant jamais la commenter. L’écriture scénaristique impose un temps assez long et exige un dialogue constant pour garder les personnages vivants. Un scénario est comme un corps qu’il faut constamment animer, et je suis heureuse de ces collaborations.

 

Vous êtes-vous documentée sur le phénomène des enfants alcoolisés ?

L’histoire n’est pas partie d’un fait divers précis. Une fois le premier traitement du film écrit, j’ai cherché à me nourrir d’autres témoignages : j’ai rencontré des personnes du corps médical, des psychologues et d’anciens alcooliques, membres des AA, qui m’ont livré des bribes de leurs histoires. Pour autant, il était très important pour moi de ne pas faire un film d’enquête médicosociale : GUEULE D’ANGE reste avant tout une fiction. Évidemment, et hélas, il existe des histoires proches de celle décrite dans le film, mais celle-ci est celle d’Elli, elle est singulière, et n’appartient qu’à elle. J’ai voulu traiter sa dépendance à l’alcool comme un symptôme de sa détresse et de son manque d’amour.

Vous évitez toute psychologisation pour privilégier des émotions brutes, des accidents de parcours, des rencontres fortuites.

Cela vient sans doute du fait que je n’ai pas cherché à imposer une explication, à sous-titrer, à devancer, à commenter ou à démontrer. Je me suis surtout attachée au ressenti et au regard des personnages sur un monde dont ils n’ont pas les armes pour le comprendre. À partir de là, ce ne sont pas les causes qui m’intéressent, mais la manière dont leurs émotions guident leurs mouvements. J’ai davantage construit les personnages sur les résonances et les émotions que sur un rapport de causalité explicite qui pourrait éloigner le spectateur d’un territoire libre de pensée. De façon générale, je m’intéresse à cet «état-limite» juste avant le passage à l’acte, et à ce passage lui-même.  

Plus d’informations sur le site de Mars films.  

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