Affaire Cahuzac : "L'écœurement profond" des proches de Michel Rocard, mis en cause par l'ancien ministre du Budget
Les accusations de l'ancien ministre du Budget, qui a expliqué, lundi au cours de son procès, avoir ouvert un compte en Suisse pour financer les activités politiques de Michel Rocard, ont surpris ses anciens collaborateurs.
"J'espère que vous ne m'appelez pas pour me parler de Jérôme Cahuzac." Au lendemain des accusations de l'ancien ministre du Budget contre leur défunt mentor, les proches et anciens collaborateurs de Michel Rocard ne dissimulent pas, mardi 6 septembre, leur agacement. "C'est du vent. Il est dans les cordes, il botte en touche", souffle notre interlocuteur, avant de nous raccrocher au nez.
Certains acceptent cependant d'en dire plus. "C'est une tristesse pour lui et pour Michel, quelques semaines après sa mort", confie Alain Bergounioux. A l'époque des faits allégués, en 1992, l'historien travaille au côté de Michel Rocard. Alors qu'il n'est plus Premier ministre et pas encore Premier secrétaire du PS, ce dernier prépare son avenir présidentiel dans des bureaux, rue de Varenne à Paris. "Les bureaux sont vastes et les collaborateurs nombreux. (...) Les financements occultes étaient la règle, tous les partis le faisaient", a déclaré aux juges Jérôme Cahuzac. Selon sa version, c'est pour financer la campagne présidentielle de Michel Rocard qu'il ouvre un compte en Suisse, avant d'en avoir un usage personnel par la suite.
Manuel Valls "triste" et "dégoûté"
Alain Bergounioux reconnaît que les règles du jeu étaient opaques à l'époque. "Dans ces années, il y avait toujours des problèmes de financement", reconnaît-il. Mais plus pour longtemps. Les lois de 1988, 1990 et 1995 viennent remettre de l'ordre dans le financement des partis. "Pour l'élection présidentielle de 1995, il n'y aurait pas eu de problème, grâce aux nouvelles lois initiées par Rocard", assure Alain Bergounioux. Et comme il était le candidat naturel du PS pour la présidentielle, "il aurait fait campagne via le Parti socialiste, avec un emprunt". Selon lui, les accusations de Jérôme Cahuzac ne sont donc pas crédibles, même si "on ne sait jamais ce qu'il s'est passé".
Michel Rocard n'avait pas besoin de ça.
D'autres réagissent de manière plus violente. Ancien attaché parlementaire de Michel Rocard à Matignon, Manuel Valls s'est dit "triste" et "dégoûté" sur RTL. "Je sais deux choses : c'est que Michel Rocard est le premier responsable politique à avoir permis le vote d'une loi instaurant, enfin, en 1990, la transparence. (...) Je sais aussi quelle était l'éthique de Michel Rocard et de son entourage", a déclaré le Premier ministre.
"C'est dégueulasse et cynique"
Jeune militant rocardien à l'époque, Hugues Fourage fait, lui aussi, part de son "écœurement profond". "Qu'est-ce que c'est que ce garçon ?, s'interroge le député PS de Vendée au sujet de Jérôme Cahuzac. Il est en train de dire : 'Je suis une victime, j'ai travaillé pour quelqu'un, pour défendre des idées, je ne suis pas aussi pourri qu'on voudrait le faire croire'."
Le porte-parole du groupe PS à l'Assemblée nationale tique sur le timing de ces aveux. "Pourquoi ne l'a-t-il pas dit plus tôt ? Ce qu’il est en train de faire est dégueulasse, parce qu'il sait que Rocard ne pourra pas répondre, c'est dégueulasse et cynique", s'agace l'élu.
Je ne peux pas croire Jérôme Cahuzac, je ne peux plus le croire.
Une thèse déjà évoquée
Bien qu'inédite dans la bouche de Jérôme Cahuzac, cette hypothèse n'est pas nouvelle. Dès 2013, Mediapart et L'Obs avaient évoqué la piste du financement politique. Cette thèse est même au cœur du livre Dissimulations, publié début 2016 par un proche de Jérôme Cahuzac, Jean-Luc Barré. "Le plus troublant est que Jérôme Cahuzac n'ait fait aucun usage (...) de ces sommes [placées sur un compte en Suisse]", pointe l'auteur dans son ouvrage. L'enquête a, en effet, démontré qu'il n'y a pas eu de mouvements sur le compte entre 1994 et 1998, année où Jérôme Cahuzac décide de le transférer à la banque Reyl.
Dans le même livre, quelques lignes plus loin, l'ancien ministre du Budget donne du crédit à cette hypothèse, en racontant une anecdote survenue en 2013. Un jour, il croise Yves Colmou, ancien collaborateur de Michel Rocard et actuel conseiller de Manuel Valls. "Je ne te pardonne pas de nous avoir menti", lance ce dernier au "paria". Jérôme Cahuzac répond : "Ah non, pas toi ! Tous les autres, mais pas toi ! Ça va, là..." A l'époque, il refuse d'en dire plus : "De toute façon, je ne peux rien prouver. Alors, à quoi bon ?" Une version qu'il ne peut toujours pas étayer aujourd'hui.
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