Se poser en victime, un bon calcul politique pour Nicolas Sarkozy ?
Bottant en touche sur les affaires,l'ex-chef de l'Etat s'est présenté comme la cible d'une cabale politico-judiciaire dans son entretien sur TF1 et Europe 1, mercredi.
Interviewé mercredi 2 juillet sur TF1 et Europe 1, quelques heures après sa mise en examen pour corruption active, trafic d'influence actif et recel de violation du secret professionnel, Nicolas Sarkozy a choisi une posture classique chez les politiques : celle de la victime. "Dans notre pays, qui est le pays des droits de l'homme et de l'Etat de droit, il y a des choses qui sont en train d'être organisées", a-t-il expliqué, dénonçant une "instrumentalisation politique d'une partie de la justice", la connivence entre des juges d'instructions rancuniers et marqués à gauche et un pouvoir socialiste qui voudrait empêcher son retour. En mars, déjà, il déplorait, dans une tribune parue dans Le Figaro, que "[ses] conversations intimes avec [sa] femme, [ses] enfants, [ses] proches" aient pu être écoutées "sans la moindre gêne" par la justice.
Mais cette stratégie a des bons et des mauvais côtés. Un sondage BVA pour Le Parisien, publié jeudi 3 juillet mais réalisé avant l'interview de l'ancien président, affirme que les deux tiers des Français ne croient pas à un "acharnement judiciaire" à son encontre. Se poser en victime est-il un bon moyen pour Nicolas Sarkozy de convaincre l'opinion publique ?
Non, le grand public ne croit pas les politiques
"La posture de victime n'est pas quelque chose qui marche très bien dans l'opinion", estime Céline Bracq, directrice de l'institut de sondage BVA Opinion. Selon elle, les Français sont d'un naturel sceptique face aux politiques qui clament leur innocence : "Il est très compliqué de jouer la victime, les Français ont l'a priori d'avoir affaire à des menteurs professionnels." Une image à laquelle n'échappe pas Nicolas Sarkozy, qui est "associé à l'idée du beau parleur encore plus fortement que les autres hommes politiques."
Il faut dire que "ce n'est pas la première fois qu'un politique vient à la télévision", rappelle Philippe Moreau-Chevrolet, président de l'agence de communication MCBG Conseil. Le souvenir des passages de Dominique Strauss-Kahn et de Jérôme Cahuzac est encore frais dans les mémoires. "Quand Nicolas Sarkozy utilise des expressions malheureuses comme 'les yeux dans les yeux' [comme Jérôme Cahuzac, qui pourtant a reconnu ensuite avoir menti] ou 'j’ai confiance dans la justice de mon pays', ça crée un effet de répétition qui est nuisible".
La performance de l'ancien président était cependant beaucoup plus réussie que celle de ses prédécesseurs, juge le communicant : comme Jacques Chirac en son temps, sa capacité à "montrer de l'émotion, une forme de chaleur, et à ne pas rester sur la défensive" tranche avec un DSK ou un Cahuzac "froids, rigides, qui donnaient l'impression de lire un texte préparé par un avocat".
Oui, ses sympathisants adhèrent à la théorie du complot
Si le grand public risque de rester de marbre face au discours de Nicolas Sarkozy, peut-être n'est-ce pas lui que l'ex-chef de l'Etat cherche avant tout à convaincre. "Il s’adressait plus particulièrement à son électorat, qui aurait pu douter et qui avait envie qu’il parle", analyse Christian Delporte, professeur d'histoire politique à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Et les sympathisants UMP adhèrent fortement à son discours, qui dénonce la gauche et les juges. "80% des sympathisants UMP considèrent qu'il est poursuivi pour des raisons politiques, confirme Céline Bracq. Le fossé est énorme avec l'opinion publique en général (35%), ça montre que le jugement sur lui est très clivé."
Contraint de se défendre face à cette mise en examen, conscient de la difficulté de convaincre l'ensemble de l'électorat de son innocence, Nicolas Sarkozy s'est donc concentré sur son cœur de cible, celui qui élira le prochain président de l'UMP. Pour la directrice de BVA Opinion, "il tente un putsch auprès des sympathisants. Il a encore l'avantage dans les sondages, mais cet avantage est en train de fondre, et il faut qu'il accède à une position [président de son parti] qui lui donnera l'autorité de prétendre à d'autres fonctions." C'est dans un deuxième temps qu'il faudra peut-être changer de discours pour "élargir ses bases" et séduire les centristes, notamment.
Oui, la polémique sur les juges détourne l'attention
Au lendemain de l'interview de Nicolas Sarkozy, c'est son attaque sur le manque d'indépendance des juges d'instruction qui monopolise l'attention médiatique. Un coup de maître, selon le communicant Philippe Moreau-Chevrolet : "Même en situation de faiblesse, sa faculté à orienter le débat comme il le souhaite est étonnante. La gauche se retrouve entraînée sur le débat sur les magistrats alors que ce n’est pas le sujet."
Et tout en insistant sur l'acharnement dont il dit être l'objet, Nicolas Sarkozy est parvenu à revenir sur le terrain de la politique, pour sa première apparition télévisée depuis la dernière élection présidentielle. "Se poser en victime, c'est un moyen de dire : 'Je suis au centre de l'affrontement gauche-droite, la gauche m'attaque, donc rassemblez-vous autour de moi pour mener la reconquête'." L'interview s'est d'ailleurs conclue sur le terrain politique, Nicolas Sarkozy fixant le calendrier de sa candidature à la présidence de l'UMP. "Il aurait pu refuser de répondre aux questions ne concernant pas ses ennuis judiciaires, estime Christian Delporte. Il a répondu pour montrer qu'il était encore en course, qu'il n'est pas abattu et ne renoncera pas."
Oui, on finira par oublier les affaires s'il n'est pas condamné
La position de Nicolas Sarkozy peut sembler délicate, mais d'autres personnalités politiques qui ont vécu la même situation sont parvenues à rester sur le devant de la scène. "On peut rapprocher sa rhétorique de celle de Silvio Berlusconi : 'on essaie de m'abattre, c'est une coalition des juges rouges', analyse l'historien Christian Delporte. Berlusconi est tombé pour une affaire de fraude fiscale, mais il a quand même tenu quinze ans, et il s'en est sorti sur tout le reste."
En France, Philippe Moreau-Chevrolet rappelle que Jacques Chirac a survécu à l'affaire de la cassette Méry, au début des années 2000. "Il a invité PPDA [en fait, Elise Lucet] dans son bureau, s'est défendu comme Sarkozy en bottant en touche, et ça a fini par passer. Les affaires ne sont pas rédhibitoires pour le grand public. Chirac est celui qui en avait le plus sur le dos, et il a été réélu."
Une "capacité d'oubli" que Céline Bracq explique par un certain cynisme des Français. "Ils considèrent la corruption comme une composante de la vie politique, ce qui crée une sorte de banalité. Un homme peut être jugé coupable et revenir sur la scène politique comme si rien ne s'était passé." S'il veut s'en convaincre, Nicolas Sarkozy n'a qu'à regarder qui le talonne dans les sondages chez les sympathisants pour prendre la tête de l'UMP : un certain Alain Juppé, condamné dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris en 2004.
Reste un risque, "l'usure judiciaire du personnage", avance Christian Delporte. La posture de victime pourrait ne pas résister à d'autres convocations, d'autres mises en examen, qui provoqueraient une certaine lassitude. "Il est comme une citadelle assiégée, chaque vague d'assaillants l'affaiblit un peu plus. Plus ça dure, et plus il perd en crédibilité et en soutien à l'UMP", observe Philippe Moreau-Chevrolet. Autrement dit, si Nicolas Sarkozy veut effectuer son retour en politique, "le temps est son plus grand ennemi".
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