Alain Juppé serait-il de plus en plus cool ?
Le maire de Bordeaux a été désigné "homme politique de l'année" par le magazine branché "GQ", une semaine après avoir fait la couverture des "Inrockuptibles".
Alain Juppé n'est pas encore devenu l'idole des hipsters. Un jour, peut-être, tel Jacques Chirac, apercevra-t-on son effigie sur des tee-shirts glorifiant son look ou ses meilleures grimaces ? Pas si vite : le maire de Bordeaux n'a pas (pour l'instant) la carrière de son mentor. Ni son aura, ni cette facilité déconcertante à se sentir comme chez lui devant n'importe quel public.
Mais voilà, dans sa course à la présidence de la République, Alain Juppé marque des points, dans les sondages et dans les médias... Et pas forcément là où on l'attend. Après la une, la semaine dernière, des Inrockuptibles, conquis par la "Juppémania", c'est au tour d'une autre publication branchée, le magazine GQ, de l'élire, mercredi 19 novembre, "homme politique de l'année".
Ne nous méprenons pas : "On ne peut pas dire qu'Alain Juppé soit devenu cool et branché", reconnaît le rédacteur en chef du mensuel masculin, Emmanuel Poncet, interrogé par francetv info. "Mais au milieu de l'effervescence négative qui règne, tant à gauche qu'à droite, Juppé incarne une espèce de miracle dans un champ de ruines", explique-t-il pour justifier ce choix.
Il a changé, mais ne le dira pas
Fini l'homme rigide, limite sectaire, "droit dans ses bottes" de 1995 ? Oublié son passé de Premier ministre, qui fit descendre des millions de gens dans les rues avec ses réformes impopulaires, qu'on croyait cramé par la dissolution de 1997 et définitivement hors-jeu après sa condamnation judiciaire en 2004 ? Alain Juppé a changé, mais vous ne l'entendrez jamais le dire. Car l'expression a été quelque peu galvaudée, depuis 2007, avec Nicolas Sarkozy. Lequel se trouve être son rival d'aujourd'hui. "Je dis souvent qu'on ne change jamais fondamentalement", lâche-t-il en entretien dans GQ.
"Rassembler, apaiser, réformer", plaide-t-il en guise de slogan de campagne. Désormais, "Juppé fait figure de sage, d'homme posé, qui tranche avec un Nicolas Sarkozy jugé excité voire agressif", décrypte le professeur de communication politique Arnaud Mercier. Son passage, entre 2010 et 2012, à la Défense, puis aux Affaires étrangères, deux ministères en or pour se refaire une santé politique loin des polémiques politiciennes, l'a bien aidé à modifier son image.
Comment expliquer une telle mue ? "Les médias sont restés sur son image de 1995. Mais entre-temps, son mandat de maire lui a permis d'être au contact du citoyen. C'est quelqu'un qui est dans la concertation, à l'écoute, capable de reconnaître ses erreurs", défend Virginie Calmels, son adjointe à la mairie de Bordeaux, ancienne directrice générale d'Endemol.
Pas l'homme le plus extraverti du monde
Mais Alain Juppé fait mieux qu'apparaître comme le possible réconciliateur d'une droite déchirée. A présent, il écrit l'histoire de son personnage, fend l'armure, y compris sur les plateaux de télévision.
Ainsi ne peut-il contenir un sanglot lorsque, à l'issue de l'émission "Des Paroles et des actes", en octobre sur France 2, les téléspectateurs sont 61% à penser qu'il ferait "un bon président". Bien sûr, ce n'est pas l'homme le plus extraverti du monde. "Je ne vais pas vous sauter dans les bras ou vous taper sur l'épaule ! J'ai une forme de réserve personnelle. Mais j'ai un très bon contact avec les gens", confie-t-il aux Inrockuptibles. Ni le plus tordant, bien qu'il ait remporté le prix de l'humour politique 2014 avec cette phrase : "En politique, on n'est jamais fini. Regardez-moi." "Je ne trouve pas ça très drôle mais je n'ai pas refusé le prix !", raconte-t-il dans la même interview.
Toujours classe et toujours plus cool, Alain Juppé ? Le "meilleur d'entre nous", comme le surnomma Chirac, n'a pas spécialement la réputation d'être au top de la "branchitude". Il a bien été l'un des premiers politiques à ouvrir un blog. Et l'un des derniers, peut-être, à assumer certains vestiges des années 2000. Pour lire ses posts (pardon, son "blog-notes"), il vous faut taper l'adresse suivante dans votre navigateur : al1jup.com.
Capable de se dérider
Côté culture, Alain Juppé est loin d'être un avant-gardiste. Certainement pas un lecteur des Inrocks, ni de GQ. Aux dires de Nadine Morano, d'ailleurs, il ne connaissait même pas le magazine qui l'a honoré, relève Le Lab. Ses œuvres et auteurs favoris : L'Odyssée, le théâtre grec, Montaigne, Balzac, Stendhal, Flaubert, etc., détaille-t-il dans son interview à GQ. Au moins, à la différence d'une certaine ministre de la Culture, il lit : "Même quand je suis épuisé en rentrant chez moi, je n'envisage pas de ne pas lire 30 minutes." Musicalement, le jeune Alain, qui fêtait ses 25 ans en 1970, préférait la musique classique aux envolées rock et folk du moment. Sans être totalement en rupture avec son époque : "Françoise Hardy était mon icône, je l'adorais", confie-t-il.
En 1988, dans l'émission "Lunettes noires pour nuits blanches", de Thierry Ardisson, celui qui était alors secrétaire général du RPR s'est livré à l'exercice de "l'auto-interview". L'occasion d'observer qu'Alain Juppé sait se dérider.
"Tu changerais quoi en toi si tu avais une baguette magique ?", lui demande son double, derrière des lunettes noires du plus bel effet. "Je me donnerais peut-être la chevelure de Robert Redford", répond-il avec un sourire sous son crâne dégarni. Et quand il se demande s'il croit un jour devenir président de la République, la réponse est déjà pleine d'ambition : "On peut toujours rêver."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.