Présidentielle 2022 : les écologistes, en pleine primaire pour désigner leur candidat, peuvent-ils convaincre les électeurs ruraux ?
Après avoir prouvé aux municipales qu'ils peuvent gagner en ville, les écologistes devront répondre aux interrogations sur l'avenir des agriculteurs et la dépendance à la voiture. Mais ne sont pas sans propositions.
"La moitié des Français vivent comme moi, Monsieur Jadot. (...) Sans voiture, je ne peux aller nulle part. J'habite dans un village de 1 000 personnes, il n'y a pas de transport en commun, on est isolés." Récemment confronté par Libération à un syndicaliste des Fonderies de Bretagne pour évoquer sa vision de l'industrie, Yannick Jadot n'a pas échappé à l'une des critiques les plus fréquemment formulées contre les écologistes. "Ce sont des propos de citadins..." a lancé Maël Le Goff au favori de la primaire organisée en vue de la présidentielle de 2022, qui venait de souligner la nécessité de "réduire la pollution de l'air et les émissions de CO2" et donc "le nombre de voitures".
Le candidat ou la candidate qui remportera la primaire des écologistes, dont le premier tour se termine dimanche 19 septembre, devra s'habituer à répondre à ce type d'interpellations. Pour remporter l'élection présidentielle, il faudra forcément convaincre une partie des Français qui vivent à la campagne, soit un tiers de la population, selon l'Insee. Un défi pour les écologistes, qui ont brillé dans de grandes villes comme Lyon, Bordeaux, Marseille ou encore Strasbourg lors des municipales de 2020. Europe Ecologie-Les Verts n'est-il pour autant qu'un parti pour citadins ? Les résultats des élections européennes de 2019 (dernier scrutin en date où tous les Français devaient choisir entre les mêmes candidats) apportent une réponse plus nuancée.
De bons scores en Bretagne ou dans les Alpes
Certes, "il y a un différentiel indéniable : plus on est dans une grande ville, plus le score d'EELV est élevé", constate Simon Persico, enseignant et chercheur à Sciences Po Grenoble. L'écart est net entre les communes rurales, où la liste menée par Yannick Jadot a récolté 12% des suffrages selon l'institut Ifop, et l'agglomération parisienne (18%). "Mais c'est quand même 12%", pointe ce spécialiste de l'écologie politique.
"Quand ils sont dans une bonne dynamique, les écologistes ont un socle d'électeurs."
Simon Persico, politologueà franceinfo
Y compris hors des villes. D'ailleurs, l'écart n'est pas si net avec le score d'EELV dans les autres villes de plus de 100 000 habitants (13%). Les villes de 2 000 à 20 000 habitants sont même nettement moins favorables aux écologistes (9%) que les communes rurales. Le vote est par ailleurs loin d'être uniforme selon les régions. Un coup d'œil suffit à voir que la carte des résultats écolos verdit davantage dans des zones comme la Bretagne ou les Alpes que dans les Hauts-de-France ou le Grand Est.
Pour expliquer le "déficit d'implantation" d'Europe Ecologie-Les Verts dans les territoires ruraux, Benoit Monange, de la Fondation de l'écologie politique, met en avant "les caractéristiques sociologiques des habitants plutôt qu'une défiance des ruraux ou une absence de propositions des écologistes". Directeur de cet organe de réflexion fondé par EELV mais indépendant du parti, il pointe notamment l'âge plus élevé des électeurs hors des villes, alors que "le vote écologiste est fort chez les jeunes et faible chez plus âgés".
Une piste d'explication que Simon Persico juge "pertinente", mais qui à ses yeux n'explique pas tout. "Il y a des endroits où ce rapport ville-campagne s'inverse", ajoute Simon Persico, qui prend l'exemple de la Drôme. "Aux européennes, les écolos font de très bons scores dans le Diois et sont beaucoup moins forts autour de Montélimar", la deuxième ville du département. "Cela tient à des caractéristiques sociologiques comme le type de professions représentées."
Des terrains dangereux...
Il faut dire que nombreux sont les sujets de tension possible entre les écologistes et les électeurs des zones rurales. "Comment plaider pour l'écologie dans des territoires où, par exemple, la chasse fait partie des relations entre les gens ?", s'interroge Daniel Boy, chercheur au Cevipof de Sciences Po, qui travaille depuis plusieurs décennies sur les écologistes.
"Comment convaincre les agriculteurs de Bretagne qu'ils ne peuvent plus utiliser d'engrais de synthèse ? Ou qu'il faut réduire les zones d'épandages des pesticides, alors qu'ils n'ont pas forcément de grandes parcelles ?"
Daniel Boy, politologueà franceinfo
Le débat autour des retenues d'eau, à Sivens et ailleurs, empoisonne aussi régulièrement les relations entre les agriculteurs et les défenseurs de l'environnement.
Tous les candidats à la primaire écologiste plaident pour l'interdiction de certains pesticides (avec des nuances sur le calendrier et le périmètre de la mesure). Ils promettent aux agriculteurs une meilleure protection sociale et des mesures d'accompagnement vers une conversion en bio et une réduction de la taille des exploitations. Mais considèrent inévitable un changement radical de modèle. "Il va falloir sans doute entrer dans une forme de rapport de force" avec la FNSEA, le syndicat majoritaire chez les agriculteurs, assumait ainsi Sandrine Rousseau lors du débat organisé par Mediapart. "Les discussions [avec les agriculteurs] se passent très bien", assurait son rival Eric Piolle lors de ce même débat.
François Purseigle, sociologue spécialiste des "mondes agricoles" au sein de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, observe tout de même une "césure" avec les dirigeants écologistes. "Il y a des principes de réalité qui sont parfois absents de leurs discours", qui selon lui cible moins les agriculteurs que les électeurs des grandes villes. Ces agriculteurs sont cependant loin de former l'intégralité de la population rurale, nuance-t-il. Et leurs voisins ne sont pas toujours de leur avis. "La plupart du temps, les gens ne s'inquiètent pas de l'interdiction des pesticides : ils sont usagers, passent souvent à côté des épandeurs et sont plutôt demandeurs d'une transition", assure Lou Noirclere, conseiller régional EELV des Vosges au sein de la région Grand Est.
... notamment sur la place de la voiture
Quand on touche aux déplacements en voiture, en revanche, l'inquiétude semble plus largement partagée. Dans le baromètre annuel de l'Agence de la transition écologique (Ademe), "faire du covoiturage", "prendre les transports en commun" et "se déplacer à vélo ou à pied" plutôt qu'en voiture sont les trois gestes écologiques les plus cités comme difficiles ou impossibles à adopter par les sondés (respectivement à 56%, 50% et 43%). Selon Daniel Boy, qui collabore à cette enquête, "la variable qui explique le mieux s'ils le font est la taille de la commune".
"Dans un territoire rural, si on ne propose pas d'alternative à la voiture, ça ne marchera pas", estime Fatma Adda, porte-parole d'EELV dans le Gers. Dans l'Yonne, c'est ce sujet qui entraîne le plus de méfiance face aux écologistes, constate Florence Loury, conseillère municipale à Auxerre. "Des réflexions comme 'Vous nous embêtez avec vos vélos', j'en ai eu". Mais elle croit en la possibilité de les rassurer par le dialogue et l'explication :
"En zone rurale, les écologistes veulent plutôt favoriser le covoiturage, l'autopartage, remettre en service des petites lignes de train..."
Florence Loury, élue écologiste à Auxerreà franceinfo
"Jamais vous n'entendrez un écolo à la campagne dire qu'on va interdire la voiture", acquiesce Lou Noirclere. "Moi-même, je vis dans un village de 150 habitants, je ne peux pas m'en passer."
Si les propositions des écologistes pour les transports urbains sont plus familières du grand public, la question des transports ruraux est abordée dans les notes mises en ligne par le parti censées poser les bases du programme présidentiel, quelle que soit l'issue de la primaire. "Tout ensemble d'habitations, toute zone d'emplois disposera à moins de 3 km d'un arrêt de transport public", promet par exemple une note sur les services publics.
Des têtes d'affiche issues des villes
Reste à faire connaître ces positions, alors que les clichés ont la vie dure et que les écologistes sont "toujours accueillis avec un petit sourire en coin" dans les zones rurales des Vosges, explique Lou Noirclere, qui assure qu'il laisse vite place au dialogue. "La césure avec les agriculteurs tient aussi au fait que leur personnel politique est souvent urbain et ne s'est pas frotté aux mondes ruraux", estime le sociologue François Purseigle.
Le casting de la primaire n'aide pas à démentir cette idée, réunissant le maire de Grenoble (Eric Piolle), la vice-présidente de l'université de Lille (Sandrine Rousseau) et un conseiller municipal de Nice (Jean-Marc Governatori). Yannick Jadot met parfois en avant ses origines picardes (il a grandi à Laon, préfecture de l'Aisne) mais son parcours est celui d'un cadre d'une ONG internationale, Greenpeace, devenu député européen. La seule élue d'un territoire en partie rural est Delphine Batho, qui est députée des Deux-Sèvres depuis 14 ans, mais originaire de Paris où elle a débuté sa carrière politique.
Si tous ces candidats se disent convaincus que les écologistes peuvent (et doivent) remporter l'élection présidentielle, la route paraît un peu plus tortueuse vue depuis départements ruraux, y compris dans les rangs du parti. "Les primaires et la présidentielle vont faire du bien, c'est l'occasion de démocratiser le discours", espère Lou Noirclere. Dans l'Yonne, Florence Loury y voit un moment "charnière" : "Les gens entendent nos constats. Mais de là à basculer sur les solutions qu'on propose et confier des responsabilités à des écologistes, il y a encore une grande résistance."
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