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Affaire Benalla : six questions pour comprendre l'histoire des passeports

L'Elysée soupçonne son ancien chargé de mission d'avoir "falsifié" un document dans le but d'obtenir un passeport de service. Franceinfo revient sur les dessous de l'affaire des passeports diplomatiques. 

Article rédigé par franceinfo
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L'ancien chargé de mission de l'Elysée, Alexandre Benalla, lors de son audition devant la commission d'enquête du Sénat, à Paris, le 19 septembre 2018.  (ALAIN JOCARD / AFP)

Nouveaux rebondissements dans l'affaire Benalla. Après les révélations du Canard enchaîné sur les passeports de service d'Alexandre Benalla et les déclarations de l'Elysée, l'ancien chargé de mission a été mis en examen vendredi 18 janvier pour "usage public et sans droit d'un document justificatif d'une qualité professionnelle". Il a également été placé sous contrôle judiciaire avec l'obligation de pointer tous les mois.

Alexandre Benalla est entendu lundi 21 janvier à 14 heures pour la deuxième fois par le Sénat. "La justice dira si monsieur Benalla a commis un délit, mais nous dirons si l'Etat a bien fonctionné. Si l'Etat n'a pas facilité d'une certaine façon la commission d'un éventuel délit", a indiqué Philippe Bas, président (LR) de la commission d'enquête du Sénat, sur franceinfo.

Pour y voir plus clair dans cette affaire de passeports, franceinfo récapitule ce que l'on sait sur ce dossier.

1Quelles sont les dernières révélations ?

Dans son édition du 16 janvier, Le Canard enchaîné révèle qu'Alexandre Benalla a conservé, après son licenciement par l'Elysée en août, un téléphone chiffré et un passeport de service qu'il aurait dû rendre après avoir quitté ses fonctions. 

Interrogé à ce sujet par la commission d'enquête du Sénat mercredi, Patrick Strzoda, le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron, a accusé l'ancien chargé de mission d'avoir usé d'un faux pour obtenir le second passeport de service, délivré le 28 juin 2018. "Pour obtenir ce passeport, monsieur Benalla a adressé au ministère de l'Intérieur une note dactylographiée à en-tête du chef de cabinet, une note non signée de façon manuscrite", a affirmé Patrick Strzoda, qui soupçonne là "une falsification".

Par ailleurs, Patrick Strzoda a également fait part de nouvelles découvertes concernant les passeports diplomatiques qu'Alexandre Benalla a utilisés de façon indue après son départ de l'Elysée. "Nous savons aujourd'hui que monsieur Benalla a utilisé presque une vingtaine de fois ces passeports", a-t-il annoncé.

Médiapart a révélé fin décembre que, contrairement à ce que l'on croyait, l'ancien collaborateur d'Emmanuel Macron disposait toujours de passeports diplomatiques. et s'en servait toujours pour effectuer des voyages d'affaires auprès de dirigeants africains. Une information confirmée le même jour par Le Monde, qui précise que c'est bien avec "un passeport de ce type" qu'il a "voyagé dans certains pays d'Afrique en novembre et décembre", notamment au Congo-Brazzaville, au Cameroun et au Tchad.

2Au final, combien de passeports Alexandre Benalla possédait-il ?

On sait aujourd'hui qu'Alexandre Benalla a détenu cinq passeports au total : trois diplomatiques et deux de service.

Le premier passeport diplomatique, valide pour un an, lui a été délivré après demande du service du protocole de l'Elysée, le 2 juin 2017. Celui-ci avait donc expiré. Le second, également sollicité par le même recours, l'a été le 20 septembre 2017, pour une durée de cinq ans. "Alexandre Benalla voulait un passeport d'une durée égale à son contrat de travail, c'est-à-dire celle du mandat du président de la République", a expliqué Patrick Strzoda devant les sénateurs. Quant au troisième, il a été demandé directement par Alexandre Benalla au Quai d'Orsay. Le document a été émis le 24 mai 2018. Ces passeports diplomatiques ont été restitués mercredi 9 janvier par l'intermédiaire de son avocat, après la polémique née des révélations de la presse. Ces documents ont été annulés le 28 décembre.

Concernant les deux passeports de service, le premier a été délivré en août 2016, "bien avant" son arrivée à l'Elysée, a indiqué Patrick Strzoda. Le second a été accordé le 28 juin 2018. Tous les deux ont été invalidés le 31 juillet 2018, a expliqué le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron.

3Quelle est la différence entre un passeport diplomatique et de service ?

Le passeport diplomatique est délivré par le ministère des Affaires étrangères aux diplomates de carrière (ambassadeurs, employés de consulat...), à certains hauts fonctionnaires et aux collaborateurs de la présidence de la République. C'est un "document de voyage qui facilite les conditions de déplacements de [son] titulaire pour se rendre dans certains pays et y exercer [sa] mission", indique le site de l'ANTS. Il permet surtout d'accélérer l'obtention de visas, voire de les éviter, et de faciliter les procédures dans les aéroports et aux frontières. Ce document, qui ressemble en tous points à un passeport classique, ne peut être attribué que dans le cadre de missions officielles.

Le passeport de service offre les mêmes avantages aux personnes, civiles ou militaires, qui n'ont pas droit au passeport diplomatique mais qui accomplissent une mission à l'étranger pour le compte du gouvernement, comme le précise l'ANTS

Une personne peut détenir deux passeports diplomatiques en même temps, a précisé le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, devant la commission d'enquête du Sénat, pour "éviter les surcharges de visas", "l'un pouvant en empêcher un autre". Mais il n'y a, a priori, aucune raison de détenir à la fois un passeport diplomatique et un passeport de service.

4Pourquoi ces passeports posent-ils problème ?

L'utilisation de ses passeports diplomatiques par Alexandre Benalla pose un premier problème. Lors de son audition devant la commission d'enquête du Sénat, le 19 septembre, il avait déclaré, sous serment, les avoir laissés dans son bureau à l'Elysée. Or, selon les déclarations de Patrick Strzoda, il a fait usage de ces passeports "une vingtaine de fois" entre le 1er août et le 31 décembre. Le directeur de cabinet d'Emmanuel Macron a également expliqué qu'un inventaire du bureau avait été effectué le 2 août, au lendemain du départ d'Alexandre Benalla de l'Elysée, et que les passeports ne s'y trouvaient pas.

De son côté, Alexandre Benalla expliquait dans les colonnes du Journal du dimanche, le 29 décembre, que ces passeports avaient bien été rendus fin août, mais qu'ils lui avaient été restitués en octobre par un "membre de la présidence" avec d'autres effets personnels, alors qu'il rapportait son badge d'accès à l'Elysée. "Dans la mesure où on me les a rendus, je n'ai pas vu de raison de ne pas les utiliser", a-t-il justifié.

Concernant les passeports de service, le problème concerne surtout la manière dont il est accusé d'avoir obtenu le second, en mai 2018. Selon Patrick Strzoda, Alexandre Benalla aurait falsifié des documents officiels pour déposer sa demande. 

5Quelles sont les suites judiciaires ?

Une enquête préliminaire a été ouverte, à la suite des révélations de la presse, le 29 décembre, pour "abus de confiance" et "usage sans droit d'un document justificatif d'une qualité professionnelle". L'enquête a été étendue cette semaine à "faux et usage de faux document administratif" et "obtention indue de document administratif". Alexandre Benalla a été placé en garde à vue jeudi. 

A l'issue de cette garde à vue, l'ancien chargé de mission a été mis en examen, vendredi soir, "exclusivement" pour "usage public et sans droit d'un document justificatif d'une qualité professionnelle", et n'est pas poursuivi à l'heure actuelle pour les accusations de faux documents administratifs, a fait savoir son avocate, Jacqueline Laffont

6Que dit l'Elysée ?

Patrick Strzoda a reconnu avoir eu connaissance de l'existence du passeport de service délivré par le ministère de l'Intérieur "en juillet", signalé par les services de Beauvau. Puis, de l'existence de "ce document" falsifié "dans le courant de l'automne". "Mais à ce moment-là, j'ai considéré que le problème était réglé puisque les passeports, d'une part, étaient invalidés depuis le 30 juillet, et ensuite toutes les démarches avaient été faites pour obtenir leur restitution", s'est-il défendu.

"On est confrontés à un comportement fautif d'un individu qui a peut-être profité des failles du système", a-t-il déclaré. Ce dernier a toutefois admis "des dysfonctionnements ou des manques de réactivité" 

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