Quatre questions sur les passeports diplomatiques dont bénéficie Alexandre Benalla
L'ancien chargé de mission à l'Elysée est toujours en possession de ces documents avec lesquels il s'est récemment rendu en voyages d'affaires dans plusieurs pays d'Afrique.
C'est une nouvelle affaire Benalla. Les révélations de Mediapart concernant les passeports diplomatiques d'Alexandre Benalla viennent une nouvelle fois embarrasser l'Elysée. Le site d'information affirme que l'ex-conseiller d'Emmanuel Macron, bien que démis de ses fonctions cet été, continue à voyager avec ses deux passeports diplomatiques. Il s'est ainsi récemment rendu au Tchad, où il a rencontré le président Idriss Déby, comme l'a révélé Le Monde.
Le Quai d'Orsay annonce, vendredi 28 décembre, que le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a décidé de saisir le procureur de la République à ce sujet. Il indique avoir demandé, à deux reprises, par lettre recommandée, la restitution de ces documents qui facilitent ses conditions de déplacement, conformément à l'engagement pris le 23 mai de rendre les passeports à la fin de sa mission.
Qui peut bénéficier d'un passeport diplomatique ? Etait-il normal qu'Alexandre Benalla en bénéficie ? A quoi sert-il ? Franceinfo vous en dit plus sur les règles d'utilisation de ce document.
Qui peut l'obtenir ?
Un passeport diplomatique est délivré par le ministère des Affaires étrangères aux diplomates de carrière (ambassadeurs, employés de consulat...), à certains hauts-fonctionnaires et aux collaborateurs de la présidence de la République. Il ne peut être délivré que dans le cadre de "certaines missions particulières, relevant du domaine réservé de l'Etat", relève Mediapart.
Le président de la République, le Premier ministre, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale et les membres du gouvernement en disposent tous, comme le précise l'arrêté du 11 février 2009 relatif au passeport diplomatique. A "titre de courtoisie", l'arrêté note également que les anciens présidents de la République, Premiers ministres et ministres des Affaires étrangères peuvent également en bénéficier.
Un passeport diplomatique d'urgence peut également être délivré "à titre exceptionnel et pour des motifs de nécessité impérieuse ou d'urgence" pour une "durée maximale d'un an", précise l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS).
Etait-il normal que Benalla en bénéficie ?
Difficile de dire s'il était justifié qu'Alexandre Benalla dispose d'un passeport diplomatique. Car après sa mise à pied de quinze jours, du 4 au 19 mai 2018, pour sa participation à une interpellation musclée le 1er-Mai, Alexandre Benalla a perdu sa qualité de chargé de la sécurité du président pour être finalement affecté à l'organisation des événements au sein du palais de l'Elysée, une fonction purement logistique et donc assez éloignée de la diplomatie.
Plutôt qu'un passeport diplomatique, un passeport de service aurait été plus justifié dans le cadre des fonctions d'Alexandre Benalla. Sur son site, l'ANTS précise que ce document est réservé aux personnes qui n'ont pas le droit au passeport diplomatique et qui "accomplissent des missions ou sont affectées à l'étranger pour le compte du gouvernement". Ce passeport de service peut être attribué à des "agents civils et militaires de l'Etat qui effectuent à l'étranger des missions sur ordre, présentant un intérêt national", précise le site gouvernemental.
En tout cas, après son licenciement de l'Elysée en juillet, Alexandre Benalla aurait dû rendre ses passeports diplomatiques, comme il s'y était engagé dans un document signé le 23 mai 2018, à la délivrance de son second titre (le premier lui avait été remis dès le 20 septembre 2017). Interrogé à ce sujet par la commission d'enquête du Sénat, en septembre, il avait affirmé sous serment que ces deux documents se trouvaient "au bureau qu['il] occupai[t] à l'Elysée", ajoutant : "Donc je pense que l'Elysée a dû s'en occuper." Vendredi en fin d'après-midi, l'entourage d'Alexandre Benalla a affirmé à l'AFP que ses passeports diplomatiques lui avaient été restitués "début octobre". Il a par ailleurs assuré n'avoir "jamais" mené de mission à titre privé lorsqu'il travaillait à l'Elysée.
A quoi donne-t-il le droit ?
Un passeport diplomatique est un "document de voyage qui facilite les conditions de déplacements de [son] titulaire pour se rendre dans certains pays et y exercer [sa] mission", indique le site de l'ANTS. "Il s’agit surtout d’un coupe-file, accélérant les procédures dans les aéroports et aux frontières. Il peut notamment permettre d’éviter le contrôle des douanes, sans le garantir systématiquement", résume Le Monde.
Ce document, qui ressemble en tout point à un passeport classique, ne peut être attribué que dans le cadre de missions officielles. Il comporte cette mention à l'intérieur : "Nous, ministre des Affaires étrangères, requérons les autorités civiles et militaires de la République française et prions les autorités des pays amis et alliés de laisser passer librement le titulaire du présent passeport et de lui donner aide et protection."
Son détenteur peut aussi "bénéficier des protections prévues par la convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques", note Mediapart. Celle-ci prévoit notamment la possibilité d'obtenir l'immunité diplomatique et ainsi d'échapper à des poursuites judiciaires à l'étranger. Mais l'immunité n'est pas automatiquement accordée au détenteur d'un passeport diplomatique, ce qu'Alexandre Benalla avait d'ailleurs expliqué lors de son audition au Sénat : "C'est simplement non pas une facilité, mais c'est l'usage. Donc ça ne confère aucune immunité, ce n'est pas un passe-droit, c'est attribué de manière automatique."
Pour combien de temps est-il délivré ?
Le passeport diplomatique est toujours octroyé pour une durée limitée, pouvant aller jusqu'à dix ans maximum. Il ne peut "être utilisé qu'aux fins pour lesquelles il est délivré", précise le site de l'Agence nationale des titres sécurisés. L'ancien chargé de mission de l'Elysée en avait deux : l'un datant du 20 septembre 2017 valide jusqu'au 19 septembre 2022 ; et un autre datant du 24 mai 2018, soit plus de trois semaines après sa suspension, valide jusqu'au 19 septembre 2022 également.
Le Quai d'Orsay a assuré à franceinfo avoir demandé dès le 26 juillet, par lettre recommandée, à Alexandre Benalla de restituer ses deux passeports diplomatiques. Mais alors que le ministère a reçu, le 5 août, l'accusé de réception de sa lettre, aucun passeport n'a pour le moment été retourné. Une seconde demande par lettre recommandée lui a été adressée le 10 septembre, a précisé vendredi le ministère des Affaires étrangères, qui indique que Jean-Yves Le Drian a décidé de saisir le procureur de la République pour faire la lumière sur cette affaire.
Le ministère rappelle qu'Alexandre Benalla "s'était engagé par écrit le 23 mai 2018 à restituer ces documents à la fin des fonctions qui en justifiaient l'attribution" et que "toute utilisation postérieure à la fin de [ces] fonctions (...) serait contraire au droit".
Pour Cendra Motin, députée LREM de l'Isère, la non-restitution de ces passeports témoigne d'un "dysfonctionnement grave".
Il n'est pas normal que deux passeports diplomatiques qui sont censés, d'après une personne qui le déclare sous serment, être dans les locaux de l'Elysée ne soient pas retrouvés ou ne soient pas, en tout cas, en possession soit de l'Elysée, soit du Quai d'Orsay, qui les a délivrés.
Cendra Motinà franceinfo
François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran, se montre plus nuancé. Sur RMC, le diplomate affirme qu'il s'agirait d'une "négligence" : "Ce sont des choses qui arrivent, on n'envoie pas les flics pour aller récupérer le passeport diplomatique, on compte sur la bonne foi, sur la bonne volonté des gens. Là manifestement, cette bonne volonté a été absente", avance-t-il.
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