Cinq questions sur les kwassa-kwassa, objets d'une "plaisanterie pas très heureuse" d'Emmanuel Macron
Lors d'un déplacement dans le Morbihan, le président de la République a fait une blague d'un goût douteux sur ces embarcations de fortune utilisées dans l'océan Indien, en estimant que "le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien".
Un premier faux pas du président de la République ? Emmanuel Macron, dont les débuts sont salués par les observateurs français et internationaux, a commis au minimum une maladresse, vendredi 2 juin, lors d'un déplacement dans le Morbihan. En marge de la visite du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage atlantique d'Etel, le chef de l'Etat a osé une plaisanterie "pas très heureuse" sur le kwassa-kwassa, une embarcation de fortune souvent utilisée par des migrants de l'archipel des Comores pour tenter de rejoindre Mayotte, le 101e département français.
"Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien", a tenté Emmanuel Macron en riant. Les propos du président ont été qualifiés de "malvenus" par l'Elysée, contacté par Le Lab. Ils ont également suscité l'indignation, notamment au regard du nombre de Comoriens morts chaque année dans cette tragédie migratoire. Franceinfo revient sur cette polémique en cinq questions.
1Que sont les kwassa-kwassa ?
Les kwassa-kwassa sont des petits bateaux de pêche étroits et à fond plat, qui sont équipés de deux moteurs pour être plus rapides. Ils sont principalement utilisés aux Comores, dans l'océan Indien. Ils empruntent leur nom à une danse congolaise saccadée. En effet, lorsqu'elles sont chargées et en haute mer, ces embarcations tanguent beaucoup, raconte L'Obs.
2Pourquoi Emmanuel Macron dit-il que ces bateaux servent à "amener du Comorien" ?
Entre les Comores et Mayotte se trouve une route de migration économique illégale, peu médiatisée. Les kwassa-kwassa sont régulièrement utilisés par des passeurs et des migrants pour faire la traversée entre les îles de l'archipel des Comores et Mayotte. La traversée représente un périple de 70 kilomètres.
En 2014, 597 kwassa-kwassa ont ainsi été interceptés par les autorités françaises avec à leur bord 12 879 personnes, et 610 passeurs ont été arrêtés, selon des données de la Direction générale des Outre-mer, reprises par Outre-mer 1ère. Il s'agit d'un moyen bon marché de passer d'un île à l'autre, car la traversée peut coûter jusqu'à 1 000 euros dans sa formule "jet confort" quand on a les moyens de s'offrir une embarcation privative. Pour ceux qui sont prêts à partager le bateau, il y a la formule "jet éco" (500 euros) ou le kwassa-kwassa (250 euros), détaille ainsi L'Express.
3Pourquoi la plaisanterie d'Emmanuel Macron choque-t-elle ?
Chaque année, les naufrages de kwassa-kwassa font de nombreuses victimes. Un rapport du Sénat, mentionné par une journaliste sur Twitter, estime le nombre de morts à 7 000 voire 10 000 entre 1995 et 2012. Début mai, cinq personnes ont encore perdu la vie dans le naufrage d'un kwassa-kwassa, rapporte la 1ère.
Naufrages de kwassas-kwassas : entre 7000 et 10 000 Comoriens morts entre 1995 et 2012. (Estimation rapport Sénat juillet 2012) #Mayotte pic.twitter.com/vKmSp8xQia
— Nassira El Moaddem (@NassiraELM) 2 juin 2017
Mais, d'après les autorités comoriennes, citées par RFI en 2014, il y a eu au moins 12 000 morts en mer depuis vingt ans. Un chiffre repris par l'ancienne ministre Cécile Duflot sur Twitter.
Si Sarkozy président avait prononcé cette phrase face caméra, le tollé aurait été gigantesque. "du" comorien. 12 000 morts. Et là... insensé https://t.co/7ZEDR2DBRC
— Cécile Duflot (@CecileDuflot) 3 juin 2017
4Quelle est l'importance de la crise migratoire à Mayotte ?
En devenant le 101e département français en 2011, Mayotte est devenu un eldorado pour les Comoriens. Les liens historiques sont forts entre les Comores, ancienne colonie française, et Mayotte, qui a fait partie de cet archipel. L'île est par conséquent confrontée à une forte pression migratoire venue de l'archipel voisin, en plus d'une importante croissance démographique – plus de la moitié des quelque 220 000 Mahorais a moins de 20 ans.
L'Insee évoque une proportion de 40% d'étrangers présents dans le département français en 2012, dont 95% viendraient des Comores. Cependant, l'estimation du nombre d'étrangers en situation irrégulière "est difficilement fiable", précise un rapport du Sénat paru cette année. Selon ce rapport, "il est possible d'estimer le flux annuel de clandestins arrivant à Mayotte à 16 000", un chiffre à peu près équivalent au nombre de reconduites à la frontière. Le rapport estime que le département français ne doit pas relâcher ses efforts dans la lutte contre l'immigration illégale pour éviter de mettre en péril l'équilibre de l'île.
5Que font les autorités sur place ?
Un "plan global de sécurité, de prévention de la délinquance et de lutte contre l'immigration clandestine" a été présenté par l'ancienne ministre des Outre-mer, George Pau-Langevin, lors d'une conférence de presse, en juin 2016. Ce plan, qui contient 25 mesures, prévoit notamment de renforcer les effectifs des forces de l'ordre sur place, avec 102 policiers et 42 gendarmes supplémentaires d'ici la fin de l'été. Il prévoit aussi de moderniser les radars permettant la détection des kwassa-kwassa, mais aussi des vedettes d'interception plus performantes et l'expérimentation de drones.
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